William Forsythe – Johan Inger
Musique Jerome Begin, David Morrow, James Blake, Ibrahim Maalouf, Amos Ben-Tal
1h40 avec entracte
Infos & réservation
Thème
Le Ballet de l’Opéra de Paris fait sa rentrée avec un programme mixte en quatre temps. D’un côté, deux pièces du célèbre chorégraphe new yorkais William Forsythe, Rearray et Blake Works I ; de l’autre, Impasse du chorégraphe suédois Johan Inger. Les soirs des 4, 9 et 10 octobre, ces trois pièces sont précédées de Word for Word, création de My’Kal Stromile, jeune chorégraphe et danseur du Boston Ballet, et du traditionnel Défilé du Ballet de l’Opéra.
Points forts
Que serait la rentrée du Ballet de l’Opéra sans son fameux Défilé ? Créé en 1926 par Léo Staats, l’événement est rapidement abandonné puis rétabli par Serge Lifar vingt ans plus tard. Pendant une vingtaine de minutes, une centaine d’élèves de l’École de danse et plus de cent-cinquante membres de la compagnie, toutes et tous de blanc vêtus, descendent du Foyer de la danse jusqu’au proscenium sur la majestueuse « Marche » des Troyens d’Hector Berlioz. L’ordre de passage en est précisément réglé : d’abord les femmes en tutus, de la plus jeune élève de l’École jusqu’aux Étoiles, avant de tout recommencer à l’identique avec les danseurs. Marqué par des absences remarquées et regrettées le 4 octobre – Amandine Albisson, Dorothée Gilbert, Ludmila Pagliero et Mathias Heymann – le Défilé semble avoir suscité un enthousiasme modéré, aussi bien dans le public que sur scène.
Après ce démarrage timide, le programme de la soirée monte crescendo et garde le meilleur pour la fin. Ainsi le troisième ballet, Blake Works I de William Forsythe, fait toujours son effet. Créée en 2016 pour le Ballet parisien, cette pièce composée sur sept musiques pop de James Blake déploie une gestuelle fluide et précise qui sied naturellement aux danseurs et danseuses en justaucorps bleu-gris. Pour cette reprise, les plus jeunes sont à l’honneur. Hohyun Kang rayonne dans « I hope my life » avec Ines Mcintosh, puis dans le duo final « Forever » avec Germain Louvet. Côté danseurs, deux membres du corps de ballet sortent du lot : Enzo Saugar et le Canadien Shale Wagman, tout juste engagé dans la compagnie après avoir été premier soliste du Ballet de Munich. Si le succès de la pièce semble alors reposer sur l’agilité avec laquelle les interprètes s’y meuvent – presque trop facilement –, Blake Works I reste un « hit » de la compagnie.
Mais c’est Impasse du chorégraphe suédois Johan Inger, qui offre à ce premier programme de la saison une conclusion aussi étonnante que réjouissante. Sortant d’un décor de maison en bois entourée d’un néon blanc, Ida Viikinkoski impressionne dès ses premiers pas de danse, rayonnant d’une sorte de candeur insouciante sur la musique d’Ibrahim Maalouf. Rejointe dans son solo virevoltant par Andrea Sarri, ils forment un duo amical. Mais lorsque Marc Moreau entre dans la danse, l’ambiance bascule dans une étrange euphorie. Bientôt, c’est tout un cortège de danseurs et danseuses, tout de noir vêtu, qui envahit la scène, déployant une danse énergique sur des musiques pop, rock, salsa ou encore d’inspiration orientale. Alors que le trio initial navigue dans cette folle farandole, des modèles de maisons de plus en plus petits sont déposés sur scène tels des poupées russes. Au fil du chemin qui mène à cette impasse, on devine l’imaginaire d’Alice aux Pays des Merveilles et celui du chorégraphe suédois Mats Ek. Témoignant d’une écriture chorégraphique originale et intelligente, le ballet onirique et généreux de Johan Inger achève la soirée sur une note joyeuse.
Quelques réserves
En rupture totale avec l’harmonie héroïque du Défilé, Word for Word démarre sur une suite de notes de piano décousues et syncopées, trafiquées par vocoder et synthétiseur. Sur cette partition inconfortable composée par Jerome Begin, le chorégraphe étasunien My’Kal Stromile imagine cette pièce courte où le vocabulaire classique dialoguerait avec une forme de contemporanéité du geste. Les premiers à plonger dans ce projet aux ambitions floues sont Valentine Colasante et Guillaume Diop, bientôt rejoints par Hannah O’Neill, Jack Gasztowtt et Rubens Simon. À travers leurs enchaînements d’arabesques, développés, pirouettes et grands jetés, on devine une inspiration puisée dans le travail radical mené par William Forsythe avec la technique classique. Mais pour le jeune chorégraphe, ces intuitions sont encore à l’état brut et quelques peu confuses. À mi-chemin, l’univers sonore de la pièce bascule pour renouer avec une partition harmonieuse, tandis que le fond de scène s’ouvre sur le Foyer de la danse. La pièce semble alors se reposer sur la beauté des lieux et perdre de vue l’objet de sa quête initiale.
William Forsythe non plus ne fait pas que des coups de maître. Déjà l’idée de transposer son duo Rearray en trio était périlleuse. Pas facile pour une danseuse de mettre ses pas dans ceux de l’exceptionnelle Sylvie Guillem, ex-Étoile qui a créé le rôle féminin en 2011 au Sadler’s Wells de Londres. Mais Roxane Stojanov relève le défi avec assurance et dynamisme. De ses jambes étirées à ses gestes de mains plus minutieux, elle semble tout à fait à son aise avec les exigences de la chorégraphie et sa musicalité déséquilibrée. Cependant, la division du rôle créé par Nicolas Le Riche entre Takeru Coste et Loup Marcault-Derouard déséquilibre la pièce. Alors que le premier investit aisément solos et pas de deux, le second reste en retrait. Dès lors, la structure du trio ne semble pas encore avoir trouvé sa stabilité sur les accords dissonants de David Morrow.
Encore un mot...
Si le Ballet de l’Opéra fait des premiers pas timides pour son Défilé de rentrée, la suite du programme va crescendo et s’achève sur une note réjouissante. Espérons qu’il en sera de même pour la saison à venir.
Une phrase
« Impasse est une pièce très généreuse et poétique, débordante d’énergie grâce à la fantastique musique d’Ibrahim Maalouf qui lui ajoute une véritable dimension. […] J’aimerais beaucoup donner aux danseurs et au public la possibilité d’une note positive et pleine d’espoir », Johan Inger, programme du spectacle William Forsythe-Johan Inger, Opéra de Paris, saison 2024/25, p. 61.
L'auteur
- Diplômé en danse de la Juilliard School (New York), qu’il a fréquenté de 2014 à 2018, My’Kal Stromile est triple lauréat des Choreographic Honors ainsi que du prix Hector Zaraspe. Il a dansé avec plusieurs compagnies, dont le Dallas Black Dance Theatre II et la Repertory Dance Company I, dans les pièces de William Forsythe, George Balanchine, Jerome Robbins et Crystal Pite. Il est membre du Boston Ballet depuis 2019 et crée Form and Gesture en 2023. Word for Word est la première pièce de My’Kal Stromile pour le Ballet de l’Opéra de Paris.
- D’origine suédoise, Johan Inger danse au Nederlands Dans Theater (NDT) 1 de 1990 à 2002 et crée ses premières chorégraphies. De 2003 à 2008, il dirige le Cullberg Ballet à Stockholm, puis devient chorégraphe associé au NDT entre 2009 et 2015. Pendant ces années, il signe aussi des créations pour la Compañia Nacional de Danza, le Ballet de l’Opéra de Lyon ou encore les Ballets de Monte Carlo. Depuis 2016, il revisite des œuvres narratives, dont Petrouchka, Carmen et Don Juan. Lauréat de nombreux prix, Johan Inger prend la tête du programme Take Off Dance à Séville, destiné à la formation de danseurs pré professionnels de 18 à 24 ans.
- Figure incontournable de la création de ballets contemporains, William Forsythe a fait ses classes en Floride avant de danser au Joffrey Ballet à Chicago. En 1976, il est chorégraphe résident au Ballet de Stuttgart, puis dirige à partir de 1984 le Ballet de Francfort, où il reste vingt ans. En 2004, il crée The Forsythe Company, pour laquelle il signe de nombreuses pièces jusqu’en 2015. William Forsythe crée aussi pour l’English National Ballet, le Boston Ballet ou encore le Ballet de l’Opéra de Paris. Avec cette dernière, il présente Blake Works I en 2016. William Forsythe est aussi titulaire d’un doctorat honorifique à la Juilliard School de New York et créateur d’installations architecturales.
Ajouter un commentaire