Oskar Kokoschka - Un fauve à Vienne

Oskar Kokoschka, chercheur de l’âme. Une exposition majeure
Notre recommandation
5/5

Infos & réservation

Musée d’Art Moderne de Paris
11 Avenue du Président Wilson
75116
Paris
Jusqu’au 12 février 2023
Vu
par

Thème

A travers une collection d’environ 150 œuvres, découverte d’un artiste autrichien majeur du XXe siècle peu connu en France. Une vie d’un presque centenaire, dense, intense, aux multiples époques, recherches, expérimentations, influences, pour en définitive, rester fidèle à la seule recherche des sources profondes de l’humain. 

L’exposition suit les principales périodes de sa vie artistique : Un « enfant terrible » à Vienne (1904-1916),  Les années de Dresde (1916-1923), Voyages et séjour à Paris (1923-1934), Résistance à Prague (1935-1938), Exil en Angleterre (1938-1946), Un artiste européen en Suisse (1946-1980). 

Dès les œuvres de jeunesse (1909-10) on voit « la pâte » de l’artiste, déjà nommé Oberwildling, "Enfant terrible",  avec quelques toiles qui se distinguent radicalement des formes enjouées, végétales du Jugendstil (Art Nouveau autrichien). Une série de lithographies, remarquable dans sa maîtrise du dessin, dévoile le caractère passionné et rebelle de l’artiste. Notamment durant la courte période de sa relation tourmentée avec l’égérie de la scène artistique viennoise Alma Mahler (les années 1912-1914). Les sujets sont souvent détournés des thèmes de la tradition chrétienne – comme la bouleversante « Annonciation » de 1911. 

Suit une série de portraits. Beaucoup de  personnalités connues et souvent importantes de la Vienne de la fin du siècle : dès l’entrée, sur fond noir, pour mieux faire valoir l’intensité des couleurs, Le Joueur de transe, 1906, portrait d’Ernst Reinhold, acteur principal de la pièce à scandale de Kokoschka, au regard bleu intense, hypnotique. Herwarth Walden, 1910, éditeur de la revue d’avant-garde « Der Sturm » à laquelle Kokoschka participe activement grâce à ses amis Adolf Loos et Karl Kraus. Carl Moll, 1913, fondateur avec Klimt de la Sécession qui a présenté Alma à Kokoschka. En 1914, rupture, K. s’engage dans le régiment des dragons impériaux, il doit vendre un de ses chefs-d'œuvre La fiancée du vent pour acheter un cheval ! Ferdinand Bloch-Bauer,1936, grand collectionneur, mari de la célèbre Adèle, muse de Klimt (dont le portrait se trouve aujourd’hui à New York). Katja Richter, 1918-19, actrice dans des pièces de Kokoschka, souvent servant de modèle. Ici une allégorie de l’iconographie chrétienne de Saint Luc dessinant la Vierge. Le pianiste Leo Kestenberg, professeur de musique, Kokoschka s’entoure toute sa vie de nombreux musiciens. Aussi Plusieurs célèbres Autoportraits – « en artiste dégénéré », 1937, ou encore Peintre à la poupée, 1922, après la destruction de la poupée. Tous ces portraits ont un point commun, les traits déstructurés de leur modèle, souvent très éloignés de leur apparence réelle, afin de sonder les états d’âme du personnage. 

Blessé à la guerre et déclaré inapte, et après une convalescence à Berlin, on lui confie un poste de professeur à Dresde. L’influence des milieux intellectuels et artistiques allemands produit un changement stylistique de son œuvre. Ici, Les amis, 1917-18. Des toiles importantes suivent durant ses nombreux voyages – largement financés par Paul Cassirer, son galériste et ami – en Europe (Paris, Londres, Prague) et en Afrique du Nord et au Proche-Orient. Plusieurs vues de ces villes sont présentes, souvent aux couleurs très vives, lumineuses, ex. Londres, petit paysage de la Tamise. Un retour à Vienne dans les années 30, rapidement interrompu par la guerre civile en 1934 l’oblige à la quitter, et il s’installe à Prague où il rencontre sa future femme Olda. En 1938, après l’invasion d’Hitler de la Tchécoslovaquie, il doit à nouveau partir de cette ville qu’il a tant aimée. Il s’exile à Londres.

Son exil en Angleterre (1938-1946) s’avère difficile. Peu connu dans ce pays, il doit se contenter de moyens modestes pour poursuivre son œuvre. Il s’impose néanmoins, expose dans des galeries londoniennes et figure dans l’exposition antifasciste « Twentieth Century German Art ». En 1941, il devient même président de l’Association culturelle allemande libre en Grande-Bretagne. On lui accorde la nationalité britannique. 

Une des œuvres les plus savoureuses dans le style satirico-politico-manifeste est L’œuf rouge, 1940-41, en réaction aux accords de Munich de 1938. Un Hitler grimaçant fait face à un Mussolini boursouflé, un chat endormi près d’un bonnet phrygien ! Au fond un lion avec la couronne de l’Empire britannique… ce beau monde discute autour de la table des négociations où trône un œuf  rouge, peint à Pâques 1939. L’invasion de la Tchécoslovaquie a déjà eu lieu. 

Dans la même veine, le maître caricaturiste peint en 1942 Marianne,  Le deuxième Front, les forces alliées – ici Churchill et Montgomery – prenant le thé au Café de la Paix  hésitent à ouvrir un front à l’Ouest pour stopper l’armée soviétique qui combat les nazis à l’Est. Marianne assise sur deux chaises retire ses chaussures d’où sort une souris…à l’arrière-plan, on aperçoit Hitler sur une affiche….Le grotesque est criant !

Les dernières salles nous offrent des toiles plus magistrales, d’inspiration libre sur des sujets vécus. On peut relever, Loreley 1941-42, Thésée et  Antiope, 1958-75, Berlin 13 août, 1966, Time gentleman, 1971-72, ou La Forme magique, 1951 . 

Après toutes ces années troubles, et d’autres voyages en Europe, et aux Etats-Unis, Kokoschka choisit en 1953 le bord du lac Léman comme résidence où il reste vingt-sept ans avec son épouse Olda, jusqu'à son décès en 1980. 

La même année, ouverture de l’Académie internationale à Salzburg de son École du regard.

Parmi ses toiles emblématiques, on se réjouit de trouver ici Le pouvoir de la musique, 1918-1920). Kokoschka est toujours resté intimement lié à la musique. Il fréquentait tous les grands compositeurs viennois de l’époque, Schönberg, Webern, Berg et les musiciens Richter, Menuhin, Pablo Casals, dont un portrait très subtil  figure ici. Peut-on interpréter cette œuvre majeure comme une illustration des débats sur la dissonance de la musique atonale ?

On ne peut pas passer sous silence que Kokoschka fut un des principaux artistes représenté avec neuf peintures à l’exposition « Art dégénéré » par les nazis en 1937. Ainsi que Chagall, Kirchner, Schmidt-Rottluff et d’autres artistes d’avant-garde. 

Tout au long de sa vie, Kokoschka poursuit une intense activité d’affichiste. Déjà à  23 ans, en 1909, pour sa pièce de théâtre « Meurtrier espoir des femmes », affiche qui a fortement choqué la société viennoise. Elle reste son œuvre graphique probablement la plus emblématique. 

Au Kokoschka créateur d’affiches n’est réservé qu’un petit espace. Dans les années 1918 le climat délétère en Allemagne fait craindre une guerre civile. Il est convaincu que le rôle d’un artiste est d’alerter le public des dangers qui menacent le peuple par ces mouvements chaotiques d’après-guerre. Jusqu’à un âge avancé, il reste attaché à cette activité de graphiste-affichiste. En 1972, Il reçoit même la commande d’une affiche pour les Jeux Olympiques de Munich ! A cette période, la sagesse de l’âge aura fait du révolutionnaire un sincère défenseur de la paix entre les nations.

Points forts

Parcours d’un des principaux acteurs de la Sécession viennoise fondée en 1897 par Gustav Klimt et contemporain d’Egon Schiele. Son style reconnaissable entre fauvisme et expressionnisme. Sa personnalité tourmentée se manifestant par  des couches de peinture épaisses, mouvementées, parfois avec le couteau et les ongles (!) créant une perception d’une intense vibration intérieure. On reste fasciné par l’expressivité puissante de certaines toiles... Kokoschka a un talent particulier pour cerner les yeux de ses modèles, ils vivent devant vous. Le regard direct, perçant de certains portraits, donne l’impression de traverser la toile jusqu’à l’âme du personnage.

Quelques réserves

On peut regretter l’absence de deux toiles emblématiques de Kokoschka : La fiancée du vent, 1913-1914, Kunstmuseum de Bâle, et le portrait de Konrad Adenauer, 1966, se trouvant au Deutsche Bundestag, le Parlement allemand, à Berlin. Difficilement transportables. 

Un aspect majeur de cet artiste est à peine développé dans cette exposition : Kokoschka poète, affichiste, décorateur de théâtre,  illustrateur de manifestes célèbres durant la Sécession et auteur de séries lithographiques sur des thèmes bibliques et sur le théâtre antique. Egalement son œuvre importante de dramaturge et de philosophe. On peut certainement parler d’un multi talent.

Les cartels gris en petits caractères sur les murs blancs sont peu lisibles. Pourquoi un tel choix ? 

Encore un mot...

Des trois grandes figures de cette époque, Klimt, Schiele et Kokoschka, seul ce dernier a traversé tout le XXe siècle, de 1886 à 1980. Son œuvre s’est façonnée sous l’influence de la Sécession, des deux Guerres mondiales, de la Révolution russe, l’après-guerre, la modernité et l’expressionnisme annonçant le XXIe siècle. Klimt et Schiele sont morts tous les deux en 1918, victimes de la grippe espagnole.  

Une recommandation aux visiteurs : ne manquez pas la petite salle-vidéo où plusieurs extraits d’interviews donnent chair à toute cette vie au long parcours de l’artiste et son incessante ardeur à la recherche de l’âme humaine.

Une illustration

Une phrase

« Si Kokoschka acceptait un qualificatif, c’était celui d’expressionniste, dans sa volonté de traduire par la peinture ses états d’âme et ceux de son époque. A ce titre, l’engagement dont il a fait preuve transparaît dans chacune de ses œuvres et situe l’artiste comme un témoin essentiel de son temps et de ses transformations. » Texte  de présentation de l’exposition.

L'auteur

Oskar Kokoschka nait le 1er mars 1886 à Pöchlarn, une petite ville sur les bords du Danube en Basse-Autriche. Après le courant du Jugendstil, que Kokoschka réfute, il devient une des figures-clés de l’expressionnisme autrichien. Peintre, poète, écrivain, laissant aussi des essais philosophiques importants. Ses œuvres de dramaturge ont influencé jusqu’à Beckett et Ionesco.

Études à la K&K Académie des Arts Appliqués de Vienne, à l’époque un centre international de la jeune avant-garde. Dès 1907, il rejoint la « Wiener Werkstätte » (inspiré par l’Arts & Crafts en Angleterre), il fabrique des affiches, des cartes postales et se produit dans le cabaret « Fledermaus » créant un théâtre de marionnettes. 

Son mécène Josef Hoffmann, commissaire de la " Internationale Kunstschau" de 1908 aide le jeune Kokoschka à faire ses débuts dans l'exposition. Le livre de contes "Die träumenden Knaben" (1908), traitant du mythe d’ "Amor und  Eros"  de manière crue, dont il écrit également le texte, fait scandale et OK devient soudainement célèbre. En 1909 , première de son drame "Meurtrier, espoir des femmes", considéré comme l'une des premières pièces de théâtre expressionnistes. Le thème, basé sur la lutte des sexes, provoque à nouveau un scandale.

Début de l'amitié avec l'architecte Adolf Loos, qui l'introduit dans les cercles d'avant-garde viennois autour de Karl Kraus, Peter Altenberg et Arnold Schönberg. Le lien avec Adolf Loos est resté très intense jusqu’à la fin.

De 1912 à 1914, liaison passionnelle avec Alma Mahler, veuve de Gustav, et elle-même compositrice. Après la rupture, et après les horreurs vécues de la guerre, Kokoschka fait fabriquer en 1918 une poupée de taille réelle à  son effigie... et finit par lui couper la tête .

En été 1916, Kokoschka s’engage sur le front de l'Isonzo en Italie. Après sa convalescence, il s’installe à Dresde où il fait partie de la bohème artistique avec des écrivains, des acteurs et des metteurs en scène. Son talent de dramaturge y trouve un terrain très stimulant et lui permet de jouer plusieurs de ses pièces dans des théâtres de la ville. 

En 1953, il crée la "Schule des Sehens", aujourd'hui "Internationale Sommerakademie", à Salzbourg (jusqu'en 1962). Le triptyque "Les Thermopyles" est réalisé en 1954 pour l'université de Hambourg, auparavant il a été présenté dans de nombreuses expositions. Décor de théâtre pour la "Flûte enchantée" de Mozart au festival de Salzbourg.

En 1955, à Vienne, une grande exposition a lieu à la Sécession dans le cadre des célébrations du traité d'État et de l'ouverture de l'Opéra national, que Kokoschka peint en 1956. En 1958, la maison des artistes de Vienne accueille la plus grande exposition de Kokoschka à ce jour. Il continue toutefois ses voyages fructueux sur le plan artistique en Grèce et en Italie. 1960 Remise du prix Erasmus avec Marc Chagall.

Il s'éteint à Montreux en 1980 à l'âge de 94 ans.

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