Le Roi est nu

Toute ressemblance avec des personnages connus serait le fruit du hasard ou « comment éviter de prendre des vessies pour des lanternes ». Une satire féroce de notre société.
De
Matthieu Falcone
Albin Michel Parution le 3 janvier 2024 400 pages
22,90 €
Notre recommandation
3/5

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Thème

Livre de politique fiction ou roman politique, l’ouvrage de Matthieu Falcone présente et fait vivre avec humour et suspense une solution, ou même la solution, pour sortir la République de l’ornière dans laquelle elle se vautre depuis des années et pour guérir les responsables politiques de l’impuissance qui va de pair. Après deux quinquennats à la présidence de la République, Michel décide de restaurer la monarchie en devenant le roi Michel Ier.
Il annonce la couleur en lançant un référendum sur ce projet : « Ce sera avec moi, votre roi ou sans moi ! » Il espère remettre de l’ordre dans un pays en proie à des tensions insoutenables.

La situation de Michel est tout à fait inconfortable en effet. Il est envié par son éminence grise, inquiété par un infiltré dans les sphères anarcho-royalistes, parasité par une jeune et jolie identitaire, contesté par les militants de la gauche antilibérale et un  influenceur d’extrême droite. Est-ce que le roi Michel va réussir à conserver son trône ? Tel est le fil rouge de ce livre, féroce satire radicale de la société contemporaine. Il s’agit bien d’une œuvre de politique fiction inspirée de faits et de personnages réels. Un exemple criant de vérité (même si la situation s’est brutalement cristallisée à l’aube des Européennes) : « Michel avait aspiré dans son cyclone tout ce qui avait tenté de l’approcher. Il n’en restait à peu près rien debout. Aussi rampait-on !». Du moins un certain temps : ce roi-là était peut- être trop beau pour être honnête !

Points forts

Le lecteur est plongé d’emblée dans l’univers trouble des intrigues et des rivalités politiques très contemporaines. Les portraits au scalpel des opposants notamment de El Modjo, influenceur  et Youtuber aux 5 millions de vues, qui, comme son nom ne l’indique pas, est un royaliste haute époque descendant des mérovingiens. On l’appelle dans son petit groupe le Wisigoth. Pour lui, un roi c’est un personnage sacré (et à Reims pourquoi pas !). C’est clair, Michel premier est un usurpateur. El Modjo le fait savoir dans une vidéo assassine qu’il a postée sur les réseaux sociaux.

Chapitre suivant : on va faire un tour chez les gilets jaunes « graines de Zadistes ». Ceux- là sont attendrissants de naïveté,  écolos dans l’âme retranchés quelque part dans les Alpes de Haute Provence ; ils vont se faire littéralement défoncer par les barbouzes du roi Michel. Le passage à tabac - ils en cultivent d’ailleurs - est un morceau d’anthologie digne du roman le plus noir de Chester Himes ou de James Hadley Chase ; les gendarmes de Forcalquier  avaient repéré qu’ils pouvaient rassembler tous les culs-terreux alentour, tous les « pouilleux smicards »  rejetons de Notre Dame des Landes qui ne pensaient qu’à foutre en l’air le pouvoir en place.

Après ce morceau de  bravoure haut en couleurs, direction Marseille à la rencontre d’un groupe (!) de jeunes identitaires dangereux pour le pouvoir car animés par une vraie doctrine et une pensée politique. Sa figure de proue, son héroïne, est la jeune et enthousiaste Floriane Martelli. Dès le premier tiers de l’ouvrage on aura cerné le credo politique de l’auteur qui convoque Rodolphe Crevelle, Bernanos, Bainville, Maurras… Une longue conversation à la chandelle entre Floriane et Antoine Deconcourt, écrivain  activiste et plume du roi, va permettre au lecteur de juger des mérites d’un système monarchique, « un mort qui ne pense qu’à revenir », et à Antoine Deconcourt, de goûter au plaisir de la chair tout en rêvant. La monarchie ? Certes, mais Michel Ier fera t- il un bon roi, un roi légitime et non un dictateur, fusse-t-il éclairé? Toutes les hypothèses sont sur la table, tous les complots sont permis ! Lequel l’emportera? Le thriller va prendre le pas sur l’essai politique. Effet de surprise  garanti.

Quelques réserves

  • Malgré une intrigue bien ficelée avec son lot de rebondissements inattendus ce roman dystopique aux frontières du réel souffre d’une profusion de détails et d’aventures parallèles, faisant un amalgame de toutes les forces centrifuges voulant mettre à bas l’organisation du pays, pour permettre au lecteur de s’engager et de se passionner d’un bout à l’autre du livre.
  • L’écriture, peut-être trop riche, manque de rythme, les thèmes politiques sont redondants et les scènes de chaos urbain répétitives. Sur le fond, le concept de la prise et de la sauvegarde du pouvoir, intéressant en soi, nous rappelle son traitement par un Marc Dugain ou un certain  Michel Houellebecq,  mais avec moins d’émotion, de lyrisme ou même d’humour.

Encore un mot...

… pour rappeler l’origine de l’expression qui donne son titre (bien trouvé) à l’ouvrage de Matthieu Falcone. C’est donc le conteur danois Christian Andersen bien sûr qui inventa l’histoire et créa le personnage révélant au monde et au public la naïveté d’un roi qui se prétendait très élégant. Un beau jour, deux charlatans arrivèrent dans  la capitale d’un royaume très lointain. Ils prétendaient savoir tisser une étoffe que seules les personnes très bêtes et très incapables ne pouvaient pas voir. Ils proposèrent donc au souverain de ce royaume de lui confectionner des habits de ce type.

Le roi pensa naïvement que ce serait là un bon moyen de repérer les personnes intelligentes de son royaume. Les charlatans se mirent alors au travail. Quelques jours plus tard, l’empereur curieux vint voir où en était le tissage de ce fameux vêtement : il ne vit rien car n’y avait rien. Il décida de n’en parler à personne, bien sûr, car personne ne voulait d’un roi idiot. Il envoya plusieurs ministres inspecter l’avancement des travaux, ils ne virent rien non plus et n’osèrent pas l’avouer. Enfin les escrocs décidèrent que l’habit était prêt, ils aidèrent le roi à l’enfiler. Ainsi «vêtu» et accompagné de ses ministres, le souverain, très fier, se présenta à son peuple qui, lui aussi, prétendit ne rien voir de surprenant. Cependant un petit garçon osa dire la vérité : « Mais le roi est tout nu ! ». Tout le monde s’aperçut qu’il avait raison. Le roi comprit qu’il s’était fait berner. Une jolie métaphore, très actuelle, et qui inspira l’auteur

Une phrase

[Floriane, p. 290 (on est proche du dénouement)]

“ Il est temps de soulever la nappe du festin et de mettre au jour tout ce peuple qui quémande les miettes sous la table et que l’on chasse à coups de pied, à coups de chien. Les Français vont voir ce que l’on tient à leur dissimuler : non seulement les restrictions et la sobriété imposées ne valent pas pour tous, mais encore à cette table, le roi est nu et nul n’ose le lui dire.”

L'auteur

Matthieu Falcone est né en 1982 et vit en Provence près de Manosque. Il a écrit avant Le Roi est nu deux ouvrages : Un bon Samaritain (Gallimard, 2018) et Campagne (Albin Michel, 2021). L’amour de la nature et sa proximité avec la France profonde constituent la source de son inspiration.

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