Le roman de Jeanne d’Arc

De
Philippe de Villiers
Editions Albin Michel
Notre recommandation
3/5

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Thème

Comment un ancien Chouan devenu, par la grâce du Concordat et de la paix revenue, un petit maire respecté dans la campagne vendéenne rencontre l’empereur Napoléon et voit sa vie tranquille basculer dans la plus meurtrière des guerres de l’Empire à cause d’un mot malheureux. Nous sommes le 8 août 1808 au lieu-dit les 4 chemins de l’Oie, non loin de Montaigu, sur la route de Nantes. L’Empereur, flanqué de son ministre Monsieur de Talleyrand, visite les anciens rebelles de l’Ouest, ennemis acharnés de la République, pour venir fêter la naissance de la Vendée nouvelle et célébrer en quelque sorte le grand pardon après ce que certains historiens appelleront le plus grand génocide de l’histoire de France. Force munificences et prébendes, reconstructions spectaculaires (une nouvelle ville « Napoléon », renommée La Roche-sur-Yon, voit le jour) sont au menu. L’Empereur est venu pour réconcilier tous les Français qu’ils soient Bleus ou Blancs. L’Empereur ouvre sa cassette à tout va ; chacun aura sa récompense en échange de son allégeance. Après le Napoléon libérateur, voici le Napoléon réparateur. Hélas, un incident de parcours va gâcher la fête et assombrir l’avenir d’un courageux citoyen, élu du peuple de surcroît. A l’Empereur qui lui demandait de quel côté il avait combattu le maire du lieu, Jean Rogronille, répondit franchement : « Je suis neutre, je suis pour la neutralité, pourquoi combattre ?» Napoléon, impérial, le foudroya : « Vous n’êtes qu’un jean-foutre ». L’histoire fit le tour du pays jusqu’à Nantes. Le malheureux maire de Sainte Florence, surnommé désormais le jean-foutre, fut contraint de s’engager dans la Grande Armée et de combattre jusqu’à Moscou. Ardeur au feu, malheur aux neutres, conclut l’auteur.

Jusqu’à Borodino et la Bérézina, notre héros, passé du noble métier de luthier à l’oreille absolue à la fonction de simple joueur de fifre du régiment, va avoir tout le loisir de s’en rendre compte, au son des canons. Bientôt, son bataillon entier fut fait prisonnier par les Cosaques mais, miracle, les Vendéens furent libérés, mieux, encensés par le général Svetchine qui nous rappela les liens étroits qui existaient autrefois entre Monsieur de Charette et le grand général Souvorov (héros national mort en 1800, grand protecteur de l’émigration française) et la correspondance entre ce dernier et le généralissime de l’armée Catholique et Royale.

Les Blancs royalistes avaient été les alliés, dans l’esprit tout au moins, 15 ans auparavant, de la sainte Russie contre les armées révolutionnaires. Catherine II elle-même fut sollicitée pour soutenir « les cosaques de France » jusqu’à sa mort. Mais le temps passe. Louis XVIII, après les 100 jours, est revenu au pouvoir. « Blanchi de tout », Jean Rogronille est rentré en France avec ce qui reste  de la troupe de grognards épuisés. C’est la « retirade » finale. Mais l’aventure va continuer jusqu’à la Valse des Adieux en passant par une certaine ballade polonaise et une rencontre miraculeuse. 1850, la « Pibole*  éteint la chandelle ». Louis-Philippe, « le roi des Barricades » va passer à la trappe à son tour. 1853, c’est l’extinction des feux pour le dernier des Chouans qui, le violondaulne à l’épaule, emporte avec lui « un monde aboli ». 

* La petite fiancée vendéenne réfractaire ainsi surnommée car elle jouait fort bien de ce cor de vénerie.

Points forts

Ce pseudo roman jalonné de faits historiques restitue brillamment une époque post-terreur, sorte de prolongement de l’histoire dite de la Vendée militaire et de ses carnages. Elle est tout aussi  héroïque et plus complète, puisqu’elle nous conduit jusqu’à la folle aventure de la duchesse de Berri et de ses amazones. Le livre,  richement documenté - une bibliographie s’étale sur plus de 12 pages à la fin de l’ouvrage - est animé par une flamme épique et nourri par l’amour des valeurs propres tant au peuple vendéen qu’aux familles aristocratiques du bocage au nom du fameux « Pour Dieu et pour le Roi ».  Le « Vicomte »  a un réel talent d’écrivain et de « metteur en scène ». Les   anecdotes sont bien troussées et les caractères bien trempés. En témoigne la tragédie de la retraite de Russie, la destinée de « Monsieur Henri », feu Comte de La Rochejaquelein, le généralissime des armées blanches de l’après Charette, la résurgence (modeste et éphémère) sous Louis-Philippe de la conjuration initiée par la duchesse de Berry, royaliste légitimiste acharnée,  ainsi que les aventures rocambolesques de Félicie de Duras, épouse d’Auguste, frère d’Henri, compagne d’armes haute en couleurs et intrépide de la duchesse.

Quelques réserves

L’abus du patois, couleur locale garantie certes, mais pour bien comprendre cette ancienne «parlure» comme le dit Philippe de Villiers, il faudrait un lexique à portée de main. Le lecteur n’a pas à ses côtés, comme l’auteur, un ami « puyfolais » pour lui remettre « en goule » le patois vendéen malgré un certain cousinage de celui-ci avec le « gallo », parlé en Haute Bretagne par les anciens et qui résonne encore à nos oreilles (!)

La séquence finale de la Valse des adieux, coïncidence  romantique de cette rencontre « Musique au fusil», est  émouvante mais d’une écriture plus plate, avec des dialogues un peu forcés. Il manque ici indéniablement le son du piano ! Cette valse polonaise de Chopin, inspirée par le petit héros de la Moskova, mériterait à notre sens une envolée lyrique plus consistante. Frédéric et Jean tombent dans les bras l’un de l’autre, mais  ces retrouvailles improbables devant la cour entre le maître devenu phtisique, rescapé du champ de bataille 30 ans auparavant et notre fifrelin qui l’avait sauvé, est par trop romanesque. Dommage.

Encore un mot...

Philippe de Villiers creuse le sillon tracé à l’occasion de son précédent Charette. Il n’a pas son pareil pour glorifier le courage d’un peuple martyrisé. Sans avoir la précision glaçante d’un Raymond Sécher, spécialiste incontesté et inventeur du concept de « mémoricide », ni le pittoresque de « Les Chouans », le premier roman de Balzac écrit à Fougères (1829), son livre nous transporte dans un autre monde de chair et de sang à la rencontre d’acteurs héroïques, telle cette fameuse « Hussarde », issus de tous milieux constituant une fraternité vendéenne exemplaire.

Villiers se garde de descriptions sanguinaires et trop dramatiques pour se consacrer à l’Homme, ses convictions, ses souffrances au travers d’une vision très romantique. Et sa plume a du panache. Mais si on veut suivre au jour le jour les pérégrinations des acteurs des guerres de Vendée on aura plaisir à se plonger dans le livre remarquable d’une contemporaine : Les mémoires de la Marquise de La Rochejaquelein (1772 -1857) édité au Temps retrouvé (Mercure de France).

Une phrase

 « Ah, le « jean-foutre » Parlons- en… Je voudrais bien savoir qui est, en ce moment, le vrai jean- foutre. Celui qui marche au fouet sans fin vers une mort prochaine ou celui qui somnole au chaud dans une voiture à patins, accablée de coussins de velours ? On peut dire qu’il y a deux jean-foutre siamois : le Jean foutre d’en bas avec son fifre tremblant, qui va finir transi et le jean-foutre d’en haut, avec son sceptre vacillant, qui a peut- être déjà rejoint ses appartements. » (p 374La Berezina, janvier 1813).

L'auteur

Philippe de Villiers (Le Jolis de Saintignon), dit le «  Vicomte », né en 1949, est issu d’une authentique famille de moyenne noblesse de Vendée. Ses faits d’armes (pacifiques) tant politiques que culturels sont notoires. Ses convictions, son regard sur la France et l’Europe, sur la société et la religion, le classent hors normes. Il  fonde un parti,  Le Mouvement pour la France, mais ne réussit pas à fédérer certains poids lourds de la politique autour de lui. A sa sortie de l’ENA,  il rentre dans la haute fonction publique (sous-préfet), puis se fait élire Président du Conseil Général et député pendant  une quinzaine d’années.

Jacques Chirac l’adjoindra à Philippe Léotard comme Secrétaire d’Etat à la culture. Il préfèrera s’attacher à faire briller le lustre du château de Versailles plutôt qu’à promouvoir les colonnes de Buren. Son fait d’armes sera la création des spectacles du parc du Puy du Fou, une affaire de famille, financée par le Conseil Général, et qui maintenant s’exporte brillamment. Il se présentera deux fois avec peu de succès aux élections présidentielles. En littérature, il réussit mieux. Érudit et féru d’histoire, il écrit nombre d’ouvrages qui rencontrent le public : chez Albin Michel, Le Roman de Charette, Le roman de Saint Louis, Le roman de Jeanne d’Arc, Le mystère Clovis (2018),  Le Jour d’après (2021). Chez Fayard, Les Gaulois réfractaires demandent des comptes au nouveau monde (2020). Et bien avant, cet Ecoroyaliste avait écrit  Quand les abeilles meurent, les jours des hommes sont comptés  (2004).

Ci-dessous les chroniques Le Roman de Jeanne d'Arc et Les Gaulois réfractaires demandent des comptes au nouveau monde

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