Stanislas

10 ans d’enfer pour le jeune Liberati ! Il en est sorti mais pas indemne
De
Simon Liberati
Grasset
février 25
224 p.
20€
Notre recommandation
3/5

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Thème

Culture-Tops avait déjà chroniqué et apprécié, ou simplement lu, plusieurs livres de Simon Liberati, figure de Saint-Germain-des-Prés, ami  de Beigbeder, tous deux familiers des milieux interlopes et adeptes de certaines substances. C’est l’auteur des Démons, de La Hyène du Capitole et d’Eva, un Liberati  flamboyant,  à l’écriture fluide et incisive, cultivant son goût de la provocation.

Ici, c’est l’autre versant, à l’opposé, du même personnage que l’on  retrouve, un petit Simon, timide et introverti, dans une biographie qui débute à  5 ou 6 ans. Depuis la 11eme  on suit  le « cursus » de ce rejeton choyé mais meurtri, d’un couple d’enseignant et d’artiste « petits bourgeois ». Il est externe au célèbre collège Stanislas, niché au cœur du sixième arrondissement, établissement qui a été l’objet il y a peu,  d’une violente polémique. Pauvre petit Liberati, il a souffert mille morts derrière les hauts murs de ce vénérable établissement de la rue Notre-Dame-des-Champs. C’est un comble et c’est le thème de cet ouvrage autobiographique. En un mot, vous l’avez compris, ce thème c’est le harcèlement,  Pas sexuel mais quand même. « 10 ans d’enfer » pourrait-être le sous-titre de ce Stanislas.                                                                                                                               

Grâce à Dieu, façon de parler, son style narratif teinté d’un humour décalé et nonchalant évite au lecteur d’être dupe de la critique systématique et forcément injuste avec laquelle l’auteur accuse le prestigieux collège,  coutumier il est vrai de pratiques pas trop catholiques (on se sépare au bon moment des élèves peu certains d’obtenir leur bac !) mais pardonnables.

On n’est pas à Bétharam, que diable !
C’est au moment où nous bouclons cette chronique que paraît dans la presse le réquisitoire contre Stan, adouci, diligenté par la justice, suite à quelques plaintes (coïncidence ?)

Points forts

Authenticité, sincéritéAussi surprenant que cela puisse paraître, compte tenu de ses expériences personnelles dont il se fait l’écho dans ses autres ouvrages, Simon Liberati a vraiment souffert de son éducation psycho rigide et des brimades de la part de ses comparses nantis et arrogants, pourtant compensés par l’amour maternel et l’image du père, poète surréaliste à ses heures.

Emotion et culture. L’émotion par la culture, devrait-t-on dire. Passée une première cinquantaine de pages assez anodines, on touche du doigt et on découvre enfin le véritable péril qui menace, aux dires de l’auteur, certains adolescents qui passent par Stan ou ses équivalents, il appelle cette menace (nous comprenons le péril de la noyade) le « perdre pied», belle métaphore !  Le talent de Simon Liberati émerge dans la  solution proposée : on s’en sort par la littérature. Pour Simon il y a plusieurs accès à cette littérature à commencer par les amis de ses parents, très cultivés. On parle chez eux de Chardonne, de René Char, de Nicole Cartier-Bresson et d’Henri du même nom, de Pierre-Jean Jouve, tous ces noms se mélangeant avec les patronymes des gens ordinaires. On revisite les vieilles demeures où l’auteur a vécu avec ses parents. On tombe sur de vieilles bibliothèques, on y trouve quelques volumes, non coupés, de Gérard de Nerval, de Montaigne.  La première insomnie de Simon Liberati enfant survient dans un petit cabinet de lecture. C’est « Du côté de Guermantes » qui l’a empêché de tomber dans les bras de Morphée, d’où l’évocation de Proust qui habite en permanence ce Stanislas aux côtés de Dickens et de Tolstoï. Dans ce passage qui leur fait remonter le temps, les Liberati avec leurs amis écrivains vivent un enchantement et nous même ressentons une jubilation nostalgique.      

Sa madeleine de Proust, c’est, paradoxalement, le temps des copains. Simon Liberati ouvre l’album de photos souvenirs des relations avec des camarades aux noms ronflants. Dans son style léger, inimitable, il évoque ainsi son grand ami, Jean-François Jarvis, dont le père était le président du GAN, « ils habitaient au-dessus du café de Flore (le hasard fait bien les choses) ou bien Xavier de Lamotte Bouloumié, fils du propriétaire des eaux de Vittel, beau garçon sportif. Et puis, il y avait quand même des moments de bons souvenirs, par exemple, la projection du film  Jesse James le samedi après-midi avec Tyrone Power et Henri Fonda.  Lecture et promenade furent les vrais plaisirs de son enfance bercée par Balzac et Jules Verne. Une enfance normale en quelque sorte                          

Conclusion : le drame du petit Simon, ce fut le décalage entre sa vie douillette dans le cocon familial et la rigidité des principes de la bonne éducation, appliqués par les éducateurs chrétiens, associée à la culture du résultat. Pour réussir à Stan il faut en être, faire partie de la famille … sinon il y a rejet et les enfants le sentent ou le savent bien. La plupart en sort reconnaissant, mais Simon Liberati pas du tout. Heureusement, ce qui se passe à la maison des Liberati donne lieu à des réflexions d’ado et des échanges subtils et  troublants tels les rapports fusionnels avec sa mère ou ses confrontations avec un père « absent » et décalé mais bienveillant (il a du talent aux yeux de Simon, mais lequel ? Peut-être de ne pas en avoir !)

Un style élégant, immersif, corrosif parfois, avec une approche favorisant introspection et confidence. L’écriture, qui mélange souvenirs personnels (à profusion) avec un zeste d’amertume  et les références littéraires (bien choisies), nécessite attention, voire une grande vigilance

Quelques réserves

On a du mal à compatir vraiment sinon lors des rapports laborieux avec les filles (à la fin heureusement). Simon Liberati a beau évoquer une fois, mais n’était-ce pas un cauchemar, quelques effleurements suspects de la part d’un professeur, ou de convoquer dans sa charge contre le collège le témoignage d’un hussard oublié, Stéphane Hecquet, intime de Roger Nimier « homosexuel pétainisé », Stanislas n’avait rien d’un bagne ni d’une « galerie de monstres ». Quant à l’enseignement de l’anglais « incarné à jamais par Mademoiselle Noël, effrayante vendeuse de grand magasin » (Le Bon marché est à trois cents mètres), c’est trop vraisemblable pour être vrai. L’auteur nous avait accoutumé à un humour plus fin.

Encore un mot...

Surprise,  surprise (une petite anecdote) L’année du bachot ne se passera pas, pour Simon, au Collège Stanislas. Trop paresseux, trop dilettante, aucune chance. Le petit Simon est donc renvoyé, statistiques obligent. Et où va-t-il échouer ? Au cours Marcel Proust ! L’auteur de ces lignes jure qu’il a écrit cette chronique avant de le savoir, et comble du comble ce chroniqueur de Culture-Tops a aussi  connu l’exquise et imposante Madame Bénichou, la directrice de cette école et maman du célèbre chroniqueur-auteur Pierre Bénichou. L’histoire dit que l’élève Liberati a fini par  décrocher… son bac littéraire avec mention passable, ce « qui fit pleurer de joie madame Bénichou » tandis que sa professeure de latin, « rousse et adipeuse » l’avait menacé : « Si vous avez votre bac, il n’y a pas de justice ». Ce n’est pas toujours très drôle, les livres de Liberati, mais on rit bien, parfois !

Une phrase

« Stephen Hecquet  a écrit un livre sur Stan, Les Collégiens, un titre sobre bien dans sa manière, moins séduisant que Les Amitiés Particulières et sûrement plus sombre. Hecquet, ce moine soldat dont Anne-Marie Cazalis raconte qu’en visite chez elle  il préférait dormir par terre dans la cuisine n’a pas, lui non plus, une bonne opinion du collège où il fut pensionnaire à la fin des années 1930 avant de rejoindre les décombres de l’armée défaite, puis les chantiers de jeunesse maréchalistes où il fut par contre très heureux ».(p.99) 

L'auteur

Figure emblématique et défrayant la chronique du petit monde germanopratin, Simon Liberati s’est lancé dans la littérature grâce à son ami Frédéric Beigbeder. Il a écrit plusieurs ouvrages dont certains ont récolté des prix prestigieux mais pas de tirages faramineux (il le regrettera) Exemples : son deuxième ouvrage, Jayne Mansfield (le drame de sa mort) qui reçut le prix Femina en 2011,  dix ans plus tard Performance, qui obtint le prix Renaudot en 2022. Entre-temps, L’Hyper Justine, prix de Flore, Eva, inspiré par sa femme, Eva Roudinesco qui avait tenté de l’assassiner d’ailleurs, California Girls (le massacre de Sharon Stone et de ses amis), Les Démons, suivis de La Hyène du Capitole, chroniqués et également appréciés par l’auteur de ces lignes. Simon Liberati a aujourd’hui 65 ans.

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