Charlotte

La mission sacrée et rédemptrice de l'art
De
David Foenkinos
d'après l'autobiographie de Charlotte Salomon
Mise en scène
Muriel Coulin
Avec
Joël Delsaut, Yves Heck, Jean-Christophe Laurier, Marie-Anne Mestre, Mélodie Richard, Nathalie Richard
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Théâtre du Rond Point
2 bis, Avenue Franklin D. Roosevelt
75008
Paris
144959821
Jusqu'au 3 février, à 21h

Thème

L'histoire vraie de la vie d'une artiste brisée, aussi vraie que la vie d'Anne Franck

Charlotte Salomon est artiste peintre juive, figurative ; elle n'a que 20 ans en 1937. Douée et déjà connue, elle se bat en Allemagne, son pays, au cours de ces années de plomb, pour sa vie , pour son œuvre, pour son art que l'on a vite fait de classer dans la catégorie "art dégénéré", au plus noir du nazisme triomphant.

Elle est exclue progressivement de la société et des sphères intellectuelles de Berlin jusqu'à ce que sa famille l'envoie dans le sud de la France en 1939, par sécurité ; les ténèbres approchent sur l'Europe,  elle laisse derrière elle une famille brisée et décomposée, frappée par une sorte de malédiction héréditaire, elle en porte d'ailleurs les gènes mortifères ; pour ne pas sombrer, et c'est là le plus remarquable, elle veut  "créer quelque chose de fou et de singulier", elle va peindre près de 1000 gouaches avec l'énergie de l'espoir, accompagnées de textes et d'indications musicales.  Elle en fera un recueil, une sorte de roman graphique, un "Singspiel" - dit plus joliment dans la langue de Goethe - avec ce titre questionnement : "Vie ? Ou Théâtre ?".

Elle sera arrêtée en 43, dans la zone ex libre, et mourra à Auschwitz, assassinée avec son mari, à 26 ans, quelques mois plus tard. Elle était enceinte ; elle avait eu le temps de confier à son médecin  son "Singspiel", tel un testament, avec sa recommandation prémonitoire :  "Prenez en soin, c'est toute ma vie". Ses peintures sont exposées dans de nombreux musées. David Foenkinos en a fait un livre (Prix Renaudot 2014).

Sa vie, son œuvre, ses malheurs, ses obsessions, son combat, son courage... C'est "CHARLOTTE" sur scène, portrait vivant d'une femme exceptionnelle et évocation , en peinture, d'un destin tragique ; seules sa détention et sa mort seront gommées ici, et c'est sans doute tant mieux.

Points forts

- Au cœur de l'émotion, une émotion indicible devant le tableau vivant de tant de malheurs et de souffrances et confrontée à deux questions : pourquoi cette filiation dans le désir de mort (on s'abstiendra ici d'en décrire les détails accumulés) au sein d'une famille tant aimée : comment est ce possible, comment résister,  et surtout comment en réchapper?

- Le message perçu: : peut être Durkheim a-t-il la réponse à la première question mais c'est Charlotte qui trouve dans l'art et la création la réponse ultime, le rempart à l'angoisse profonde, au désespoir, à la dépression er au "lâcher prise" . On a tant associé la peinture , impressionniste notamment, à l'emprise de la folie ou de ses ingrédients que l'on est subjugué par son pouvoir ici rédempteur et restaurateur de l'équilibre de l'esprit.

- La performance de l'interprète de Charlotte, Mélodie Richard, qui incarne à la perfection le caractère complexe et fort de l'artiste Charlotte qui croit désespérément à la vie et essaye d'échapper à l'enfermement des morts-vivants qui composent sa famille. Un moment très intense ?  C'est lorsqu'elle est au chevet de sa grand mère adorée, au bord de la folie... et de la défénestration, non à Berlin mais à Villefranche-sur -mer, en France même, ultime étape de sa propre vie de femme libre

- La mise en scène, qui par quelques moyens techniques modernes (vidéos grand format) devenus fréquents aujourd'hui mais ici suffisamment décalés pour engendrer surprise et admiration, sublime le traité ensoleillé, par contraste avec la noirceur du contexte, des œuvres de Charlotte Salomon ; tranches de vies et de morts , croquées à la Egon Schiele, et colorés dans la lignée des grands expressionnistes allemands des années 20.... , sons, images scènes et personnages multiples, tout reste fluide, les séquences s'enchainent comme au cinéma

Quelques réserves

Il y a dans tout des passages moins forts : le démarrage est difficile, la multiplication des personnages  brouille la compréhension d'entrée de jeu. Au début de la pièce également, une idylle se noue entre Charlotte qui a 20 ans , et Alfred- son "Amadeus"- le professeur de chant de Paula , deuxième épouse d'Albert, père de Charlotte, et cantatrice de son état. Leur relation sera intense certes mais confusante; une parenthèse encombrante.

Encore un mot...

Bouleversant... et dérangeant ; déprimant pour certains, énergisant pour les autres, la majorité, je pense.

- Un hommage à la démarche artistique, rempart contre le "Chaos absolu"

- Une œuvre où l'on comprend que l'ennemi le plus dangereux , aussi mortel en l'occurrence que celui de l'oppresseur, c' est l'ennemi de l'intérieur !

Une phrase

"C'était l'été, Il y avait les arbres, la mer, mes couleurs, mes pinceaux et rien d'autre. Je savais tout à présent et j'avais besoin d'être seule, m'éloigner de tous les autres pour trouver ce qu'il me fallait trouver : moi même, un nom pour moi, sinon j'en finirais avec la vie" (Charlotte)

L'auteur

"Charlotte" est la libre adaptation par Muriel Coulin de l'œuvre autobiographique de Charlotte Salomon elle même, " Vie? ou Théâtre ?", dont les textes accompagnaient sa peinture, témoin de sa souffrance.

Mais, à seigneur tout honneur, c'est David Foenkinos qui en 2014 a fait renaître de ses cendres cette personnalité hors du commun dans son "Charlotte", prix des lycéens et prix Renaudot, et qui fut cette année là le roman le plus vendu en France ; rappelons que David Foenkinos est l'auteur de 15 romans traduits dans 40 langues et que l'un de ses premiers ouvrages, "La Délicatesse", publié en 2009 chez Gallimard, avait obtenu 10 prix littéraires et a été vendu à plus de 1 million d'exemplaires.

Muriel Coulin, réalisatrice et chef opératrice de cinéma, fut l'assistance de Louis Malle et a réalisé de nombreux docus pour Arte,  dont certains dédiés à l'art contemporain (prix du scénario à Cannes pour "Voir du Pays " en 2016).

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