Les Évaporés

Troublant, impressionnant: une performance, mais qui manque d'humanité
De
Delphine Hecquet
AUTEURE, METTEURE EN SCENE : Delphine Hecquet
TRADUCTION : Akihito Hirano
EN VIDEO : Kaori Ito, Oscar Suzuki Vuillot, Tokio Yokoi
SCENOGRAPHIE : Victor Melchy
REALISATION FILMEE : Akihiro Hata
Mise en scène
Delphine Hecquet
Avec
Hiromi Asai, Yumi Fujitani, Akihiro Nishida, Marc Plas, Gen Shimaoka, Kyoko Takenaka, Kana Yokomitsu
Notre recommandation
3/5

Infos & réservation

Théâtre de la Tempête - salle Copi
La Cartoucherie de Vincennes - Route du Champ de Manœuvre - 75012 Paris
01 43 28 36 36
Jusqu'au 23 juin. Du mardi au samedi à 20h30 - dimanche à 16h30

Thème

Au Japon plus de cent mille personnes disparaissent officiellement chaque année. En fait, on parle officieusement de 180 000 personnes envolées, sans message ni adieu, sans  laisser de traces , volontairement.  A tel point qu'au pays du Soleil Levant on les appelle les Evaporés (johatsu) . Pourquoi disparaissent-ils ? Qui sont-ils ? Quel est le moteur de leur acte ? Et surtout que deviennent- ils, pour ceux que l'on réussit quelque fois à retrouver ? Reportage.

Un journaliste français vidéaste décide de partir à la rencontre de ces Evaporés, de ces familles qui ne peuvent faire leur deuil et de mener l'enquête dans un sorte de micro- caméra- trottoir de la solitude et de l'incommunicabilité. Mi-thriller mi-étude sociologique, ces Evaporés nous plongent au cœur de la foule anonyme et engloutisseuse universelle, mais qui prend ici un relief particulier car placée sous le prisme violent et déshumanisé de la société japonaise. Ici, on vit (ou on ne vit plus !) dans la hantise de l'échec, de la honte, du déshonneur. Or, tout, dans ce Japon là, est prétexte à l'échec ou vécu comme tel : un divorce, un licenciement et le chômage, une réprimande dans l'entreprise, des dettes, un mensonge démasqué... D'ailleurs, on n' a pas le droit à l'erreur. Le ressort de la pièce est là : voué à l'échec, on n'a aucune chance de s'en sortir : mère abusive et culpabilisée, fille ambitieuse déçue et honteuse, employeur impécunieux, policier consciencieux et procédurier mais cynique,  personne ne vous tendra la main. Vos ex-proches , ou soit disant tels, n'ont qu'une obsession , oublier ,vous oublier, la honte au front... jusqu'à la mort. 

Constat terrible, mais demeure cependant le choix, rare, de se refaire... pour certains, de  s'évaporer vraiment car s'évaporer, en japonais, c'est se transformer. Comme l'eau qui bout et s'évapore pour éventuellement se condenser et revenir à l'état premier.

Points forts

  • La métaphore de l'eau                                                                                                                     
    La vapeur, les larmes, les pores qui transpirent, l'eau est partout, dans l'état liquide ou gazeux et  même solide, en glaçons dans le verre de whisky, japonais bien sûr, qui ouvre le premier tableau dans une ambiance de fin du monde. L'eau à toutes  les sauces. Un jour, cette jeune femme découvre que son père, qui vient de s'évaporer, a laissé une baignoire remplie d'eau. Sa fille, qui ne le déteste pas encore, avoue au policier avoir bu les quelques litres d'eau restant au fond de la baignoire avant que celle-ci ne se vide petit à petit : "Je ne voulais pas le voir disparaitre complètement mais j'en suis tombée malade juste après",  jusqu'à ce que cette eau biologique s'écoule par les pores de sa peau. Oui, le jeu dramatique s'évapore parfois en force poétique.
  • La mise en scène                                                                                                                                                               
    Originale, dynamique, au service du drame. Les allers et retours entre les témoignages vidéo grand écran qui sont de belle facture (comme dans un bon thriller) et les scènes réalistes au premier plan, les meilleures étant les interrogatoires menées par un fonctionnaire inspecteur de police blasé, obsédé par la procédure, paternaliste sur les bords                            
    La scène est coupée dans la largeur par une paroi translucide la séparant en  deux. C'est astucieux, quoique déroutant, car cela permet de suivre plusieurs histoires ou plusieurs époques de la même histoire à la fois
  • Le Point Final
    Lorsqu'on s'aperçoit, interview vidéo à l'appui, que toutes ces pérégrinations, ces échappées volontaires vers une, deux, trois vies ne seraient pas possibles sans le concours "d'évaporateurs professionnels ", ex-évaporés eux mêmes, qui en font un métier fort lucratif.  Le scabreux et le tragique ne sont pas ici dénués d'humour.

Quelques réserves

  • La froideur
    Jeu mécanique, scènes répétitives, démonstration implacable certes mais sans humanité ; la compassion devrait pourtant nous étreindre notamment devant ce père blanchi sous le harnais, broyé par l'entreprise , fuyant la société et les siens  par choix suicidaire, abandonné malgré sa repentance et qui pleure toutes les larmes de son corps jusqu'a la fin. Absence d'émotion donc, peut être du fait du parti pris de la langue, japonaise de bout en bout, traduite en surtitrage. Mais la crédibilité de ce "reportage" est sans doute à ce prix.
  • La profusion qui mène à la confusion. Trop de personnages, trop d'histoires vécues qui s'enchevêtrent , le spectacle, vivant certes, manque de concision, d'autant que le principe de la mise en scène mêlant sur le même plan, dans la profondeur du plateau, rêve (ou cauchemar) et réalité, enregistrement filmé et gestuelle théâtrale (on chante du David Bowie et on danse le rock aussi..) nous fait perdre le fil rouge parfois

Encore un mot...

Qui n'a imaginé au moins une fois de claquer la porte sur sa vie, de remettre ses compteurs personnels à zéro. Les Evaporés, fondé à la fois sur des faits réels et des histoires fictives,  n'est ni un documentaire exotique ni un pur reportage. C'est un spectacle "immersif" de théâtre à portée universelle, c'est le spectacle de notre vie, c'est en ce sens qu'il nous touche, même si au pays du Soleil Levant le "suicide social " est un phénomène culturel identitaire d'une toute autre portée. Là bas,  plus qu'ailleurs, la vie n'est pas un roman !          

EN JAPONAIS dans la bouche de chaque interprète, même celle du journaliste français,  et traduite en temps réel, cette pièce est une performance dans tous les sens du terme.

Une phrase

Ou plutôt trois:

  • "On ne donne pas la vie si on ne sait pas vivre la sienne"
  • "Il faut taper sur le clou qui dépasse"
  • "Vous êtes, imbéciles et manipulés, comme des chevaux derrière une carotte qui ne mène nulle part"

L'auteur

Jeune auteure -Les Evaporés est sa deuxième pièce après "Balakat", écrite à Moscou en 2012-, Delphine Hecquet, comédienne également, a été formée au Conservatoire National d'Art Dramatique. 

En 2012 elle part seule  au Japon pour étudier le phénomène des évaporations qui sera le sujet de sa pièce, créée en 2017 avec 6 acteurs japonais et un acteur français. La pièce sera écrite en français puis traduite en japonais.

Elle écrit actuellement Nos Solitudes, pièce pour 6 interprètes, qu'elle mettra en scène en 2020 à la Comédie de Reims dont elle est artiste associée.

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