Déjeuner chez Wittgenstein

Famille je vous hais, famille je vous aime: épouvantablement crédible
De
Thomas Bernhard
Mise en scène
Agathe Alexis
Avec
Yveline HAMON, Anne LE GUERNEC, Hervé VAN DER MEULEN
Notre recommandation
3/5

Infos & réservation

Théâtre de Poche Montparnasse
75 boulevard du Montparnasse
75006
Paris
01 45 44 50 21
Jusqu'au 3 mars 2019

Thème

Dans une salle à manger viennoise, aux murs couverts de portraits de famille, deux sœurs préparent le retour du frère de l’asile psychiatrique où il est interné. Elles se veulent comédiennes, lui philosophe. Ils sont surtout totalement aliénés, prisonniers d’un héritage familial qui les enferme, les détruit jusqu’à la haine. Et pourtant, chacun à leur façon ils s’aiment.

Ce n’est sûrement pas la première fois que ces retrouvailles entre héritiers de riches parents bourgeois se jouent, et que tous les sujets de conversations tournent à l’affrontement, mais aucun des protagonistes ne s’en lasse.

Profiteroles, caleçons en coton, art contemporain, théâtre et mécènes déclenchent inexorablement, avec une précision mécanique, piques assassines, saillies violents et bris de vaisselle. l’amour-haine, le génie et la folie, la haine de la famille sont au menu,  autant de thèmes et d’obsessions chers à Thomas Bernhard.

Pour mémoire : Wittgenstein est un nom très connu en Autriche, celui d’une grande famille richissime et amie des arts….

Points forts

Les acteurs. Les trois acteurs sont remarquables chacun dans un rôle difficile. Ils expriment à leur façon l’enfermement total qui les étouffe et ici ou là quelques lueurs d’espoirs et quêtes de liberté.

Yveline Hamon – la sœur ainée – enfermée dans la reproduction à l’extrême d'un modèle familial, dont elle se sent la gardienne,  y entrevoit de courts instants de bonheur.

Anne le Guernec – la cadette -  qui aimerait tellement, pour danser, aimer et jouir de tous ses sens, s’en libérer mais qui n’en a ni le courage ni l’énergie.

Hervé Van der Meulen – le frère philosophe fou -  qui profite de ce double ( ?) statut pour brûler et détruire tout ce qui l’a construit, cachant sa profonde détresse dans des colères auxquelles aucune bienséance, aucun sentiment ne résistent.

Trois acteurs formidables, au service de trois personnages détruits et destructeurs, rendent ce déjeuner épouvantablement crédible.

La pièce.  C’est un pur concentré des thèmes favoris de Thomas Bernhard. Au menu du déjeuner : haine élémentaire de la famille, rejet viscéral de la transmission et de l’héritage,  séduction de la folie et impossibilité de séparer la haine de l’amour.

C’est écrit en fulgurance et ruptures constantes de tons. Les trois personnages souffrent d’un même mal : pour eux chaque instant de paix, chaque plat du déjeuner  appelle une nouvelle vague destructrice plus violente encore, de nouveaux jets d’acide. Le texte est juste et violent, la construction rigoureuse et crédible. Malaise. Et bravo à Michel Nebenzahl pour la traduction.

La mise en scène d’Agathe Alexis. La petite salle et la proximité des acteurs qui en découle sont parfaitement adaptées à pièce. On est presque à table, comme un convive. Un convive décalé qui rit de tant de misère, mais si proche des acteurs qu’il reçoit en pleine figure les jets d’acide ou le chocolat chaud des profiteroles… Réalisme.

Quelques réserves

Quelques longueurs: La pièce ne s’anime  qu’avec l’entrée du frère dans la salle à manger – mausolée familial.

Pour qui ne connaît pas l’œuvre et les thèmes récurrents de l’auteur toute la première partie entre les deux sœurs peut être difficile à appréhender; elle prépare, dans la longueur,  l’entrée en scène de ce frère aimé. On ne voit pas toujours où Thomas Bernhard veut nous introduire. Une forme de langueur s’installe que le frère fou et philosophe va heureusement transformer en un sinistre et brillant feu d’artifice.

Encore un mot...

L’humour noir.

Kafka & Beckett

Une phrase

« La salle à manger, tout le mal est parti d'ici, père-mère-enfants, rien que des personnages de l’enfer ; tout ce qui était de quelque valeur a toujours été noyé dans les soupes et dans les sauces… »

L'auteur

L'enfance de Thomas Bernhard, enfant sans père, est faite d’errance et de maladie. Au cours de sa vie, l'écrivain a plusieurs fois « pris la direction opposée », le contre-pied de ce qu'on attendait de lui, ou se mettait à détester ses goûts et ses relations antérieures. Pur Autrichien, Thomas Bernhard n'a jamais eu de mots trop durs envers son pays, tout en enracinant une partie de sa vie dans la campagne autrichienne la plus profonde.

 Thomas Bernhard naît le 9 février 1931 à Heerlen aux Pays-Bas. Sa mère Herta, autrichienne, y travaillait comme gouvernante. En 1942, il fait un séjour dans un centre d'éducation national-socialiste pour enfants en Thuringe, où il est maltraité et humilié.

En 1947, il arrête ses études au lycée et décide « de prendre la direction opposée » : apprentissage dans une épicerie. Quand, début 1949, il est hospitalisé pour une grave pleurésie purulente, son état est si désespéré que les médecins le considèrent condamné. Son grand-père meurt brusquement en 1949, sa mère l'année suivante, et il apprend ces deux décès par hasard dans le journal. Il ne quitte l'hôpital qu'en 1951, mais reste malade. En 1950, il rencontre au sanatorium Hedwig Stavianicek, de 35 ans son aînée, qui devient sa compagne et amie, son être vital, dont il partage désormais la tombe. Hedwig est, jusqu'à sa mort en 1984, son soutien moral et financier.  Jusqu'en 1961, il écrit essentiellement de la poésie. Il publie, en 1963, son premier roman, « Gel ».

 Opéré des poumons en 1967, il séjourne de nouveau à l'hôpital en 1978, et apprend que son état est incurable.

 La première grande pièce de Bernhard, Une fête pour Boris, est créée à Hambourg en 1970. En 1971, le film L'Italien, dont le scénario est de Bernhard, est tourné au château de Wolfsegg. Ce château est le décor de son grand roman Extinction, publié en 1986. (La même année que le « Déjeuner chez Wittgenstein »). En 1988 la création de sa pièce « Place des Héros » au Burgtheater de Vienne, « repaire du mensonge » comme il le dit, déchaîne, dans son pays, huées, insultes, boycott et même jets de pierres de la part des nationalistes. La pièce, représentée cent fois, reçoit pourtant un grand succès. Elle entre au répertoire de la Comédie-Française le 22 décembre 2004.

Thomas Bernhard meurt des suites de sa maladie pulmonaire en février 1989. Dans son testament il demande que rien de son travail ne soit représenté ou publié en Autriche durant la durée légale. 

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