Etat de Siège

De
Albert Camus
Mise en scène
Charlotte Rondelez
Avec
Simon-Pierre Boireau, Claire Boyé, Benjamin Broux, Céline Espérin, Adrien Jolivet, Antoine Seguin
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Théâtre de Poche-Montparnasse
75 Boulevard du Montparnasse
75006
Paris
0145445021
mardi au samedi à 19H, dimanche à 17H30

Thème

Camus, ce n'est pas seulement l'auteur de "La Peste", "L'Etranger", "la Chute", "Le mythe de Sisyphe", "Noces". C'est aussi un homme que le théâtre a passionné comme acteur, comme metteur en scène, comme adaptateur et comme auteur. On lui doit cinq pièces: "Révolte dans les Asturies", "Le Malentendu", "Caligula", "L'Etat de siège" et "Les Justes". Chronologiquement, "L'Etat de siège" est la quatrième, datant de 1947, année de la publication de "La Peste", dont elle reprend le thème majeur, d'une révolte contre le totalitarisme.

C'est une farce et une fable chargées de symboles sur la révolte d'un jeune homme, seul à réagir contre l'installation du totalitarisme dans une ville.

Bien qu'écrite avec Jean-Louis Barrault et superbement montée, cette pièce fut un échec à sa création. Parmi les raisons de cette échec il n'est pas interdit de ranger l'hostilité d'une partie importante de l'intelligentsia française de l'époque, pro-communiste, à un moment où l'Europe de l'Est était en cours de soviétisation. 
 

Points forts

1 L'extraordinaire modernité du texte. Ce pourrait être le canevas de l'une de ces grandes séries télévisées ou cinématographiques qui font vibrer les ados d'aujourd'hui.

2 On reste sous le choc de ce mélange de farce et de profondeur. Plusieurs fois durant la représentation, j'ai pensé à Ionesco.

3 On découvre, stupéfait, que Camus n'a rien à envier à Orwell dans la description qu'il fait de ce que peut être un totalitarisme des âmes.
   Le régime qui s'installe donc dans cette ville-lambda est fondé sur le mépris des hommes, de leur servilité et de leur "ridicule angoisse du bonheur". Le despote érige un système où tout est organisé, "le destin a pris ses bureaux".
La notion de privé n'a plus de sens, la suspicion générale règle les rapports humains, "que personne ne se comprenne". Il s'agit d'imposer l'arbitraire et le silence. Il est interdit de prononcer le mot amour. Objectif: le "silence définitif de la servitude", "tyran des sociétés parfaites". Tout cela pour conduire à la phase ultime, "apprendre à mourir dans l'ordre".

4 La mise en scène de Charlotte Rondelez est exceptionnelle de créativité avec, entre autres, l'utilisation systématisée de fascinantes marionnettes naines à visages humains, créées par Juliette Prillard.

5 Les comédiens sont tous excellents. Mention spéciale à Simon-Pierre Boireau dans le rôle le plus intéressant, à mon sens, et le plus original, celui d'une sorte de Mussolini en despote calme, didactique, avide de la médiocrité des hommes.

Quelques réserves


1 Vous risquez de décrocher en de rares moments, où on a plus l'impression d'être à l'université qu'au théâtre.

2 Surtout, mais cela procède du même type de critique, le couple formé par le jeune étudiant en médecine qui dit non au totalitarisme et sa fiancée n'accroche pas vraiment. Et ce ne sont pas les deux comédiens, excellents -Adrien Jolivet et Claire Boyé- qui sont en cause, mais le texte. il est trop cérébral, y compris dans la sensualité et l'approche de la sexualité. Ce qui empêche une véritable communion avec le couple, une profonde compassion. Ce n'est pas Roméo et Juliette, et l'hyper-réalisme de Shakespeare.

Encore un mot...


Qui seront trois:

1 J'ai dit plus haut que j'avais pensé à Ionesco. Mais j'aurais pu faire référence  également à Audiberti. C'est dire à quel point ce Camus-là a de quoi surprendre.

2 Ce qu'il y a également de très étonnant, c'est de constater à quel point la vision que Camus a, dans cette pièce, des masses populaires est sombre, à travers leur propension à la médiocrité et à l'asservissement. C'est le ressort principal de l'action du despote qui aime souligner que les gens "vivent à mi-hauteur". 
C'est aussi le leitmotiv d'un personnage surprenant, Nada, une sorte de narrateur, qui affirme avec superbe: "J'ai du mépris jusqu'à ma mort". 
La mort, si présente: "Il n'est rien de vrai que la mort", dit l'un des personnages.

3 Bravo, au passage, à la nouvelle équipe du Théâtre de Poche-Montparnasse qui a su mettre en route une programmation créative, de très grande qualité, si l'on veut bien excepter quelques ratés inutilement hyper-intellos.

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