"Le Chant du Cygne" et "L'Ours"

Aussi drôle que profond
De
Anton Tchekhov
Adaptation: Maëlle Poésy et Kevin Keiss
Mise en scène
Maëlle Poésy
Avec
Julie Sicard, Gilles David, Benjamin Lavernhe, Christophe Montenez
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Studio Théâtre de la Comédie Française
99 rue de Rivoli: Galerie du Carrousel du Louvre
75001
Paris
0144581515
Jusqu'au 28 février: du mercredi au dimanche à 18h30

Thème

Ces deux pièces ont pour thème deux rencontres:

   - "Le Chant du cygne", c'est un face à face entre un vieil acteur alcoolique et son souffleur, prétexte à une sorte de psychanalyse tragi-comique de l'art du comédien, de sa vie, et de sa relation avec les grands textes.

   - Point de départ de "L'Ours": une jeune veuve a décidé de se retirer du monde.Survient un créancier de son mari défunt, décidé, coûte que coûte, à se faire rembourser.

Points forts

1. Dans les deux pièces: 

- Tchekov fait déjà preuve de l'habileté d'un vieux briscard pour planter le décor et définir en trois à cinq minutes le creuset de toute sa démarche narrative.

- Il y a déjà chez lui cette capacité à traduire par la musique des mots la complexité de nos vies:
         - Dans "Le Chant du cygne" cette mise en musique débouche sur une forme de renoncement personnel -"dans mon âme, il fait froid, il fait noir"; "quel espèce de vieux clown je suis"-, mais ce renoncement est assorti d'une telle passion pour les grands textes que le vieux comédien ne sombrera pas.
          - Dans "L'Ours", la naissance inopinée d'un nouvel amour ouvre la voie à un autre départ. Même si "L'Ours" tient beaucoup plus du vaudeville, les deux pièces ont donc en commun d'associer nostalgie du passé et recommencements salvateurs.

2. Dans "Le Chant du Cygne":

- Tchekov confirme, à 27 ans, après, déjà, "Ivanov", qu'il n'a pas attendu  Unamuno pour avoir un sens tragique de la vie.

- Déjà, aussi, il a cette capacité à exprimer l'essentiel des êtres et des vies à travers des petits riens et des silences  (Gilles David en joue remarquablement, dans les premières minutes). On pense en écoutant le vieux comédien aux meilleures pièces de Pinter, "Le Gardien" et "Le Monte-Plats", par exemple.

3. Dans "L'Ours":

- Deux grands moments vaudevillesques:
          - D'abord un long monologue d'une misogynie dont il serait impossible de reprendre aujourd'hui les fondements et les termes -"n'importe quel moineau rend des points à vos philosophes en jupons"; "une femme est-elle capable d'aimer qui que ce soit, à part son petit chien?"- sans provoquer une levée de boucliers générale; et qui, de ce fait, en devient férocement drôle.
             - Ensuite, ce moment où la veuve, deux armes à la main, a du mal à se cacher à elle-même qu'elle est séduite, et n'arrête pas de dire à son visiteur: "Partez...Non...Partez...Non etc..."

- Un formidable numéro d''acteur, de Benjamin Lavernhe dans le rôle du créancier qui décide de se faire enfin respecter mais qui n'arrive pas à être tout à fait crédible quand il se met à jouer les matamores.

4. Maelle Poésy a choisi de faire jouer les deux pièces dans une cuisine, assez anodine, symbole de la continuité du temps, et de l'universalité des expériences intimes des uns et des autres. Audacieux, mais réussi.

Quelques réserves

Nous n'en voyons pas. Sauf allergie aux pièces très courtes. Mais, au théâtre, aller à l'essentiel en une demie heure, c'est rare...

Encore un mot...

Qui seront trois:

- Dommage que Tchekov n'ait pas accorder plus d'intérêt au genre-vaudeville car, "L'Ours" l'atteste, il savait manier avec brio la logique burlesque de l'absurde, quelque part entre Feydeau et Ionesco.

- C'est vrai qu'à côté de "La Mouette", d'"Oncle Vania", des "Trois soeurs" et de "La Cerisaie", ces deux piécettes ne pèsent pas lourd, mais s'exprime déjà là le thème majeur de l'oeuvre de Tchekov: sommes-nous en mesure d'apprivoiser nos vies et de les conduire vraiment ? Quelle est l'emprise du passé sur elles et comment s'exerce-t-elle ?

- Ce qui nous a semblé le plus fort dans ces deux pièces c'est, à travers le destin apparemment pitoyable du vieil acteur -"je suis un citron pressé"; "un vieux clown"; "j'ai dévoyé ma carrière"-, cet hymne à la valeur salvatrice de la vérité des textes et du talent: "Là où il y a du talent, pas de vieillesse". Une façon de dominer la mort ?

Une phrase

"Vous vous êtes enterrée vivante, sans oublier de vous mettre de la poudre"...

L'auteur

Tchekov avait 27 ans quand il a écrit "Le Chant du cygne" et 28 quand il a écrit "L'Ours", deux piécettes en un acte, écrites à la hussarde -"entre deux portes", a-t-il dit lui-même-, et auxquelles il n'attachait pas grande importance.

Elles ont pourtant marqué une étape dans sa carrière, puisque ce furent ses deux premiers succès, après l'échec d'"Ivanov" (1887).

Et c'est -on a du mal à le croire- avec "L'Ours" que Tchekov a fait son entrée au Répertoire de la Comédie-Française, en 1957 seulement.

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