Adèle Blanc-Sec, T 10, Le Bébé des Buttes-Chaumont

Un dernier Blanc-Sec pour la route
De
Scénario et Dessins : Tardi
Ed. Casterman
64 p.
14,5 €
Notre recommandation
5/5

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Thème

Adèle Blanc-Sec est de retour ! Et c’est un double évènement qui méritait bien une chronique en forme d’hommage car non seulement il a fallu attendre 15 ans cette dixième aventure, mais aussi, sans trop divulguer le suspens, parce qu’elle est annoncée comme la dernière.  

Adèle Blanc-Sec est une des héroïnes les plus atypiques de la Bande Dessinée. Créée par Jacques Tardi, en 1976, Adèle évolue dans un univers onirique, mélangeant des ambiances fantastiques, policières, historiques toujours à la limite de l’absurde. La continuité de l’histoire est un aspect important de cette série car malgré l’espacement des parutions entre chaque album, on retrouve de l’un à l’autre les mêmes personnages et la même intrigue qui se prolonge et évolue. 

D’où un premier conseil au futur lecteur : que vous soyez un adepte de la série ou un néophyte d’Adèle, prenez le temps de lire ou relire les 9 albums précédents avant d’attaquer ce 10ème opus. Adèle est une écrivaine qui trouve l’inspiration au contact de bandits, plus ou moins sympathiques, de policiers, plus ou moins intelligents, de scientifiques, plus ou moins fous, et toutes ces rencontres vont créer son « petit monde », dans lequel elle va connaître des aventures fantastiques, invraisemblables, monstrueuses et souvent très drôles.

Tout commence en 1911, au Jardin des Plantes, avec l’éclosion d’un œuf de ptérodactyle, provoquée à distance par un étrange scientifique lyonnais (Adèle et la Bête, Tome 1, 1976). Cela se poursuit avec le combat d’Adèle contre une redoutable secte (Le Démon de la Tour Eiffel, Tome 2, 1976), puis contre un homme préhistorique réanimé par un savant fou (Le Savant Fou, Tome 3, 1977). En 1912, Adèle fait connaissance avec une momie, mais se fait aussi deux ennemis redoutables, le Professeur Dieuleveult et l’actrice Clara Benhardt, qui finira par la tuer dans Momies en folie, Tome 4, 1978. 

Adèle est morte mais sera réanimée 6 ans plus tard. Ce combat pour la réanimation d’Adèle, mené par un autre héros de Tardi, Lucien Brindavoine, est conté dans le Secret de la Salamandre (Tome 5, 1981). Cet album est à part dans la série car c’est une aventure d’Adèle Blanc-Sec sans Adèle Blanc-Sec ! On y retrouve aussi l’obsession majeure de Tardi pour la Guerre de 14-18 et son cortège d’horreurs. Comme un symbole, Adèle ne connaîtra pas ce conflit et sera réveillée le 11 novembre 1918.

A partir de l’album suivant (Le Noyé à Deux Têtes, Tome 6, 1985), l’intrigue de l’histoire va devenir de plus en plus confuse, comme si elle devenait secondaire par rapport au plaisir que prend l’auteur à faire vivre sa galerie de monstres. 

Mais ce plaisir commence-t-il lui aussi à diminuer ? C’est à partir de ce tome 6 que les espacements entre les sorties des albums vont devenir de plus en plus importants. Ainsi le tome 7, Tous des Monstres !, paraît-il en 1994, soit 9 ans après le précédent album ; le tome 8, le Mystère des Profondeurs, en 1998 ; le tome 9, Le Labyrinthe Infernal, en 2007 ; et enfin, celui-ci en 2022. Et tout finit, où tout a commencé, au Jardin des Plantes, 11 ans plus tard, en 1922.

Points forts

Le premier point fort est cette incroyable galerie de personnages que Tardi a créé autour d’Adèle : des policiers pas très futés (j’ai une tendresse particulière pour le pauvre inspecteur Caponi, souvent dépassé, mais tellement attachant), des bandits féroces (ah le dentiste), des savants fous comme s’il en pleuvait et des monstres en quantité. Parmi tous ces derniers, imaginés par Tardi et souvent bien moins monstrueux que certains humains de cette histoire, ma préférence va au tout premier d’une longue liste, le Ptérodactyle, qui, d’ailleurs, telle une guest-star de cinéma, fait une courte apparition dans cette dernière aventure.

Le deuxième point fort, ce sont les décors parisiens qui constituent l’écrin des aventures d’Adèle Blanc-Sec. Tardi est peut-être un des plus talentueux dessinateur de Paris. Il l’a souvent prouvé, que ce soit ici ou dans ses autres sagas (Le Cri du Peuple, sur la commune de Paris, ou ses merveilleuses adaptations de Nestor Burma). Tardi aime Paris, le Paris du siècle dernier, et ça transpire dans ses cases.

Enfin, troisième point fort, Tardi ne se prend pas au sérieux, surtout pas avec les aventures d’Adèle Blanc-Sec. On sent qu’il s’est beaucoup amusé à les écrire comme le montrent plein de détails malicieux. Par exemple, les apparitions de Blake et Mortimer dans Le Noyé à Deux Têtes, ou les monstres dessinés par ses amis dessinateurs dans Tous des Monstres (et quelle liste ! Petillon, Goltlib, Bilal, Fre …). Un dernier exemple de ces facéties, il case dans plusieurs albums d’Adèle Blanc-Sec, une vue du Palais de Justice accompagnée de la phrase-cliché « … dont les tours médiévales se dressent comme des gibets, sinistres symboles de répression et de farce judiciaire ». Vérifiez, vous la trouverez dans plusieurs aventures.

Quelques réserves

On peut s’agacer en lisant Adèle Blanc-Sec. S’agacer parce que l’histoire n’a ni queue ni tête, parce que les invraisemblances sont partout, parce que les fausses pistes et les trompe l’œil sont permanents. Dans ce dernier album, par exemple, le titre Le Bébé des Buttes-Chaumont est assez peu évocateur de l’intrigue principale et illustre bien ces fausses pistes que Tardi affectionne. D’ailleurs, pour cette aventure annoncée comme la dernière, on aimerait que toutes les énigmes posées par Tardi trouvent une réponse, mais que nenni, même la fin laisse en plan bon nombre de ses personnages… et aussi un peu le lecteur.

Encore un mot...

Nous n’aurons donc plus le plaisir d’acheter un nouvel album des aventures d’Adèle Blanc-Sec. On ne peut se départir d’une certaine émotion en lisant et relisant cette dernière aventure. La nostalgie est bien présente, surtout dans la fin. Il ne nous restera plus qu’à lire et relire ces 10 albums pour ne pas oublier l’inoubliable héroïne. 

En 1976, quand elle apparaît pour la première fois, la BD laisse peu de places aux personnages féminins, et encore moins comme personnage principal. Tardi a donc aussi été visionnaire en ouvrant la voie à bien d’autres héroïnes qui ont emboîté le pas à Adèle.

Maintenant qu’elle est arrivée au bout de sa route, on peut bien se faire dévorer par un limule géant ou une étrange pieuvre rouge, cela n’a plus d’importance … A moins que cette fin annoncée soit une nouvelle fausse piste. Qui sait, avec quelqu’un d’aussi imprévisible que le très talentueux Jacques Tardi.

L'auteur

(d’après le site BD gest)

Né à Valence en 1946, Jacques Tardi suit l'enseignement des Beaux-Arts de Lyon avant de « monter » à Paris, direction les Arts décoratifs. Sa carrière d'auteur de BD démarre dans les pages du journal Pilote de René Goscinny, au début des années 70. On lui confie le dessin de Rumeurs sur le Rouergue, un scénario réaliste écrit par Pierre Christin, co-auteur de Valérian et futur scénariste de Bilal. Mais Tardi n’est guère à l'aise avec les récits contemporains. Il préfère explorer une veine plus personnelle. Après diverses histoires brèves, il publie Le Démon des Glaces, dessiné à la manière des gravures du XIXe siècle, puis La Véritable Histoire du Soldat Inconnu

En 1976, il donne naissance à Adèle Blanc-Sec. Un personnage de femme original, à une époque où la plupart des héroïnes de bande dessinée restent cantonnées dans les clichés. Surtout, il aborde le grand sujet qui ne cessera de l'obséder : la guerre de 14-18, métaphore de tous les conflits et de l'inépuisable bêtise humaine. 

Profondément marqué par les souvenirs de son grand-père, il s’emploie à nourrir son œuvre de références à la « der des ders », qu'il met en scène dans C'était la Guerre des Tranchées, publié dès 1982 dans le mensuel A suivre, et Le Trou d’Obus (1984). 

Tardi s'attaque aussi à la mise en images d'œuvres littéraires. Grand admirateur de Céline, il illustre Voyage au Bout de la Nuit, Mort à Crédit et Casse-pipe. Il démarre une série d'adaptations de romans policiers avec les Nestor Burma de Léo Malet, et notamment Brouillard au Pont de Tolbiac (1982). En prenant soin de gommer les aspects les moins sympathiques des romans, parfois empreints d'une fâcheuse tendance au racisme. Il adaptera aussi Jeux pour Mourir, de Géo-Charles Véran (1992), et La Der des Ders, de Didier Daeninckx (1997). 

La fréquentation des écrivains est une vieille habitude chez Tardi. Avec l'auteur de polars Jean-Patrick Manchette, il avait déjà réalisé Griffu dans les années 70. Il récidivera en 2000 avec Daniel Pennac, qui lui écrira le scénario de La Débauche. Son adaptation du Cri du Peuple de Jean Vautrin n'a rien de surprenant : les deux hommes se connaissent depuis plusieurs années et avaient déjà signé un livre sur la banlieue.

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