Iroquois

Une restitution graphique étincelante d'une grande page d'Histoire
De
Patrick Prugne
Editions Daniel Maghen - 78 pages
Notre recommandation
5/5

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Thème

Juillet 1609, sur les berges du fleuve Saint-Laurent, dans cette Nouvelle-France que l’on ne nomme pas encore Canada, dans cette ville de Québec fondée un an plus tôt et qui n’est encore qu’un modeste fortin de bois où 40 colons s’apprêtent à passer leur premier hiver…

Alors qu’il s’attache à faire respecter l’autorité du Roi de France, en l’occurrence le monopole sur le commerce des fourrures accordé au Sieur Dugua de Monts dans la vallée du Saint-Laurent, Samuel de Champlain s’apprête à ‘partir sur le sentier de la guerre’. Son objectif : sécuriser le commerce des peaux avec ses alliés Hurons, Algonquins et Montagnais, mis en danger par les raids incessants des tribus Iroquoises. Il met en demeure Le Basque, trappeur et contrebandier, de lui servir de guide alors que Petite Loutre, fille d’un chef Iroquois, capturée lors d’un précédent engagement, doit lui servir de sauf-conduit. A l’heure de partir pour l’Iroquoisie, Samuel de Champlain n’a aucune idée de ce qu’il va y trouver…

Points forts

Ouvrir Iroquois, c’est d’abord s’immerger dans l’univers graphique de Patrick Prugne. Sa maîtrise de l’aquarelle se prête magnifiquement à la restitution des grands espaces de l’Amérique du Nord du début du XVII° siècle. Elle permet de souligner subtilement l’étendue de la palette des couleurs de l’automne, quand ces forêts sans fin se parent d’un nuancier complexe et délicat.

La magie du trait et de la couleur restituent pleinement le chuintement de l’eau sur la coque des frêles canoës, la senteur de l’humus frais, le bruissement des sous-bois et des frondaisons puis, soudainement, la tension née de l’irruption maladroite de l’homme, annonciatrice de violence et de prédation.

Le cadrage ample et large – parfois, une vignette prend toute une page –  permet de magnifier l’immensité de ces espaces où l’homme est appelé à l’humilité. Quand il est guerrier indien, il s’y meut néanmoins avec une grâce souple et silencieuse qui exsude de chaque planche. Le contraste avec les soldats français, lourds et bruyants de leur armement moderne, n’en est que plus saisissant.

Cette restitution graphique, silencieuse et magnifiée, du temps et de l’espace, nous renvoie par la grâce de la filiation artistique à l’œuvre d’Hugo Pratt. On la retrouve également dans les profils tendus et acérés des guerriers Iroquois, tout en violence contenue prête à exploser. Le lecteur est ainsi renvoyé vers les sagas Fort Wheeling, 1976-1995, et Sergent Kirk, 1975-1978.

Tourner les pages d’Iroquois, c’est glisser ses pas dans ceux de Samuel Champlain. Cet homme qui prit la suite de Jacques Cartier est sorti du moule des grands découvreurs qui vit naître Colomb et Magellan. Militaire, navigateur, cartographe et écrivain, il incarne ces hommes de la Renaissance  qui rêvaient ‘grand’ afin de repousser les limites du monde connu. Nous le suivons dans sa détermination farouche à faire exister cette colonie du Canada encore balbutiante.

Elle l’amènera à prendre le parti de ses alliés Amérindiens contre les Iroquois pour, il en est convaincu, préserver durablement les intérêts commerciaux du royaume de France. Mais ce n’est pas la suprématie de la France que son coup d’arquebuse heureux entérine en dépit d’une première victoire sur ces redoutables adversaires. C’est l’opposition irrémédiable et farouche des Iroquois. Elle durera 200 ans, pendant lesquels ils prendront résolument le parti des Anglais jusqu’à la guerre de 7 ans qui sonnera le glas de la présence française au Canada.

Parcourir Iroquois, c’est également assister au choc des cultures entre une Europe aux portes de l’industrialisation et une nation iroquoise jalouse de ses traditions ancestrales. C’est être le témoin de la rencontre entre une société patriarcale et une autre dirigée par les femmes. Où les chefs de guerre sont nommés par elles et où toute décision majeure est soumise à l’aval de leur Conseil.

C’est également se rappeler que dans son expansion coloniale, l’Europe pouvait proposer autre chose que l’éradication des populations locales menée en Amérique du Sud et Centrale. Qu’un homme comme Samuel de Champlain pouvait faire preuve d’une saine curiosité vis-à-vis des populations locales, d’une réelle volonté de respecter leurs mœurs et les alliances à venir.

Que cette curiosité et ce respect pouvaient être accompagnés de la volonté de promouvoir au sein de la colonie esprit de tolérance, cohabitation religieuse et liberté de culte. Au sortir des guerres de religion, il était en effet remarquable de trouver un pasteur et un prêtre parmi les hommes qui partirent les premiers pour le futur Canada.

Quelques réserves

Il est difficile de trouver de réels points faibles à cet album tout à la fois onirique et rempli de la fureur des combats. Le scenario pourrait paraître un peu mince au sens où il est dépourvu de véritable intrigue. L’issue est en effet connue dès le départ, à l’exception d’un ultime rebondissement de la petite histoire nichée au cœur de la grande, qui nous laisse pantois et pantelants au moment de refermer l’ouvrage.

L’album est donc un long glissement vers cet inéluctable. Mais c’est la nature même de ce glissement, lenteur méditative agitée des soubresauts de la violence des hommes, qui rend cet album unique. Comme un appel à retrouver la valeur du silence et du temps lent.

Encore un mot...

Il faut ouvrir Iroquois pour plonger au cœur de ces étendues d’eau et de forêts encore marquées par l’immuabilité des saisons et du temps. Dans l’immensité de ces espaces où l’homme n’est que toléré et sa présence, effraction.

Il faut également tourner les pages d’Iroquois pour se replonger dans ce temps où un fils de protestants, ancien militaire ayant vécu aux premières loges les horreurs des guerres de religion, pouvait partir découvrir un continent pour y fonder une société nouvelle. Dans cette époque où, avec une mauvaise arquebuse, deux ou trois rapières rouillées et une dizaine de soudards déclassés, un homme pouvait par la force de sa seule volonté conquérir un continent et donner son nom à un lac grand comme un océan.

Une phrase

« Ces hommes au torse de fer sont mauvais … Ils puent ! … Que viennent-ils chercher ? […] Je les ai vus profaner nos forêts … Et j’ai souvent retenu mes larmes … Vous n’aurez pas peur d’eux, je le sais … Je reviens ! »

L'auteur

C’est l’histoire d’un homme qui, toujours, a aimé dessiner et veut aujourd’hui poursuivre sa passion :

« J’ai encore envie de faire de la BD et de dessiner des projets qui me tiennent à cœur. Si je n’étais pas dessinateur, je serais… dessinateur, ou peut-être peintre ».

Dès son plus jeune âge, Patrick Prugne exerce ses talents en imitant ses auteurs préférés : Pratt,Manara, Juillard, Loisel, Breccia, Prado. On peut difficilement rêver meilleures sources d’inspiration.

Après des débuts professionnels dans la publicité, il reçoit en 1990 l’Alph-Art Avenir au Festival d’Angoulême pour sa première œuvre, un pastiche du Lièvre et la Tortue. Véritable « déclic », cette récompense l’encourage à contacter des éditeurs de BD pour plonger dans le grand bain.

En 1991, c’est le démarrage de la série humoristique Nelson et Trafalgar, avec Jacky Goupil au scénario, éd. Vents d’Ouest. Là encore,  le succès est immédiat. Il enchaîne en 1999-2001 sur Fol, éd. Vents d’Ouest, avant de se lancer avec Tiburce Oger dans la trilogie de L’Auberge du bout du monde, éd. Casterman, 2004-2007. Ils donneront également naissance dix ans plus tard à  Canoë Bay, éd. Daniel Maghen. Par la suite, Patrick Prugne développe seul ses sagas indiennes Frenchman, 2011, et Pawnee, 2013, éd. Daniel Maghen.

Commentaires

Geronimo 41
lun 17/10/2016 - 13:01

Excellent PRUGNE !! Lecture à compléter par celle d'un ouvrage sorti dans le cadre des RDV de l'Histoire à Blois ce mois-ci sur les "Coureurs des bois" !

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