Jeu d’Ombres – Tome 1: Gazi !

De l'énergie en lingots-vérité sur les cités
De
Dedola et Merwan
Editions Glénat
Notre recommandation
4/5

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Thème

Viviane, étudiante, belle, ambitieuse, un brin cynique, rêve de politique et d’un horizon plus lointain que les murs de sa cité lyonnaise … mais échoue à nouveau à ses examens. Le même jour, Cengiz, fils d’immigrés turcs avec qui elle a grandi, l’invite à venir fêter l’obtention de sa licence. Vexée par ce clin d’œil du destin, elle refuse.

Cengiz célèbre néanmoins sa réussite universitaire à La Plateforme, péniche boîte de nuit amarrée dans le centre de Lyon, en compagnie de Bilail, un ami d’enfance. Avant de partir, il échange avec Madou, videur et ami, sur la situation de Sayar, son frère aîné, caïd ultra-violent emprisonné en Turquie.

Sur le chemin du retour, ils manquent de renverser Amine, petit dealer blessé poursuivi par la BAC. Cengiz le cache dans son coffre, est à deux doigts de se faire arrêter lors d’un contrôle inopiné et manque de mettre le feu à la banlieue lyonnaise. Il empêche finalement la situation de dégénérer en jouant le médiateur entre les bandes des cités et des forces de l’ordre heureusement menées par un inspecteur prêt à prendre le ‘risque’ du dialogue plutôt que de privilégier la répression.

Ce fait d’armes lui vaut une petite notoriété dans le microcosme lyonnais. Il la met immédiatement à profit pour lancer un projet associatif et social et se rapprocher de Viviane, tout en préparant le voyage en Turquie qui doit lui permettre de faire libérer son frère...

Points forts

- Attention, concentré d’énergie ! Ouvrir cet album c’est plonger dans un bouillonnement de vitesse, de tchatche, de joutes verbales, de rebondissements, qui s’enchaînent tambour battant. Le scenario est mené sur un rythme et avec un sens du tempo où l’on sent la patte du musicien derrière celle du scénariste. On passe sans temps mort de l’intrigue policière aux méandres de la politique locale, d’une plongée dans la vie des cités lyonnaises aux prisons turques, des promesses des amours naissantes aux tensions entre bandes rivales, de l’espoir né de l’engagement citoyen à la violence des trafics de drogues.

- Le dessin n’est pas moins percutant que le scenario. De ce mélange de lignes claires, restreintes à l’essentiel, soutenues par des à-plats d’aquarelle où les variations de lumière tiennent lieu de relief, se dégage une énergie qui jaillit des planches pour venir frapper le lecteur à l’estomac.

- Et puis il y a Gazi. L’homme qui dit non. L’homme qui fait non. Charismatique, orateur-né, il met son action au bout de son discours. Pour faire non à la fatalité qui interdirait aux enfants des cités de poursuivre des études ; pour faire non à l’impossibilité faite aux fils et filles de l’immigration turque de trouver leur place dans la société française ; pour faire non aux dealers qui transforment les enfants de 13 ans en trafiquants ; pour faire non aux déçus de l’intégration pour qui le refuge dans la religion constitue la seule réponse possible à la désespérance sociale ; pour faire non aux politiques plus soucieux de leur réélection que du bien commun ; pour faire non au refus de Viviane de le considérer autrement que comme le petit copain de toujours ; pour faire non à la haine de l’autre comme seule réponse à la brutalité de la société contemporaine.

Quelques réserves

C’est une surprise au vu du rythme de l’album … Mais on voudrait que cela aille plus vite. Que l’on en sache plus, plus vite, sur Sayar, le frère aîné, dont l’histoire se découvre par petites touches. Que l’on voit Cengiz confronté plus tôt aux situations dont on pressent qu’elles mettront à l’épreuve ses convictions, tout en risquant d’altérer son profil de ‘gendre idéal’ d’une immigration réussie.

Encore un mot...

- Il faut lire Jeu d’Ombres – Gazi ! pour bénéficier d’un regard de l’intérieur sur la vie des cités de banlieue ou le quotidien des familles issues de l’immigration, sujets dont nous parlons souvent sans vraiment les connaître. Les auteurs nous présentent des situations infiniment plus complexes et nuancées que les caricatures souvent relayées dans les médias.

- Il faut lire cet album car il mêle avec talent, lucidité et humour différents styles – policier, social, politique – pour envoyer un message sur l’espoir qu’il faut conserver dans une société qui saurait reconnaître les bonnes volontés qui se ‘bougent’ et ‘essayent’.

- Il faut lire Jeu d’Ombres – Gazi ! pour commencer à appréhender la Turquie, sa société, sa politique, ses courants d’émigration. L’échange entre Cengiz et son cousin en est une belle illustration.

Une phrase

« La haine de l’autre est devenue le principal moteur [...] Un type dit soutenir la Palestine pour justifier sa haine d’Israël, un autre supporte l’OL mais c’est surtout contre St-Etienne, et plutôt qu’adorer Dieu, on va maudire les Koffar. »

L'auteur

Ils sont deux aux manettes de cette nouvelle série aux confluents du thriller, du politique et du social:

- Loulou Dédola, d’abord. Lyonnais, leader du groupe RCP, il est l’homme de multiples talents : auteur, compositeur, interprète, écrivain, scénariste, globe-trotter, polyglotte, amoureux de la Turquie. Ses tournées en Afrique lui inspirent son premier roman, 419 African Mafia, éd. Tribal, 2009 ; sa 1° BD éponyme, 2012, éd. Glénat ; et le film dont la sortie est prévue prochainement. Convaincu que « rien n’est facile mais qu’il faut toujours essayer », il s’engage dans l’association Musique Banlieue, pour « créer des passerelles entre les jeunes de tous les horizons passionnés de musique ».

- Merwan Chabane, ensuite. Diplômé de l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs, il démarre sa carrière dans le jeu vidéo et les films d’animation. Il y acquiert une première notoriété grâce à Biotope, court-métrage d’animation. Mais c’est grâce à la BD qu’il reçoit la consécration du public. Tout d’abord avec Fausse garde, éd. Vents d’Ouest, 2009, consacré à la découverte du Pankat, un art martial total. Puis avec la saga d’aventure L’Or et le Sang, éd. 12Bis puis Glénat, 2009-2014, en collaboration avec Fabien Bedouel, Maurin Defrance et Fabien Nury. Egalement engagé socialement, il est accueilli en 2013 en résidence dans les bibliothèques d’Aulnay-sous-Bois dans le cadre du programme Écrivains en Seine-Saint-Denis.

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