La Fable du Centaure, un voyage initiatique

Une thèse de philosophie autobiographique sous forme de bande dessinée
De
Gabrielle Halpern et Didier Petetin
Editions humenSciences
115 pages
13 euros
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Thème

Gabrielle est le fruit d’un mariage mixte, et sa naissance fait déjà l’objet d’une discorde au sein de sa famille. Fille d’un cheval et d’une humaine, elle prend la forme d’un centaure, créature hybride appartenant à deux mondes différents mais ne parvenant pas à être pleinement reconnue par chacun d’entre eux. Attirée par des disciplines apparemment éloignées les unes des autres, ayant un rapport au monde particulier, Gabrielle peine à trouver sa place. L’école, la vie professionnelle, tous les univers qu’elle aborde lui sont souvent fermés, voire hostiles. Ses camarades de classe, ses collègues la regardent avec une curiosité peu amène, lui témoignant parfois une moquerie qui révèle la peur de ce qu’elle représente : une sorte de territoire inconnu, une réalisation multiple qui inquiète, une existence que la raison, habituée à catégoriser toute chose, peine à appréhender. Gabrielle va, peu à peu, parvenir à exprimer son rapport au monde, sa façon de penser, peut-être même à faire une heureuse rencontre qui changera sa vie.

Points forts

  • Si l’on est désormais habitué à voir la bande dessinée évoluer, se faire la biographie d’un personnage célèbre, l’adaptation d’un roman, un cours d’histoire ou de mathématiques, force est de constater que ce conte philosophico-autobiographique illustré a tout de même de quoi surprendre. Il n’en reste pas moins que l’on parvient à s’attacher à son héroïne curieuse de tout, évoluant au milieu des écoliers vicieux, des chevaux à l’esprit excessivement scientifique, des blobs pleins de sagesse et du monde corseté de l’entreprise. Notre héroïne décortique le monde qui l’entoure avec son regard perçant, désarçonne ses interlocuteurs avec ses propositions détonantes, a des idées qui “lui donnent mille idées”, déjoue les postures d’audace du monde des affaires, ainsi que la fausse proximité des réseaux sociaux où “les gens se tutoient très vite pour oublier précisément qu’ils ne parlent pas la même langue”. De quoi intriguer dans le bon sens du terme.
  • Ce livre surprend aussi en présentant une lecture originale de passages de la Bible, en faisant redécouvrir des auteurs comme Elias Canetti ou encore Primo Levi, dont on peut lire des citations issues d’entretiens : “Je suis un amphibien, un centaure [...] Je suis partagé entre deux moitiés : l’une est celle de l’usine, je suis un technicien, un chimiste. L’autre, c’est celle avec laquelle j’écris”. On retirera aussi de cette lecture des concepts comme la “pulsion d’homogénéité” qui fait que “nous sommes attirés par ce qui nous ressemble”, notamment “à cause de notre terreur de l’incertitude”. 
  • Les dessins, en noir et blanc, sont réussis. On appréciera, par exemple, l’alternance des traits rudes des corps des chevaux et des courbes douces des chevelures ou des crinières. On aimera aussi les images en pleine page, fourmillant d’animaux bizarroïdes et défiant les lois de la perspective en les caricaturant. Les lignes épurées, les ombres nettes, les larges surfaces immaculées laissent de l’espace au texte. On appréciera aussi le personnage de “Maître Blob”, sorte de hérisson gigantesque, entouré d’un rat ahuri et d’un hibou à l’air vindicatif, que l’on aura du mal à regarder sans sourire. 
  • Le discours de cette bande dessinée s’adresse enfin à “tous les différents, tous les incasables” et constitue effectivement un “voyage initiatique”, comme l’annonce son titre. On en ressort avec une certaine émotion, et aussi beaucoup de questions. Un hybride ne peut-il pas être hybride que s’il est comparé à d’autres êtres qui ne le sont pas ? Si tout le monde est hybride, l’hybridité existe-t-elle encore réellement, et l'hybridation est-elle encore une réalisation possible ? Quels rapports entretiennent l'hybridation et l’intérêt général ? L’hybridation, qui ne doit pas être un simple concept mais un “projet de société”, est une question qui a de quoi nous occuper l’esprit. 

Quelques réserves

L’originalité du livre, un conte philosophique sous forme de bande dessinée, tient elle aussi à son genre hybride par excellence, et pourra bien évidemment décontenancer. On peut partir du principe que “ceux qui lisent des bandes dessinées” ne sont pas les mêmes que “ceux qui lisent de la philosophie”. Il faudra donc prendre le pari que ce livre, qui a précisément pour sujet le décloisonnement des disciplines bien définies et des catégories toutes faites, aura raison jusqu’au bout et parviendra à être apprécié d’un public varié.

Encore un mot...

Une bande dessinée pour penser l’hybridation à travers le parcours initiatique d’une jeune héroïne unique en son genre.

Une illustration

L'auteur

Docteur en philosophie, chercheur associée et diplômée de l’École Normale Supérieure, Gabrielle Halpern a travaillé au sein de différents cabinets ministériels, en tant que « Conseillère Prospective et Discours », avant de participer au développement de startups et de conseiller des entreprises et des institutions publiques. Elle est également experte-associée à la Fondation Jean Jaurès. Ses travaux de recherche, dont sa thèse de doctorat, portent en particulier sur l’hybridation. Elle est l’auteur de plusieurs livres, dont un essai Tous Centaures ! Éloge de l’hybridation (Editions du Pommier, 2020) et de  Philosopher et cuisiner : un mélange exquis, écrit avec le chef Guillaume Gomez, un essai paru en 2022 aux Editions de l’Aube. 

Didier Petetin a fait des études scientifiques et a travaillé dans l'industrie durant de nombreuses années; il est actuellement dirigeant d’un grand groupe industriel dans le domaine des matériaux de construction. Passionné par le dessin, notamment humoristique, et par la bande dessinée, ses sources d’inspiration principales sont Gotlib, Franquin et Serre. Il est ingénieur de l’Ecole des Arts et Métiers. Il est également ceinture noire deuxième dan de judo et réserviste dans l’armée de terre.

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