La vie me fait peur

L’oisiveté du sage
De
Auteur(s) Scénario : Didier Tronchet, Dessins : Christian Durieux
Ed. Futuropolis
80 p.
16 €
Notre recommandation
4/5

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Thème

Christian Durieux et Didier Tronchet proposent l’adaptation graphique du roman de Jean-Paul Dubois, paru en 1994, sous ce même titre. N’ayant pas lu ce livre, je vous propose cette chronique comme simplement celle de cette BD, sans pouvoir vous donner mon avis sur la pertinence de l’adaptation.

La vie me fait peur nous raconte l’histoire de Paul, un inadapté de la vie. Son enfance est marquée par le rapport à son père, Raoul, homme fantasque et créatif, qui passe en permanence d’une idée à l’autre et essaye d’entraîner son fils dans ce flot incessant. Paul admire ce père incroyable et ses inventions fabuleuses pour son regard d’enfant. Mais la vie de la famille n’est pas simple, les inventions de Raoul ont peu de succès et Marie, sa femme, essaye tant bien que mal de tenir la barque à flot. 

Paul grandit et alors qu’il quitte l’adolescence pour le monde des adultes, sa mère disparait tragiquement dans un accident de voiture. Paul se décide alors à couper le lien avec son père pour aller tenter de vivre sa propre vie et part au Mexique. Il y sera tantôt boucher, tantôt chauffeur de bus, mais cette vie ne lui apportera guère plus de satisfaction et il retournera finalement en France, puis renouera avec son père. 

Ce dernier a enfin rencontré le succès financier avec la création d’une société de fabrication de tondeuses à gazon. Il souhaite que son fils reprenne la direction de sa société pour pouvoir partir vivre sa vie sous le soleil de Miami. Paul accepte cette nouvelle vie, qui va aussi l’amener à rencontrer sa future femme, une banquière venue étudier la solidité de sa société, mais le « Happy End » ne sera pas celui que l’on croit.

Points forts

Didier Tronchet donne beaucoup de fluidité au récit et réussit, en 80 pages, à nous faire partager l’étrange et complexe destin de Paul. On s’attache facilement à ce personnage qui ne semble vivre sa vie qu’à travers celle des autres, plus souvent pour le pire que pour le meilleur. Ainsi la relation entre Paul et son père Raoul est joliment restituée tout au long du récit et résume à elle seule la vie de Paul. La transition de Raoul d’un personnage sympathique et extravagant vers un être bien plus égoïste et calculateur est très impressionnante. D’autres personnages de ce récit méritent le détour, comme l’ami de Raoul, Jean, ou la future femme de Paul, Vivien.

Durieux apporte à cette histoire la grâce de son trait épuré. Ce dessinateur expérimenté a su trouver le ton graphique juste pour restituer le travail de son scénariste. Ainsi, dans la première partie du récit centrée sur la jeunesse de Paul, il donne à son dessin un rythme qui colle à la folie incessante impulsée par Raoul à sa famille. 

Le travail des expressions du visage de Paul est aussi très frappant. Hagard quand il est licencié par sa femme, béat d’admiration pour son héros de père lors de son enfance, ou encore indifférent à la vie pendant ses premières expériences de vie professionnelles et sentimentales, la maîtrise graphique de Durieux fait toujours ressentir les émotions du personnage.

Quelques réserves

Exception faite de l’impossibilité pour moi de juger de la pertinence de l’adaptation par rapport au roman, la seule réserve de ma lecture tient au rythme global de cette BD. Non pas dans la lecture elle-même, qui est, comme je l’évoquais ci-dessus, très fluide et agréable ; mais dans la succession rapide des tranches de vie fait qu’on ne peut s’arrêter sur des moments où on aurait aimé que les auteurs prennent un peu plus leur temps. C’est particulièrement sensible pour des personnages secondaires, comme l’ami Jean, qu’on aimerait mieux connaître.

Encore un mot...

IL NE MANQUE A L’OISIVETE DU SAGE QU’UN MEILLEUR NOM…
Cette phrase de La Bruyère, qui intervient presque comme une conclusion à ce récit, intervient à un joli moment de l’histoire. Dans notre monde où renoncer à une ambition, qu’elle soit professionnelle ou sociale, semble être un crime impardonnable conduisant à l’échec de toute vie, l’idée de prendre à rebours ce principe m’a séduit. Paul subit sa vie tant qu’il ne décide pas de la vivre en accord avec sa nature profonde. Et cela ne sera possible que lorsqu’il se détachera du regard des autres. Je terminerai par la deuxième partie de la citation de La Bruyère : « … et que méditer, parler, lire et être tranquille s’appelât travailler ». Une philosophie qui restera dans un coin de ma tête après cette lecture.

Une illustration

L'auteur

(’après les sites BD Gest et Futuropolis, ainsi que Wikipédia)

Né à Béthune le 29 septembre 1958, Didier Vasseur, dit Tronchet, se révélera comme un des dessinateurs les plus subversifs de la fin du XXe siècle, détournant les choses de la vie d'un couple de Français moyens pour en tirer de mini-épopées délirantes dans son célèbre Raymond Calbuth. Tronchet, sans prénom, pseudonyme un peu olé olé inspiré d’une rue de Paris, entre Opéra et Madeleine, se choisit une famille : les auteurs de la revue américaine Mad, Gotlib et ses parodies, Goossens et son non-sens. Ses frères de misère se nomment alors Raymond Calbuth et Jean-Claude Tergal. Sont-ce ses questionnements de père quadragénaire ? Quoi qu’il en soit, Tronchet se donne un prénom, le sien, tant qu’à faire, pour revendiquer la gravité, la tendresse, l’amour ou l’amitié dans des livres où éclate, traits vifs et libérés, « ce pathétique de l’ordinaire qui est peut-être le sens profond de son œuvre ». Témoin Là-Bas, adaptation de Bleu Figuier, un roman d’Anne Sibran, la femme de sa vie, ou encore La Gueule du loup, où virevolte, humour décapant et rythme endiablé, la ronde implacable des sentiments et des désirs.

Christian Durieux est né en 1965 dans la capitale européenne de la BD, Bruxelles. Bercé depuis sa plus tendre enfance par le 9e Art, il dessine La Vie royale, une courte biographie d'André Malraux sur un scénario de Luc Dellisse dans Tintin reporter en 1989 et deux ou trois autres histoires pour ce support. Il rencontre Jean Dufaux lors d'une émission de radio avec lequel il s'associe pour la série Avel chez Glénat de 1991 à 1994. Après ce cycle de quatre albums, Durieux s'associe à nouveau avec Luc Dellisse dans le thriller futuriste Foudre chez Le Lombard entre 1996 et 1998. Il publie un court récit sur scénario de Denis Lapière dans Spirou en 1998. L'année suivante, il commence une nouvelle série Columbia sur des scénarios de Jean-Luc Cornette dans le même journal (2 albums, Delcourt, 2003-2004) et il réalise son premier roman graphique Benito Mambo chez Les Humanoïdes associés en 1999. En 2000, il publie le premier album d'une trilogie réaliste, Mobilis, sur des scénarios de Andreas chez Delcourt et crée une nouvelle série jeunesse, Oscar, avec Denis Lapière dans Spirou, les albums sont publiés chez Dupuis (2001-2008). Parallèlement en 2005, il signe un one shot avec Jean-Luc Cornette, Central Park, un conte amoureux publié chez Dupuis, album charnière qui lui permet de rassembler des morceaux de « styles ». À partir de 2008, en compagnie de Jean-Pierre Gibrat, il entame une quadrilogie Les Gens honnêtes dans la collection Aire libre. Durieux publie encore d'autres romans graphiques comme Le Pont (Futuropolis, 2007) et réalise par la suite Un enchantement (éd. Futuropolis, 2011), jeu de séduction érudit et onirique se déroulant lors d'une nuit passée au Musée du Louvre. En 2020, Christian Durieux réalise en couleurs directes son propre Spirou, Pacific palace, où il met en scène un Spirou amoureux de la fille d'un dictateur en fuite réfugié dans un palace

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Fred Campoy, scénario et dessin et Mathieu Blanchot, dessin et mise en couleur, d'après la biographie de Marie Madeleine Peyronnet