Le Royaume sans nom, Acte III

Il y a quelque chose de pourri au Royaume sans Nom !
De
Hanna, Redec, Lou
Ed. Glénat
72 p.
15,50 €
Notre recommandation
5/5

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Thème

Plus rien ne semble pouvoir empêcher le règne sans partage du prince Lion. La mort opportune du roi son Père et l’assassinat de son frère aîné ont éliminé toute menace dynastique. La Reine Mère est écartée du pouvoir et réduite à un rôle de représentation. La brutalité et la violence du nouveau monarque, dissimulées sous une apparente indolence, terrorisent jusqu’à ses plus proches conseillers et ont fini de museler tout velléité d’opposition interne. La mort du Tigre des Marais, la déroute infligée aux troupes de l’Empire du Nord et la réputation militaire grandissante du jeune roi semblent par ailleurs avoir éliminé toute menace extérieure. 

Derrière la tranquillité de façade d’un royaume dont la vie paraît rythmée par les siestes et les coups de griffe du nouveau souverain, on s’agite beaucoup au Royaume sans Nom. Pourquoi un tel empressement à conclure ce mariage avec une mystérieuse Princesse du Nord ? Quel but non avoué poursuivent le Trésorier Zèbre, la Soubrette Gazelle et leur complice serpent ? De quel complot les deux brigands et le Capitaine Renard semblent-ils être les instruments plus ou moins consentants ? Le Cerf Ménestrel continuera-t-il de jouer auprès du roi un rôle que l’on était loin de soupçonner ?

Points forts

Ce troisième et dernier acte clôt magnifiquement cette fresque sombre, épique et tragique, faite de secrets de famille, de guerres de succession, de luttes de pouvoir, d’intrigues et de trahisons, au cœur d’un royaume peuplé d’animaux anthropomorphes. Peu sensible à ce genre, j’ai été totalement conquis par cette trilogie de bruit et de fureur, de sang et de violence, qui mêle les influences shakespeariennes, bibliques et antiques à celles des tragédies de Corneille et Racine. Coup de chapeau aux auteurs qui réussissent le tour de force d’articuler au service d’un récit cohérent, tout en les modernisant avec brio, des thèmes tels que l’infanticide maternel (Médée, Les Atrides), le parricide (Œdipe, Hamlet), le fratricide (Cain et Abel, Romulus et Rémus, Hamlet encore), le fils prodigue (Evangile de Luc)… 

Deux ingrédients majeurs y contribuent. D’abord un humour piquant, tranchant, dont l’esprit, le second degré et l’autodérision irriguent des dialogues percutants ciselés avec une minutie d’orfèvre. Omniprésent, il crée un contrepoint décalé à la manipulation, la dissimulation et la brutalité, qui sont de mise au Royaume sans Nom

Ensuite un dessin dont l’exubérance, la générosité et la tension vous aspirent dès les premières pages. Même si celle-ci semble parfois retomber au gré de quelques cases en apparence plus apaisées, il transmet en permanence une vibration sous-jacente annonciatrice de la prochaine et inéluctable explosion de violence.

Quelques réserves

Nous sommes à mi-chemin entre la réserve et le coup de chapeau. De la réserve car la chute de ce dernier acte est si inattendue, si décalée par rapport à ce qui a précédé, qu’elle pourrait donner le sentiment d’une fin à la limite du grotesque venant entacher la puissance et la noirceur de la trilogie, notamment celles du deuxième acte, à mes yeux le plus abouti. 

Du coup de chapeau car savoir conclure un album ou une série d’une façon aussi déroutante constitue un vrai tour de force. D’autant plus lorsqu’une telle chute, en forme de clin d’œil à Machiavel, est porteuse d’une morale à méditer sur la façon de conquérir et de conserver le pouvoir. Le temps des guerriers et des combattants serait-il passé ? Celui des comploteurs et des affairistes serait-il advenu ?

Encore un mot...

Comment ne pas tomber sous le charme des personnages du Royaume sans nom ? Pourtant, ils n’ont rien pour plaire. Ces animaux de papier semblent avoir hérité de tous les défauts de leurs frères humains. Ils sont couards, pleutres, cupides, lâches, fourbes, sanguinaires, avides, cyniques, veules, pervers, gloutons… Quel que soit leur camp, il n’y en a pas un pour rattraper l’autre. Quand bien même, le Capitaine Renard et le Cerf Ménestrel se laisseraient aller à de rares et surprenants élans de générosité et d’authenticité.

Mais alors… Quelle galerie de personnages hauts en couleur ! Quel plaisir de les observer se débattre pour survivre dans un monde dont le cynisme et l’absence de scrupules n’ont rien à envier au nôtre ! Quel bonheur de savourer la façon dont les auteurs ont choisi tel ou tel animal en fonction du caractère du personnage qu’il campe. Les différents ambassadeurs du Nord que l’on croisera au fil des trois actes, du porcin glouton au cheval taciturne en passant par la loutre apeurée, en sont le plus bel exemple. 

Une illustration

L'auteur

Musicien de formation, Herik Hanna rejoint la BD via l’influence des comics et du cinéma. En 2010, avec la complicité de Trevor, Hairsine, il publie L’Héritage du Kaiser pour la série-concept Le Casse, éd. Delcourt. Chez le même éditeur, il participe en 2012 à la deuxième saison de 7 avec 7 Détectives dessiné par Eric Canete. Fidèle à Delcourt, il réalise avec Bruno Bessadi la série Bad Ass, 2013-2018. Parmi ses autres productions, on notera le one-shot Altamont, en collaboration avec Charlie Adlard, éd. Glénat, 2023.

Guillaume Bredèche, également connu sous l’alias « Redec » est un dessinateur et coloriste de bandes-dessinés français. Il a notamment collaboré avec Herik Hanna sur la série Bad Ass présentée ci-dessus.

Simon Canthelou, alias Lou, démarre tout de suite sa vie professionnelle dans le graphisme. Autodidacte, il touche également à la création audiovisuelle. Après avoir illustré des couvertures de romans pour les éditions Petit à Petit, il se lance dans la mise en couleur de la série Idoles chez Delcourt puis de C.O.P.S. Puis il bascule à 100% dans la B.D. Il contribue notamment à la très jolie série Mafia Story, éd. Delcourt, 2009-2014 et à la renaissance de La Brigade Chimérique, éd. Delcourt, 2022. 

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Scénario Cédric Apikian, dessin Denis Rodier, couleurs Elise Follin