Franco, le temps et la légende

Les mythes de l’Espagne franquiste ont la vie dure
De
Stéphane Michonneau
Flammarion
Publication le 10 septembre /2025
368 pages
24,90 euros
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Thème

Franco, le temps et la légende n’est pas une énième biographie du dictateur. Dans ce récit anti-chronologique, l’historien s’attache à cerner les empreintes qu’il a laissées sur la société espagnole, de son vivant et après sa mort, il y a exactement 50 ans. Franco est un créateur de légendes.

Le bourgeois converti en ‘roi de la paix’, proche du peuple et chantre de la modernité pour masquer une répression féroce dans les années 60 ; le bâtisseur corrompu qui succède au Généralissime avec des résultats économiques discutables ; ‘le doigt de Dieu’ désigné par l’Église pour sauver l’Espagne ‘évangélisatrice de la moitié de la terre et marteau de l’hérésie’ ; le chantre de la Raza, qui, en 1936, accomplit le destin millénaire de l’Espagne, celui des Conquistadores, et venge l’humiliation de Cuba de 1898 ; l’inventeur de la ‘démocratie organique et chrétienne’ avec culte du chef, syndicat et parti uniques, presse muselée ; le roi sans royaume qui échappe habilement aux destins du nazisme et du fascisme ; ‘ l’as de la Légion’ au Maroc,  le comploteur prudent, aux talents militaires discutables ; le rempart contre la gauche qui réprime durement le mouvement ouvrier des Asturies en 1934.

L’Espagne n’en n’a pas fini avec ses divisions du passé. L’exhumation de la Valle de Los Caidos en 2019 n’a pas ‘tué le mort’, au contraire. Il a fallu attendre 2022 pour que la dictature soit officiellement condamnée. Un révisionnisme se fait jour que symbolisent les affrontements des nouveaux partis Vox, Ciudadanos et Podemos, sur les thèmes de l’unité du pays ou de la gestion mémorielle.

Points forts

Cet ouvrage sert une cause mémorielle majeure, celle de la dénonciation du franquisme. Il interroge aussi sur la capacité d’une dictature née d’une guerre civile féroce à réduire au silence une population et d’ignorer la démocratie renaissante partout ailleurs en Europe, aussi longtemps. Il illustre enfin la fragilité du renouveau, faute de tradition démocratique et d’une réconciliation solide.

L’historien s’appuie sur une bibliographie considérable. Il exploite aussi des sources multiples qui mesurent dans le temps le pouls du régime et de la société espagnole : sondages d’opinion (déjà très pratiqués sous Franco), livres, films, timbres, coupures de presse, monuments (et la dynamique de la défranquisation de l’espace public), évènements comme celui de l’exhumation de 2019. 

Michonneau explore rigoureusement comment Franco s’est saisi des failles historiques de la société espagnole (absence de tradition démocratique et goût prononcé pour les pronunciamientos, séparatisme régional, peur du communisme, poids de l’Église, aspiration des Espagnols à la paix) pour inscrire son pouvoir dans une durée qui laisse songeur encore aujourd’hui. Il reconnaît l’habileté de l’homme dont le régime échappe au sort de ceux de l’Axe, sort ensuite de l’opprobre de l’ONU puis intègre le camp occidental grâce à son anticommunisme impeccable. 

Quelques réserves

L’approche anti-chronologique du livre a l’intérêt d’apprécier la mythologie franquiste dans le temps, par exemple le réexamen des talents militaires de Franco ou le bilan économique du régime. Mais elle nuit à notre avis à la fluidité du récit et entraîne des redites non corrigées à l’édition.

Encore un mot...

Un timing de sortie parfait pour cet ouvrage sérieux qui aide à saisir la fragmentation de la jeune démocratie espagnole menacée elle aussi par la tentation illibérale. Un rappel aussi que la connaissance de l’histoire sert le devoir de mémoire et la réconciliation. 

Une phrase

« S’il y a des héritages, c’est davantage dans une manière de faire de la politique que dans les contenus : une idée de la nation qui considère que n’importe quelle fracture sociale, politique, idéologique, linguistique ou régionale la met en danger ; … une identification de la nation au catholicisme ; … une forme d’appropriation économique du bien public en faveur d’une minorité qu’on appelle corruption ». (concept de franquisme informel de S. Faber cité par l’auteur p. 327).

L'auteur

Stéphane Michonneau est historien, professeur d’Université, spécialiste de l’Espagne. Cet ouvrage illustre son intérêt pour les mémoires : guerres napoléoniennes, catalanisme, guerre civile. Il a notamment publié Un récit mémorable, (Presses de la Sorbonne, 2017). 

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