La vie profonde, une expédition dans les abysses

Par 1700 mètres de profondeur, science et poésie des grands fonds. Bien plus qu'un journal de bord !
De
David Wahl
Arthaud
Parution en Mars 2023
176 pages
19 €
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4/5

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MoMARSAT 2017 aurait pu être le titre de cet essai ! David Wahl, auteur, dramaturge et interprète a choisi plutôt de donner à l'édition du journal de bord qu'il a tenu pendant cette mission le titre de La vie profonde. Une expédition dans les abysses, son sous titre, témoigne, au sens propre, de l'expérience vécue, en juillet 2017, à bord du Pourquoi pas ?, fleuron des navires océanographiques de l'IFREMER. Invité comme témoin "non scientifique" à découvrir ces mondes fascinants et presqu'inconnus des sources hydrothermales tapies au fond des océans, il avait pour mission d'en rendre compte avec ce regard singulier qui est celui de l'artiste et de l'écrivain.

Pendant trois semaines, il va partager à bord la vie et les missions de l'équipage, à la découverte de ces mondes perdus, écrasés par la pression des grandes profondeurs, sans aucune lumière et sans oxygène. La vie grouillante qui y a été découverte il y a une quarantaine d'années est totalement contre intuitive, encore largement inconnue, à l'exploration aussi fascinante et complexe que celle de l'espace. David Wahl y raconte les enjeux biologiques, géologiques, économiques et humains de cette exploration.

La mission qui s'est déroulée sur le site Lucky Strike (bonne pioche en français, et marque de cigarette américaine, humour à double effet pour désigner cette source  hydrothermale au "fumeur noir") compose 80% de l'essai ; les 20% restant étant consacrés à la suite et fin de mission à Vancouver au Canada.

Points forts

L'idée de solliciter des artistes pour contribuer à l'échange entre science, économie et société, sur l'avenir des grands fonds marins - sanctuaires à protéger - et/ou zones économiques aux potentiels à exploiter, est une idée de l'IFREMER.

Originale et formalisée dans le programme Donvor (mer profonde en breton), elle vise, selon les termes de David Wahl "à sensibiliser le grand public aux enjeux touchant les écosystèmes marins, le premier du genre." Et l'auteur d'être le premier dramaturge à participer à ce type de mission en haute mer, en l'occurrence, au large des Açores en eaux portugaises. Et cette immersion de servir de cadre à une création théâtrale.

Dans son avant-propos, écrit en décembre 2022, David Wahl affirme que la science a la capacité de nourrir une poétique. Cette observation illustre à merveille les points forts de cet essai : 

  • Le style du journal de bord, alerte, varié, qui s'intéresse autant aux petits détails qu'aux grandes questions. 
  • La vie quotidienne partagée avec une équipe de chercheurs hyper experts, auxquels il est rendu un sympathique et mérité hommage.
  • L'aventure sous-marine (à 1700 mètres, sans visibilité, dans des eaux corrosives à plus de 300 degrés, une pression à écraser un éléphant en une seconde : rien de plus hostile), où grouillent des coraux, des moules de 40 cm, des crevettes et autres vers géants sans oublier les poissons chimères aussi à l'aise sous 170 bars de pression qu'une libellule en plein ciel…
  • Des respirations poétiques, philosophiques et littéraires, qui ne doivent pas rebuter le curieux, mais au contraire, qui sauront le surprendre par  leur "à propos" et leur concision.

Quelques réserves

Aucune réserve, cet essai marie avec bonheur une écriture simple et suggestive et un récit scientifique tout à fait accessible.

Et vous pourriez vous demander pourquoi avoir attendu presque 6 ans pour publier ce journal de bord ? Et bien, il semble que ce soit le délai qu'il fallait attendre pour que les résultats scientifiques de cette mission soient publiés, que le spectacle qui en est issu soit conçu et réalisé. Et peut être aussi parce que la prise de position du Président Macron en décembre 2022 lors de l'inauguration de la COP 27, déclarant le soutien de la France "à l'interdiction de toute exploitation des grands fonds", a créé un contexte favorable à l'édition de ce journal de bord, qui sans le dire aussi explicitement, défend cette position.

Encore un mot...

Belle découverte que ce petit essai ciselé à la plume d'un auteur inspiré et attachant par son verbe et ses projets !

Ces univers profonds ouvrent de considérables portes de connaissances autant que de questions : comment la vie peut-elle se développer sous de telles contraintes à l'opposée absolue de la vie sous oxygène et rayonnement solaire ? Et si elle s'est développée sur ces dorsales océaniques, lieu de rencontre du magma avec les eaux profondes, alors, pourquoi de telles formes de vie n'existeraient-elles pas dans l'espace, et au plus près de nous, dans le système solaire ? La réponse à ces questions motive la bioastronomie, cette discipline qui recherche la vie dans l'univers. A ce propos, ne manquez pas de lire A l'aube de nouveaux horizons, de Nathalie A.Cabrol.

Seconde nation au monde en terme de territoire maritime, la France a une voix essentielle à porter dans le débat sur l'exploration et l'exploitation de ces grands fonds marins, singulièrement sur des "eldorados" en ressources chimiques et métallurgiques que sont les sources hydrothermales en eaux très profondes.  Ce petit essai, qui évoque avec poésie et rigueur la vie dans ces grands fonds, y contribue avec beaucoup de sensibilité et d'intelligence.

Une phrase

  • "Dans nos profondeurs […] il existait dans ces environnements hostiles […] balayés par des fluides empoisonnés, une vie luxuriante, bizarre, aux formes et physiologies inédites. Les étrangetés biologiques dont nos rêves avaient paré l'espace et qui manquaient à la Lune, se trouvaient en vérité sous la coque de nos bateaux." P 10
  • "12 juillet 2017.
    Première descente. Grâce au ROV Victor et aux écrans de vidéotransmission auxquels je suis collé, je vois ce qu'aucun homme, il y a peu, n'aurait jamais imaginé de voir. Je me sens, au choix, Christophe Colomb, Pythéas, Dumont d'Urville, Magellan, ou plutôt, Neil Armstrong. Une émotion dont je cherche en vain l'équivalent. D'autant qu'il faut le reconnaître, je n'ai jamais exercé la profession de découvreur de mondes." P 49
  • "18 juillet 2017.
    La mer se fait grosse. Aidée par un ciel plombé, l'obscurité tombe vite. La nuit devient alors terrible. Il y a comme une épouvante qui vole tout votre être. Cette grâce que la nuit accorde par beau temps devient damnation quand plus rien ne l'illumine. Pas de lune, pas d'étoile, pas de phosphorescence sur l'écume. L'ombre, comme un cauchemar, convertit tout. Elle vient par le ciel et se répand sur les eaux." P 82

L'auteur

David Wahl est écrivain, dramaturge, et interprète. Artiste associé à l'Océanopolis de Brest, centre national dédié à l'océan, il porte et incarne la conviction de la nécessaire rencontre entre la science et la création artistique. Auteur de pièces, il est aussi concepteur d'expositions, dédiant sa priorité aujourd'hui à l'écriture et à l'interprétation de ces "causeries" qui visent à relier théâtre et sciences. Les questions environnementales sont très présentes dans son travail de création. Il a écrit plusieurs livres, dont Le sexe des pierres et une Histoire spirituelle de la danse.

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