L’Angle mort

Dieu ne lui en voudra probablement pas
De
Régis Debray
Editions du Cerf
Notre recommandation
4/5

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Thème

En citant au tout début de cet essai la phrase de Napoléon « l’imaginaire gouverne le monde », Régis Debray donne à l’empereur défunt un billet de retour sur la scène actuelle : depuis les attentats du 11 septembre 2001, le terrain de chasse du terrorisme est devenu planétaire. Pourquoi et comment en est-on arrivé là ? L’ère numérique a donné au Djihad une force de frappe qu’il n’espérait pas : "ce self-service décentralisé fait sauter les fusibles institutionnels, et peut inciter à l’action directe, sans précaution ni préavis. Outre les facilités de mise en réseau des illuminés, il y a celles du moindre effort, suite au contact immédiat avec les sources scripturaires, les textes à l’état brut sans explications". (page 37)

Points forts

Une langue aiguisée, moderne, haletante qui fait mouche et balaie devant elle avec l’allant d’une torpille. Si Régis Debray ne fait pas dans la tiédeur, il a l’avantage de connaître son sujet sur le bout du doigt. Croisades, guerres de religion, puissance des églises de quelque confession qu’elles soient ou aient été sont le festin quotidien de cet amoureux inconditionnel de la Raison : voilà longtemps qu’il a relégué Dieu, Mahomet, Allah, Bouddha et ses émules dans le placard où superstitions et autres bimbeloteries sacrales doivent, selon lui, être enfermées pour l’éternité. 

L’Angle mort ne cède pas à la facilité d’un pamphlet mais se veut une réflexion où se mire l’histoire de l’Homme et celle de ses incertitudes quant à l’avenir: purgatoire, paradis et au-delà miséricordieux y restent des destinations de moins en moins trouvables.

Quelques réserves

Aucun en vue. Régis Debray n’est ni magicien ni vendeur de vent : pourquoi livrerait-il à ses lecteurs le remède-miracle contre le terrorisme alors qu’aucun gouvernement n’y est encore parvenu ?

Encore un mot...

Le terrorisme n’est ici que la rampe de lancement de l’auteur. Il le met en scène comme un premier fusible mais ne s’arrête pas là. Ce qui l’intéresse, ce sont moins les fous d’Allah que la mécanique qui fait de l’Homme le jouet de croyances qui le rendent l’esclave consentant du pouvoir. Si l’Occident a vécu depuis deux mille ans sous le double dais de l’Eglise et du pouvoir, l’Orient fait de même aujourd’hui en y ajoutant une arme planétaire : le Web sur lequel les marchands de vie et de mort s’en donnent à cœur joie. Quand tuer son prochain de sang-froid donne un accès immédiat au paradis, pourquoi s’en priver ? La destination-paradis offre, quoi qu’il en soit, un coupe-file pour le ciel, un kit de résurrection, un passe-partout permettant de renaître, plus fort et plus beau, son forfait accompli : c’est l’irruption d’IKEA dans le De Profundis. (page 18)

Une phrase

Ou plutôt deux:

- "Notre sevrage prophétique a un coût. Dieu est la transcendance des hommes sans avenir et, l’avenir, la transcendance des hommes sans Dieu. Avoir vu nous filer sous le nez nos deux point sublimes remplacés par le point de croissance, résultat du court XXe siècle, est une épreuve sans précédent….Lire l’avenir dans le présent devient une gageure quand on ne sait pas quel fantôme poursuivre".

- "Quant à la Cité céleste, elle a quitté notre stock de croyances disponibles, surtout après le crash des paradis sur terre. Ne nous restent que les paradis fiscaux et le Club Med, maigre consolation".

L'auteur

Brillant normalien et agrégé de philosophie, ce n’est pas sur les bancs de l’université que Régis Debray accèdera à une notoriété internationale mais en se lançant dans une vie aventureuse aux côtés de Che Guevara dans les années soixante. Un label qui le suivra durablement sans l’empêcher de devenir maître des requêtes au Conseil d’Etat, chargé de mission pour les relations internationales auprès du président François Mitterrand de 1981 à 1985, président de l’Institut Européen en Sciences des Religions de 2002 à 2004, pour devenir en 2012 membre de la Maison de l’Histoire de France. Elu membre de l’académie Goncourt de 2011, il en démissionnera en 2015. 

Couronné par le Femina en 1977 pour La neige brûle, puis par le prix Novembre en 1996 pour Loués soient nos seigneurs, Régis Debray reçoit en 2016 le prix Roger-Caillois pour l’ensemble de son œuvre. Parmi ses livres, citons Bilan de faillite (Gallimard), Un candide à sa fenêtre (Gallimard),Civilisation (Gallimard), Madame H (Gallimard), La laïcité au quotidien (Folio).

L’Angle Mort est le 71ème ouvrage de cet écrivain d’exception.

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