Le corps politique de Gérard Depardieu

De
Richard Millet
Editions Pierre Guillaume de Roux
Notre recommandation
2/5

Infos & réservation

Thème

Pour Richard Millet, Gérard Depardieu est l’archétype du grand mâle hétérosexuel, le glorieux corps français par excellence. Une présence, une « forme d’immédiateté brute » ;  une voix qui est le  thrène, la lamentation funèbre, de la disparition française. Dans la mesure où il a tout joué, il est « une réalité totémique, un ironique surmoi qui nous propose une contre-sociologie de la posthistoire » ( !).

Reprenant certains thèmes chers à Philippe Muray (sans son humour), Richard Millet se sert de l’acteur pour dénoncer la fin de la littérature et pour fustiger  le multiculturalisme comme l’une des formes de la décomposition  spirituelle de l'Europe, qui  réduit l’homme à un simple consommateur ludique, déculturé, féminisé, indifférencié, donc interchangeable dans le grand flux du divertissement planétaire et l’infinie puissance du Bien.

Points forts

- Une constance louable dans le combat malgré les clameurs indignées des grandes âmes. Après « désenchantement de la littérature » (2007),  « L’Opprobre » (2008), « l’Enfer du roman » (2010), « Arguments d’un désespoir contemporain » (2011) et, bien sûr, « Langue fantôme » (2012), l’auteur enfonce le clou sur l’indifférenciation générale, le devenir yankee du monde et la langue post identitaire devenue simple outil de communication au service de la propagande.

- Une apologie bien venue de la verticalité d’antan qui était solitude et transmission opposée à  l’horizontalité communautariste actuelle qui est mimétisme culpabilisant et larmoyant.

- Une mise en lumière d’un Depardieu mystique, habité par le rôle de l’abbé Donissan (Sous le soleil de Satan), reçu par Jean-Paul II et lecteur inspiré de Saint Augustin.

- Une belle défense des choix récents de Gérard Depardieu.

Quelques réserves

- Avec à son actif plus de 200 films ou séries, Gérard Depardieu, c’est vrai,  est un monument du cinéma français, un esprit libre et une grande gueule. Mais, si l’auteur fait preuve d’une connaissance approfondie de  la carrière de l’acteur et  appelle à la rescousse  les plus grands réalisateurs,  les  Blier, Téchiné,  Duras,  Ferreri, Pasolini, Truffaut , Melville et autres Pialat qui ont offert à  Depardieu ses plus grands rôles (mais quand même pas Cyrano qui fait ronronner l’alexandrin au mètre : Rostand, c’est « le karaoké de la littérature française »),  il ne sélectionne que les emplois qui, à son avis, peuvent illustrer sa thèse (son obsession). Tous les excès, tous les  rôles, donc, au service  de la démonstration de Richard Millet sauf…  Germain,  le jardinier de « La tête en friche » celui qui, sans doute, ressemble  le plus au vrai Depardieu.

- Il n’est pas certain que Gérard Depardieu se reconnaisse dans le personnage de Millet, trituré, donneur de leçons jusque dans ses flatulences, lui qui dit de lui-même: « maintenant je m’en fous, on me prend tel que je suis ou on ne me prend pas » («Ca s’est fait comme ça », de Gérard Depardieu p.158).

- Dans cet énième ouvrage, la pensée de Richard Millet semble s’être crispée et son style qu’il pourrait qualifier lui-même de «coruscant» (style brillant  qui se singularise par ses particularités lexicales et sa prédilection pour les vocables rares) ne facilite pas la lecture.

- Il se révèle parfois aigri, voire acariâtre, comme lorsqu’il il  évoque dans l’Express «  les écrivains, dont l'œuvre, nombreuse, primée, encensée sans avoir été lue, s'oublie à mesure qu'elle se publie ».

Encore un mot...

Je donnerais tous les rôles de Depardieu pour l'immense, le poignant Léopold, le bistrotier-poète d'"Uranus". Richard Millet ne le mentionne que de façon anecdotique.

Etonnant, non ?

Une phrase

Page 22, une phrase flamboyante et vacharde qualifie les romanciers post-littéraires :

« Hoplites de la santé romanesque, marathoniens des droits de l’homme, pythonisses de l’antifascisme, Jivaros de la syntaxe paralinguistique, « femmes », pénitents d’outre-sexe, incultes indignés, les écrivains sont la bouche par quoi rote le Bien »

L'auteur

Né en 1953 en Corrèze, Richard Millet passe une partie de son enfance au Liban et y retourne en 1975/76 pour participer à la guerre comme volontaire auprès de la communauté chrétienne. Ecrivain et essayiste, ardent défenseur du style et de la langue française, il demeure assez méconnu, jusqu’en 2012 quand éclate le scandale médiatique provoqué par la publication de « Eloge littéraire d’Anders Breivik », petit texte de 17 pages qui clôt un essai sur la  paupérisation de la littérature, « Langue fantôme ». Sommé de démissionner de chez Gallimard alors qu’il y avait présidé à la publication de deux Goncourt, il perd son poste d’éditeur pour demeurer simple lecteur. Il refuse de se soumettre à la doxa du « culturel », persiste, signe et continue à écrire.

Ajouter un commentaire

Plain text

  • Aucune balise HTML autorisée.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
Ils viennent de sortir

Ils viennent de sortir