Rompre

Yann Moix: l'écrivain, plus intéressant et profond que l'homme de télé
De
Yann Moix
Editions Grasset - 128 pages
Notre recommandation
4/5

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Thème

Un homme quitte la femme qu’il aime sous le coup de la colère, après avoir été particulièrement blessé par l’une de ses remarques. Les quelques moments d’apaisement suivant cette rupture s’étant dissipés, il ressent bientôt l’angoisse du vide qu’il a créé, à la fois de lui-même et malgré lui. La séparation brutale qu’il avait initiée en la pensant réversible se referme sur lui comme un piège en devenant, à travers l’autre, un acte définitif. Hypermnésique, le voilà seul avec ses souvenirs. À travers une série de questions à laquelle l’homme répond, il dévoile en partie les causes de sa manie de tout saboter dans ses relations amoureuses, comme pour conjurer encore et encore une issue fatalement désastreuse. Son enfance faite de violences arbitraires et d’injustices ne lui est « pas un paradis perdu mais un enfer perpétuellement retrouvé ». En voulant lui échapper, il s’y enferme et ne peut que devenir un « gâcheur d’amour », un « casseur de jeunesse et de beauté ».

Points forts

- Une écriture précise, toujours au plus près de la sensation. La description du manque de la personne aimée, manque n’étant par définition partagé avec personne et créant une solitude plus forte encore que celle provoquée par un deuil vécu par tout le monde, l’enfer des souvenirs du narrateur hypermnésique ne se heurtant plus qu’à l’indifférence, l’analyse fine des attitudes des deux personnages principaux de la rupture contribuent à créer un univers saisissant et juste.

- Un format original et vivant. Le fait que le texte soit articulé entre de brèves questions et de longues réponses contribue à créer un entretien mystérieux entre le narrateur et une autre personne qui pourrait être un thérapeute, une connaissance curieuse et distante, un journaliste, le lecteur dont les interrogations seraient comme prises en compte par le texte. Le fait est que le livre est captivant et se lit d’un trait.

- Le texte, dans son ensemble, est tragique et poignant. L’autodestruction analysée au scalpel, les ravages d’une enfance si pénible qu’elle ne peut pousser qu’à chercher dans le futur une justification dans un comportement condamnable, comme pour ne plus porter en elle la marque d’une injustice absolue, le désespoir né des histoires douloureuses sans cesse recommencées, tous ces éléments diffusent à chaque ligne une mélancolie insondable. En ce sens, les dernières pages du livre sur l’amour jamais avoué du petit garçon malheureux pour la petite fille rousse et insouciante sont probablement les plus tristes, mais aussi et de loin les plus belles.

Quelques réserves

On ne peut pas échapper, dans ce récit écrit au masculin, aux sempiternelles considérations générales sur les femmes censées avoir des comportements propres à leur sexe, considérations tellement éloignées de la réalité ou tellement communes, potentiellement, à tout être humain qu’elles en deviennent franchement saugrenues. Que sont censées faire les femmes, selon notre narrateur ? Rechercher, après une rupture douloureuse, une personne qui ne les quittera plus, comme si ce comportement devait être typiquement sexué. On dirait que l’auteur n’a jamais parlé à des femmes habituées à quitter elles-mêmes leurs partenaires ou à d’autres hommes ayant vécu un chagrin d’amour et cherchant à ne plus en vivre. De la part d’un personnage qui se présente comme ayant un comportement si particulier  et faisant justement l’intérêt du livre, ce genre de généralités tombe d’autant plus à plat.

Encore un mot...

Un livre vif et très bien écrit, à la fois cruel et mélancolique. Difficile d’en sortir indemne, du moins d’y être indifférent.

Une phrase

« J’attendis le lendemain, et le lendemain elle riait ainsi que la veille, agrémentée d’un pansement ; elle avait occulté le drame, moi pas. Et lorsque je tentai de faire quelques pas dans sa direction, tremblant comme un chien qui comprend que son maître va le rouer de coups de pied, son père l’appela pour le goûter. Cette intervention me coupa les jambes ; même si, sans doute, j’eusse trouvé en chemin quelque autre prétexte pour bifurquer et raturer ma décision d’être courageux. Le dessin, le poème se retrouvèrent dans notre bungalow le soir même, ridicules, nettoyés de leur contexte, privés de leur occasion, coupés de leur aubaine; je ne pourrais jamais plus les donner en offrande à mon amoureuse. Une de mes lectures favorites, alors, était une histoire de Charles M. Schulz intitulée « Charlie Brown et la petite fille rousse ». C’était strictement mon aventure qui y était relatée ; si bien que je ne savais pas si l’on pouvait parler de coïncidence, ou si au contraire je me servais de la mésaventure de Charlie Brown comme d’un canevas. Il n’osait pas dire à la « petite fille rousse » que son cœur battait pour elle ; mais à la fin, il vainquait. Moi, je restais cloîtré dans ma cellule. J’étais condamné à continuer à l’inventer, à lui prêter des intentions, à être le ventriloque de ses rêves. Cette mélancolie est proche de la folie – j’avoue que j’étais fou ; et je le suis resté.». p110.

L'auteur

Né en 1968, Yann  Moix a écrit de nombreux romans, dont « Jubilations vers le ciel » (Prix Goncourt du Premier Roman 1996), et « Naissance » (Prix Renaudot 2013). Il a réalisé un film à succès  adapté de son propre roman, « Podium », sorti sur les écrans en 2004. Entre 2015 et 2018, il a été chroniqueur dans l’émission « On n’est pas couché » sur France 2. Ayant également été chroniqueur pour différents titres de presse écrite, dont Marianne, Elle ou Le Figaro, il collabore encore actuellement au magazine Paris Match. 

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