La forêt de flammes et d’ombres

L’Art, résistance divine à toutes forces destructrices. Un superbe roman dramatique et délicat
De
Akira Mizubayashi
Gallimard
Parution le 14 août 2025
274 pages
21 euros
Notre recommandation
4/5

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Lu
par

Thème

Fin 1944.

Le Japon agonise après un conflit de plus de douze ans en Chine et de quelques autres années aux côtés de l’axe du Mal germano-italien. La propagande officielle n’en fait naturellement pas état et poursuit sa politique de désinformation et d’engouement fanatique auprès d’un peuple soumis, dont la jeunesse paye au prix de son existence un tribut dramatique.

Les jeunes étudiants échappent encore à l’enrôlement systématique. C’est le cas de Ren, artiste peintre, élève des Beaux-Arts, mais qui est néanmoins contraint de contribuer à l’effort de guerre en travaillant dans un centre de tri postal.

Il y rencontre une jeune femme, Yuki, elle aussi étudiante en peinture dans une autre université et Bin, violoniste en formation dans l’une des écoles de musique de Tokyo.

Une amitié sincère enveloppe très vite le trio, offrant à chacun la joie de se retrouver chaque jour et d’oublier durant quelques heures les affres de l’époque en évoquant leur amour respectif pour la musique et la peinture occidentales.

Jusqu’au jour où Ren reçoit un document d’incorporation dans l’armée, le statut protecteur d’étudiant disparaissant devant le besoin d’une force vive pour poursuivre le combat.

Bin échappe à cet engagement obligatoire, à cause d’une (ou grâce à) claudication post-traumatique.

Yuki voit Ren la quitter, à la porte de ce qui est déjà un sentiment plus amoureux qu’amical, et le Destin accapare désormais les vies de ces trois jeunes adultes.

Points forts

  • Akira M. nous entraîne au bout de quelques pages dans la pureté des sentiments individuels et la violence d’une société globale déliquescente, dans cette opposition bouleversante entre le désir de vie et l’imposition d’une mort guerrière.

  • Les arts représentés par les artistes prometteurs inscrits dans ce roman, la musique et la peinture, tamponnent par touches subtiles un texte sensible, délicat et profond.

  • La vibration musicale des mots et le chatoiement pictural des images d’une relation amicale naissante voient leur authenticité se heurter à la réalité d’un ciel sombre, traversé par le seul déversement de projectiles de mort.

Tout est drame ici, et tout est espoir, malgré tout, avec ce message redit une fois encore d’une violence intrinsèque de l’Homme butant sur l’abnégation pacifiante et admirable de la Femme.

Quelques réserves

L’écriture peut sembler parfois d’une légèreté un peu scolaire et certains passages empruntent la voie d’une proposition en apparence naïve mais il faut garder à l’esprit que l’auteur, d’origine japonaise, rédige ce roman et tous ses livres en langue française à qui il redonne d’emblée une noblesse originelle !

Encore un mot...

Akira Mizubayashi utilise dans La forêt de flammes et d’ombres  les deux ingrédients - une fois encore, diront quelques détracteurs - que sont la guerre qui a ravagé le Japon au mitan du siècle dernier et sa connaissance appuyée de la musique occidentale des deux siècles encore précédents.

Ce dernier point est prégnant, confinant à un véritable enseignement musicologique. Beethoven et Mendelssohn occupent une place de choix et notamment la célèbre Cavatine pour quatuor à cordes du premier. Écouter cette pièce musicale en lisant certains passages du roman sans voir l’œil s’humidifier est une gageure !

La guerre ensuite, progressant inexorablement telle une symphonie diabolique vers le chaos absolu de mai 1945, ensevelissant des centaines de milliers d’êtres dans le feu nucléaire.

Amoureux bien sûr de son pays, révolté par la cynique emprise de l’Empereur de l’époque sur un peuple asservi consentant au sacrifice suprême, Akira M. ne peut avec son talent faire l’impasse sur ces événements qui ont fait du Japon un soleil couchant…

Et ces deux axiomes viennent se rejoindre pour affirmer une fois de plus que l’Art est une résistance divine à toutes les forces destructrices, quelles qu’elles soient.

Une phrase

« L’art -la musique aussi bien que la peinture- réunit les âmes, les ouvre l’une à l’autre, parce qu’il réveille et ravive en elles ce pouvoir d’empathie, cette force d’identification singulière avec l’être souffrant, avec la mort, le plus souffrant de tous les souffrants. » Page 264

L'auteur

Mélomane et musicien, Akira Mizubayashi est un écrivain japonais d’expression japonaise et française né en 1951. Tous ses livres sont publiés chez Gallimard, dont Une langue venue d’ ailleurs(2011),  Mélodie. Chronique d’une passion (2013), Un amour de 1000 ans (2014). Son roman Âme brisée publié en 2019, très vite remarqué, a été récompensé, entre autres prix, par le Prix des libraires en 2020. C’est le premier opuscule d’une superbe trilogie musicale, avec Reine de cœur en 2022 et Suite inoubliable en 2023.

Son œuvre s’est distinguée cette année par l’obtention du Grand prix de la francophonie.

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