Costa Brava

N'est pas Hussard qui veut
De
Eric Neuhoff
Editions Albin Michel
Notre recommandation
2/5

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Thème

L'auteur, Eric Neuhoff, se confond avec le héros et parle à la première personne. Il revient pour les vacances à Canyelles, petite station balnéaire de la Costa Brava, proche de Cadaquès, le village de Dali.

Flanqué de ses deux enfants, Clément et Frédérique, dont il assume nonchalamment la garde dans le prolongement d'un mariage raté, il retrouve les lieux de ses vacances adolescentes et certains de ses camarades de jeux ; Antoine, Charles, Bénédicte et Daphné.

Ainsi s'engage une balade dans le temps, celui de ces vacances d'été, chaudes et sensuelles, celui de l'adolescence qui feint la gravité du moment dans un concert de vacuité et de futilité absolues.

Les protagonistes d'hier et d'aujourd'hui n'ont pas gagné en épaisseur avec l'âge et semblent subir leur vie plus qu'ils ne la mènent. D'une étape sur l'autre, leur rythme est lent, la fatalité seule les conduit, les amours sont éphémères et rien de ce qui construit une vie ne s'engage.

Au-delà de cette perspective lénifiante de l'âge réputé heureux, sans doute aggravée par l'oisiveté lestée par le chaud soleil de Catalogne, l'auteur évoque les années soixante, les migrations et les bouchons à la frontière, le col du Perthus, la 403 et la DS, les Ducados, les boites de nuit et les chansons d'un soir…la ronde prenant fin avec l'âge mur au rythme de l'emblématique Porque te vas.

Et en substance peut-être, sans que le texte très pauvre en nourrisse jamais l'expression, une certaine forme d'affranchissement que l'été autorise, celui des parents qui goûtent dans ces années là leurs premières vacances à l'air libre, côtoient un nouveau monde où la relation prend le pas sur la famille, jusqu'aux enfants qui éprouvent avec eux et au fil des années le parfum de la liberté constituant à leur âge la seule conquête qui vaille.

Points forts

On éprouve toujours un goût pour l'histoire qui raconte un peu son histoire. Ainsi celle universelle de l'adolescence qui envisage tout mais ne permet pas grand-chose. Dans ce registre, les thèmes éternels sont évoqués, le goût nouveau de l'amitié, pour les garçons le goût des filles et leur quête insatiable qui va devenir obsessionnelle. 

Mais il y a loin de la suggestion à la pertinence...

Quelques réserves

Les personnages manquent cruellement de densité. Pour la plupart d'entre eux, on ignore finalement qui ils sont. Le seul qui soit un peu travaillé est celui de Daphné, la jolie fille du groupe, celle qui attire les regards, qui allume et ne donne pas grand-chose en retour. Daphné est à quarante ans ce qu'elle était à 18, superficielle ; mais si l'on peut faire quelque chose dans le roman avec la superficialité, tel n'est pas le cas ici car son évocation même l'est aussi, la superficialité de Daphné étant évoquée comme une évidence sans que ses attributs en soient révélés par ces touches successives qui donnent la vérité au portrait. Et il en va de Daphné comme des autres.

L'errance de ce jeune garçon encore pubère dans la découverte du sexe opposé reste quant à elle du dernier convenu. Evidemment on comprend vite que les allumeuses de son âge se refuseront trop longtemps à sa jeune sève virile, si bien que lorsqu'apparait sous les lampions de la fête une inconnue déjà mûre, on comprend vite quel sera son office. Déniaiser ce pauvre garçon et passer son chemin pour le rendre aux pucelles qui le cherchent sans s'offrir et sans le trouver.  Le scénario est écrit d'avance.

Dans le genre, la noyade suicidaire de cette jeune fille de seize ans au terme d'une passe avec l'auteur dans une voiture laisse pantois ; rien ne l'annonce, rien ne l'explique, le drame n'a aucune épaisseur et sonne dès lors complètement faux.

Et puisqu'il faut parler de roman, d'écriture, et mieux encore de roman français, que dire de cette langue si muette qui aligne des phrases si courtes, constituées d'un sujet, d'un verbe et d'un complément, rythmée d'innombrables points, autant de mots faibles qui s'enchaînent dans des phrases sommaires et qui au bout du compte ne disent rien, sinon le néant de cette adolescence qui ne guérit guère avec l'âge. Le tout sans le rythme du chapitre puisque le roman n'en compte pas ou n'en compte qu'un.

Où est donc l'inspiration de Déon, cet auteur justement admiré par l'auteur ? Daphné n'est pas Adriana, Canyelles n'est pas Spetsai et Neuhoff ne nous écrit pas d'Italie.

Sauf à considérer que le vide de l'adolescence se démontre ainsi, par celle du texte et l'errance de son auteur...

Encore un mot...

On dit de Neuhoff en le citant qu'il aime l'humour, l'insouciance, la frivolité, la culture, l'art de vivre, les restaurants, les jolies femmes, l'amitié.

Je les aime aussi mais n'en ai pas trouvé dans ce livre la trace tangible.

On rapporte aussi qu'il aime l'été, les vacances, les baignades, les voitures décapotables, les filles en maillot de bains, le ski nautique.

Il est bien question de tout cela dans "Costa Brava" mais il en manque la substance ou la poésie, disons plutôt la volupté que l'été suggère.

Une phrase

- "L'été s'achevait, un autre été. Antoine partit faire les vendanges dans le Médoc. Jules nous ramena sa drôle de fiancée, une Japonaise qui n'ouvrait pas la bouche et qui ne voulait manger que du poisson cru. Au début nous crûmes qu'il exhibait Kumiko pour énerver Daphné. Mais non ce n'était pas ça ; il avait bel et bien oublié Daphné. Elle en fut presque vexée".

- "Daphné et Bénédicte étaient ses voisines. Il y avait la brune et la blonde. La parisienne et la lilloise. Elles habitaient derrière chez lui. Un jour il m'invita à déjeuner. Son père était pilote d'essai. Ses jambes maigres et blanches sortaient de son short gris. Il avait une chemise à carreaux rouges et des espadrilles beiges qu'il portait en savates, contrairement à tout le reste de la crique".

L'auteur

On ne présente plus Eric Neuhoff. A soixante ans sonnés, ce dilettante auto-proclamé fait partie du paysage littéraire français, à l'intérieur comme auteur et à l'extérieur comme critique et chroniqueur (Le Figaro, le Masque et la Plume).

On parle de lui comme d'un néo-hussard alors qu'il a reçu le prix Roger Nimier pour "Les hanches de Laetitia" et qu'il voue une légitime admiration à Michel Déon, au point de lui dédier son dernier ouvrage.

Citons parmi la vingtaine de romans que constitue sa "production" à ce jour, certains de ceux qui lui valurent les suffrages du petit monde germanopratin qu'il fréquente : en 1997, "La Petite Française" primé par l'Interallié ; en 2001, " Un bien fou" primé par l'Académie Française.

A quand le Renaudot ou le Goncourt ? Aujourd'hui et pour "Costa Brava", il devra se contenter du prix Cazes fondé en 1935 par Marcellin Cazes, propriétaire de la fameuse Brasserie Lipp.

Ce prix est statutairement décerné à ceux de ces jeunes auteurs qui promettent sans avoir encore été couronnés. Curieuse ou significative abstraction alors que le récipiendaire du dernier cru n'est pas un perdreau de l'année et qu'il a déjà profité de la bienveillance des Jurys littéraires. Trop sans doute au point qu'on l'ait oublié et qu'on veuille lui donner une nouvelle chance...

Commentaires

michel
jeu 09/05/2019 - 14:12

J'adhère complètement à votre critique. J'ai achevé ce livre (réédition en poche) péniblement, lassé de ces dragues et cuites , un peu écoeuré aussi. Eric Neuhoff nous avait habitué à mieux. Quant à Déon, je ne vois dans ce livre aucune filiation : allons ( re)lire "Tout l'amour du monde" et (re)découvrons , entre autres, une Méditerranée et des femmes qui font rêver.

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