De sable et de neige

Mémoires fugitives du bonheur
De
Chantal Thomas
Mercure de France, 7 janvier 2021 -
201 pages -
19 euros
Notre recommandation
3/5

Infos & réservation

Thème

Née en 1945, Chantal Thomas, de l’Académie française, nous invite à partager ses souvenirs, d’enfance surtout, entre le bassin d’Arcachon, la campagne charentaise et les Pyrénées. Le récit s’achève à Kyoto, au Japon.

Les familiers des Iieux se délecteront des évocations soignées de la plage océane de l’Horizon, ses flots tumultueux et ses bunkers renversés sur le sable, tout en contraste avec la quiétude trompeuse du Bassin. Le lecteur suit Chantal Thomas, hier et aujourd’hui, dans sa ville natale d’Arcachon, dans les rues parsemées d’épines de pin du Cap Ferret et pose avec elle son regard sur la blanche dune du Pilat

Dans le regard de la petite fille, on aperçoit une famille unie : les grands-parents, les parents et surtout Armand, le père adoré, taiseux et amoureux de la pêche dans le Bassin.

Les jeux de plage, l’indestructible amitié enfantine, l’école et son cortège d’interdits et d’ennui, les prémices d’une rébellion pré-adolescente sont évoqués avec ce qu’il faut d’images bien cadrées qui forment le décor du quotidien des jeunes Français du milieu des années 50.

Du blanc du sable, le récit bascule dans celui de la neige le jour où Arcachon est recouvert d’une très épaisse couche de poudreuse, le 21 février 1956. La neige n’est plus jamais sérieusement revenue mais Arcachon, rappelle l’autrice, a abrité longtemps un site - probablement unique - de piste de ski sur grépins (une épaisse couche d’aiguilles de pins) qu’elle aimait fréquenter. Elle n’aura alors de cesse d’aller skier dans les Pyrénées.  

Au total, on partage dans ce récit impressionniste et sensible, la nostalgie de l’auteur pour ces fragments de jeunesse qui renvoie avec justesse aux couleurs d’une époque révolue. On retrouve aussi la famille-cocon qui façonnait souvent les personnalités, tant dans l’imitation que dans l’opposition. L’universitaire Chantal Thomas ne manque pas de parsemer son récit d’échappées artistiques en convoquant très à propos une large cohorte de peintres et d’écrivains, ce qui ajoute une tonalité érudite à ce récit intimiste.

Points forts

- Ce livre invite à une douce et heureuse mélancolie. Dans le récit cohabitent des odes multiples : à la jeunesse, à l’amitié enfantine, au père, à la nature qui suffit au bonheur de l’homme.

- On y trouve un hommage très tendre du père, élevé ici au pinacle. Son portrait dessiné par touches est empreint de mystère  (il a été un héros pendant la guerre mais on n’en saura pas plus). Emmuré dans son 'blockhaus de silence’, sa parole est guettée parce que économe et rare. Il s’affirme tout en contrastes à peine ébauchés avec la mère.

- On pourra envier l’amour et l’attention qui ont nimbé la pré-adolescente d’Arcachon. On est sensible à sa pudeur et sa résignation froide lorsque son père meurt brutalement, alors qu’elle n’a que 17 ans. L’auteur n’en fera son deuil que longtemps après, un 31 décembre à Kyoto, quand elle réalise que les stèles de bois enlevées des tombes et jetées au feu par les moines portaient le nom des morts. 

Au total, on trouve là un récit très sensible qui résonne de sensations et de sentiments que certains auront partagés dans leur jeunesse. Tout semble à sa place comme dans un cosmos parfait, même si l’adolescence qui vient laisse entrevoir des chamboulements. Les photos, la plupart personnelles (des lieux, des personnages, y compris l’auteur) qui rythment les pages, épousent parfaitement la tonalité des propos. On voudrait être capable de commenter ses albums personnels avec un tel talent !

Quelques réserves

- Les plus jeunes des lecteurs trouveront peut-être cette évocation de la prime jeunesse idéalisée ou conventionnelle. Certains avanceront que la nostalgie (pour la famille, les lieux, les choses…) résonne moins aujourd’hui qu’hier ou que les incidentes artistiques de l’universitaire diluent inutilement le propos intimiste du récit.

- D’autres qui ne les connaissent pas seront moins touchés par la grâce et l’équilibre des lieux (le Bassin, la violence de l’océan, les pinasses…). Ils trouveront peut-être même un tantinet mondain les commentaires élogieux sur Hortense, dont on comprend que c’est un restaurant à la mode depuis cent ans !

- Si le sable est présent avec insistance dans le récit, on ne peut pas en dire autant de la neige qui ne bénéficie pas du même traitement chromatique. On conclura à ce relatif déséquilibre que Chantal Thomas est décidément plus une enfant du Bassin que des Pyrénées malgré sa pratique du ski sur grépins ! 

Encore un mot...

Une échappée intime et nostalgique dans la jeunesse de l’auteur entre sable et neige et un hommage retenu au père.

Une phrase

-  ‘Le jeu de se risquer le plus loin possible pour revenir fondue dans leur énergie, bousculée, roulée, malmenée, rejetée sur le sable comme une épave’. (p 12)

- ‘Si l’école me choque si fort, c’est que ses codes n’ont rien à voir avec l’infini des plages de l’océan, ni avec l’abri du bassin, que les lignes d’écriture font rempart aux messages de sable’. (p 95)

- ‘Avec mon père, je n’ai plus envie de parler, ni de jouer. Je suis saisie d’un sentiment de gravité si intense et entier qu’il me semble quelquefois que le goût de la parole et l’envie de jouer n’ont pas été premiers, qu’ils ont été des adjuvants précieux, merveilleux, pour me doter d’une force de désinvolture dans un univers tragique’. (p 118)

L'auteur

Chantal Thomas, née le 20 janvier 1945 à Arcachon, est une romancière, essayiste, dramaturge, scénariste, spécialiste de la littérature du Dix-Huitième Siècle et universitaire française . Elle est élue à l'Académie française le 28 janvier 2021 et succède à Jean d'Ormesson. Elle assure une chronique mensuelle dans le journal Sud Ouest.  Elle est membre du Jury du prix Femina et est titulaire de nombreux prix et distinctions littéraires.

On peut citer parmi ses œuvres :

Sade, l'œil de la lettre (essai littéraire), Payot, 1978; Casanova, un voyage libertin (essai littéraire), Denoël, 1985;

Les Adieux à la reine (roman), Éditions du Seuil, coll. « Fiction & Cie », 2002; Chemins de sable : Conversation avec Claude Plettner, éditions Bayard, 2006; Le Testament d'Olympe (roman), Éditions du Seuil, 2010; L'Échange des princesses (roman), Éditions du Seuil, coll. « Fiction & Cie », 2013; Souvenirs de la marée basse, éditions du Seuil, coll. « Fiction & Cie », 2017; Café Vivre. chroniques en passant, Seuil, « Fiction & Cie », 2020

Ajouter un commentaire

Plain text

  • Aucune balise HTML autorisée.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
Ils viennent de sortir

Ils viennent de sortir