L’Ivresse des sommets. L’Allemagne et les Allemands (1918-1933)
Publication en Septembre 2025
512 pages
24,80 €
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Thème
De la capitulation de novembre 1918 à la prise du pouvoir par Adolf Hitler en mars 1933, l’Allemagne aura vécu en république pour la première fois de son histoire. Ce régime, né dans la douleur de la défaite et d’une révolution marxiste écrasée dans le sang, sur l’avenir duquel peu d’observateurs auraient parié un pfennig à sa naissance, aura donc duré quatorze ans, ce qui permet d’en dresser un bilan.
Certes, cette période a été frappée d’épouvantables crises (la violence politique permanente et son cortège d’assassinats, la grande inflation de 1923, le choc du Jeudi Noir américain de 1929) pour aboutir à une autodestruction menée selon les formes démocratiques ou du moins leur apparence. Pour autant, ce livre montre que l’on aurait tort de prendre ces années pour une pente inexorable vers le totalitarisme qui en aurait donc constitué un achèvement écrit d’avance. Tout au contraire, ce processus n’était nullement inéluctable et l’histoire aurait pu être très différente.
Et cette République dite de Weimar, loin d’illustrer de l’Allemagne une face sombre et déprimante, s’est révélée d’une modernité unique en Europe et a donné lieu à un bouillonnement culturel d’avant-garde exceptionnel ; que l’on songe au cinéma (un des meilleurs du monde à cette époque), à l’art que les nazis qualifieront plus tard de « dégénéré » ou à l’architecture du Bauhaus…
Points forts
Le parti pris de l’auteur est clairement de ne pas assommer le lecteur sous un déluge de faits, de dates et de chiffres. Pour une histoire exhaustive de l’entre-deux-guerres en Allemagne, il conviendra de se reporter à des livres savants. Ici, à part le début (la fin de la guerre, la chute de l’Empire et la tentative de révolution spartakiste) et sa fin (le processus électoral ayant conduit à la nomination d’Hitler comme Chancelier) où l’on est conduit à suivre au jour le jour le cours des événements, le corps du livre est constitué par des chapitres thématiques.
C’est là que le titre et le sous-titre prennent tout leur sens : il s’agit de voir cette période sous l’angle de l’étude des mentalités, c’est-à-dire comment les Allemands ont vécu de l’intérieur ce laps de temps où tant de choses ont changé. Même si le portrait de quelques figures politiques n’est pas négligé, et l’on sait l’importance de la psychologie personnelle, l’entreprise de l’auteur s'apparente plutôt à des travaux comme ceux de Philippe Ariès ou d’Alain Corbin. En témoignent les titres de ces chapitres : Quand l’argent meurt (sur la vie quotidienne pendant l’hyperinflation), L’habitat extrême (sur la nouvelle architecture et les modes de vie urbaine), Des destins derrière les machines à écrire (sur la place de la femme qui travaille et est confrontée à une pénurie d’hommes du fait de la saignée de la guerre), La circulation, un art civique (sur le développement de l’automobile), Les années charleston (sur l’arrivée du jazz), etc.
C’est cela L’ivresse des sommets, dans laquelle nombre d’Allemands se sont lancés avant de connaître une chute violente. On assiste à une description minutieuse et un peu nostalgique du Berlin des années 1920 qui, on l’a oublié, fut la capitale d’Europe où régnait une liberté de mœurs introuvable ailleurs. Liberté d’ailleurs source d’un divorce croissant avec le reste du pays, notamment dans sa partie encore rurale demeurée attachée aux valeurs traditionnelles.
Quelques réserves
L’on ne peut parler de réserves à proprement parler dans ce livre accessible et vivant où l’on croise Billy Wilder, danseur mondain avant de devenir le grand réalisateur que l’on connaît, le groupe vocal Comedian Harmonists, Paul Klee, l’architecte Walter Gropius dont le talent n’a hélas d’égal que la misogynie, Marlene Dietrich et tant d’autres…
Tout juste peut-on parfois déplorer l’absence de traduction de certaines formules en allemand dans le texte, dont le sens échappe aux non germanistes.
Encore un mot...
La Constitution de la République de Weimar était par de nombreux aspects assez semblable à celle de notre Vème République, suffisamment pour que les constituants de 1958 aient admis une source d’inspiration ; que l’on pense notamment à l’arbitrage entre le parlementarisme et les pouvoirs du Président, sujet très actuel…
Et il est intéressant de constater que ces institutions se sont révélées suffisamment solides pour surmonter des crises majeures auxquelles beaucoup de régimes n’auraient pas résisté (le billet de 100 milliards de milliards de marks, l’occupation militaire étrangère d’une partie du pays), pour finir dans une dictature liée à la médiocrité du personnel politique plus qu’à la fragilité du système lui-même. Toutes choses égales par ailleurs, le rapprochement avec aujourd’hui est troublant…
Pour ceux que ce sujet intéresse et qui souhaiteraient approfondir leur compréhension de la fin de la République de Weimar, on recommandera Histoire d’un Allemand de Sebastian Haffner, publié aux mêmes éditions Actes Sud toujours bien inspirées.
Une phrase
« Vue d’aujourd’hui, la République de Weimar est caractérisée à la fois par son actualité surprenante et par sa bizarre étrangeté. Tantôt elle paraît presque plus moderne que nous – presque comme si nous nous retournions pour observer quelque chose qui est encore à venir –, tantôt elle paraît aussi éloignée de nous que ces personnages rigides et vêtus de tenues sombres que l’on trouve sur les portraits de famille de nos arrière-arrière-grands-pères. »
(Page 16)
L'auteur
Harald Jähner a dirigé jusqu’en 2015 la rubrique culturelle du quotidien Berliner Zeitung après avoir collaboré à la rubrique littéraire du Frankfurter Allgemeine Zeitung. Il est professeur honoraire de journalisme culturel à l’Université des Arts de Berlin depuis 2011. Il a commencé par évoquer la période post-1945 dans Le Temps des Loups, qui a remporté le Prix Historia 2024 et le Prix Transfuge 2024 (meilleur essai Histoire). Il remonte aujourd’hui le temps dans cette évocation de l’entre-deux-guerres ; à quand le troisième livre sur la période nazie ?
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