Encre sympathique

Modiano en détective, une délicieuse partition sur l’écriture et l’oubli
De
Patrick Modiano
Editions Gallimard
144 pages
Notre recommandation
5/5

Infos & réservation

Thème

Le narrateur s’appelle Jean Eyben - les « docteurs ès Modiano » ne manqueront pas de rappeler qu’il s’agit là, pour l’état-civil, du premier prénom de l’auteur… Il a un dossier, une chemise papier couleur bleu ciel, pâlie par les années. Trente années plus tôt, il avait alors la vingtaine et bossait pour l’agence détective Hutte. On lui avait confié une mission : enquêter sur la disparition d’une jeune femme à Paris, une certaine Noëlle Lefebvre. Ce sera la seule et unique enquête que l’agence lui aura donnée… Devenu écrivain, le narrateur, ce Jean Eyben, se souvient. Il y a des airs d’un “quai des Brumes” dans cette affaire. Le détective d’une seule enquête refait l’histoire de la disparue. Il avait récupéré un carnet, il écrit : « Et parmi toutes ces pages blanches et vides, je ne pouvais détacher les yeux de la phrase qui chaque fois me surprenait quand je feuilletais l’agenda : « Si j’avais su… » On aurait dit une voix qui rompait le silence, quelqu’un qui aurait voulu vous faire une confidence, mais y avait renoncé ou n’en avait pas eu le temps ». Le souvenir. La mémoire. Ces souvenirs que la mémoire embellit, gomme, modifie, rature…

Points forts

Chez Patrick Modiano qui, avec  Encre sympathique, signe son 29ème roman, il y a encore et toujours des lignes de fuite, on est à Paris, on se retrouve à Annecy d’où est originaire Noëlle Lefebvre et à Rome… 

Dans toutes les pages de ce nouveau roman, on perçoit que le temps qui passe y rend extraordinaire l’ordinaire des hommes, des événements - explication du romancier Nobel de littérature 2014 : « Non seulement les personnages se révèlent d’une grande banalité derrière leur mystère apparent, mais j’ai voulu aussi montrer que le narrateur, au cours de son enquête et de sa recherche sur « Noëlle Lefebvre », a cru qu’il s’agissait de témoins importants du passé de cette femme, alors qu’elle-même se souvient à peine de ces prétendus « témoins » de sa vie ».

Avec l’agence détective Hutte, Modiano, revit un temps où l’on pouvait recevoir son courrier à la « poste restante » et disparaître sans que la moindre trace ne soit détectable -sauf à Rome, peut-être… Alors, comme ces mots écrits à l’encre sympathique surgis du néant, retrouvera-t-on, reverra-t-on Noëlle Lefebvre ? 

Le bonheur sans cesse renouvelé. En effet, depuis maintenant plus d’un demi-siècle, on s’y promène comme sur un grand terrain de nulle part. A la lunette d’un microscope, on les regarde, tous ces petits êtres qui courent. Personnes et personnages ordinaires. On pourrait être dans une chanson de Gérard Manset, on chemine parmi les romans de Patrick Modiano.

Quelques réserves

Les jaloux, les mesquins et les petits marquis de la chose littéraire vont nous dire que Patrick Modiano, une fois encore, a écrit le même livre -ce à quoi, de sa belle voix basse et enveloppée par la brume, il répond : « Peut-être… Je ne sais pas… ». Et le débat n’aura, bien évidemment, pas lieu d’être !

Encore un mot...

Le bonheur de la lecture, c’est très simple : on lit un roman de Patrick Modiano. Cette fois encore, avec « Encre sympathique » - son 29ème roman, Modiano donne, avec la modestie qui le caractérise, encore une fois une belle leçon de technique romanesque. Mieux : il a rédigé, une fois encore, une délicieuse partition sur l’écriture et l’oubli… Pas question de bouder un tel plaisir de lecture !

Une phrase

« Bien sûr, j'avais toujours eu le goût de m'introduire dans la vie des autres, par curiosité et aussi par un besoin de mieux les comprendre et de démêler les fils embrouillés de leur vie- ce qu'ils étaient souvent incapables de faire eux-mêmes parce qu'ils vivaient leur vie de trop près alors que j'avais l'avantage d'être un simple spectateur, ou plutôt un témoin, comme on aurait dit dans le langage judiciaire ». 

« Toutes ces paroles perdues, certaines que vous avez prononcées vous-même, celles que vous avez entendues et dont vous n'avez pas gardé le souvenir, et d'autres qui vous étaient adressées et auxquelles vous n'avez prêté aucune attention... Et quelquefois, au réveil, ou très tard dans la nuit, une phrase vous revient en mémoire, mais vous ignorez qui vous l'a chuchotée dans le passé ».

L'auteur

Né à Boulogne-Billancourt (hier, Seine-et-Oise ; aujourd’hui, Hauts-de-Seine) le 30 juillet 1945, Patrick Modiano (pour l’état-civil : Jean-Patrick Modiano) est un écrivain français. Il est venu au monde dans une villa-maternité tout près du Parc des Princes, à Boulogne-Billancourt. Albert, son père, est administrateur de sociétés et sa mère, Louisa Colpijn, flamande « moitié hongroise, moitié belge » arrivée à Paris en 1942 et actrice connue sous le nom de Louisa Colpeyn. L’enfant Modiano grandit à Paris avec ses grands-parents maternels flamands puis à Jouy-en-Josas avec son frère Rudy.

Un père absent (l’enfant puis l’adolescent entend des récits étranges sur son géniteur), une mère en tournée et il bouclera ses études en hypokhâgne à Bordeaux, avant de s’inscrire à la Sorbonne parisienne où il n’assistera à aucun cours. En 1968, il publie son premier roman, La Place de l’étoile ; en cet automne 2019, il est de retour avec son 29ème roman-  Encre sympathique. Entretemps, il a reçu, entre autres, le prix Goncourt en 1978 pour  Rue des boutiques obscures  et le prix Nobel de littérature en 2014. Il a été chanté par Vincent Delerm ( Le baiser Modiano ) et son patronyme a même été décliné pour donner l’adjectif « modianesque »- un mot tout empli de mélancolie et de blues.

Ajouter un commentaire

Plain text

  • Aucune balise HTML autorisée.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.

Ils viennent de sortir