La fille de l’Espagnole

Un roman captivant car ”il y a loin de Bolivar à Chavez”…
De
Karina Sainz Borgo
Traduction de l’espagnol (Venezuela) par Stéphanie Decante
Gallimard « Du Monde Entier »
paru en Novembre 2019
235 pages
20 €
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Thème

Dans Caracas, une capitale rayonnante détruite par la révolution et la guerre civile qu’elle implique, Adelaïda Falcon, une jeune femme que sa mère a élevée seule, subit le même jour deux pertes majeures qui vont sceller son destin, celle de cette mère très aimée qui meurt d’un cancer et la laisse orpheline, celle de leur appartement, réquisitionné par une horde de femmes vulgaires, suppôts du régime honni qui investissent les lieux, la chassent sans ménagement et détruisent ses rares souvenirs en reléguant ainsi  son passé à l’oubli et à la mort.

Adelaïda va trouver refuge dans l’appartement voisin qu’elle investit de manière clandestine, celui d’Aurora Peralta, une espagnole immigrée un peu plus âgée qu’elle, dont elle va emprunter dans un contexte tragique et romanesque le lit et les vivres, le compte bancaire et les cartes de crédit, le passeport et avec lui jusqu’à l’identité de celle dont elle était encore la veille l’amie discrète, pour fuir son pays, le Venezuela ravagé par ces événements tragiques et s’exiler à Madrid, une ville dont elle ne connaît que la langue.

Ainsi la fille de l’Espagnole n’est-elle pas l’héroïne du roman mais son double, sa substitution ; à moins que ces deux femmes ne se confondent, deux femmes encore jeunes confrontées au même drame et fusionnées dans l’exil.

Points forts

Une belle trame romanesque qui ménage quelques rebondissements inattendus sur le thème de l’usurpation d’identité.

L’évocation plus générale du contexte, la guerre civile qui ravage un pays et une ville, détruit tout dans un engrenage sans fin, très éloigné de l’idéal révolutionnaire et de ses inspirateurs.

Quelques réserves

Une évocation qui peut passer pour réductrice de la révolution en général, en présentant ses protagonistes et leurs comparses comme des êtres veules, mafieux et vulgaires, du moins ceux qui sont mis en scène, sauf à considérer que l’auteur sert un roman et pas un essai, démarche qui l’affranchit ainsi de l’objectivité et rend sa plume libre de quelques excès pertinents, utiles à la démonstration.

Une traduction que l’on dénonce quelquefois comme hasardeuse, du point de vue des hispanophones qui ont lu le livre dans les deux langues.

Encore un mot...

Un vrai roman servi par une belle plume trempée dans la fange et la mort que la révolution charrie souvent avec elle, inspiré des dernières années de ce Venezuela si riche qui a plongé vers l’abîme ; 

un roman qui dissimule une critique nourrie de « la révolution bolivarienne » qui va associer ses promoteurs politiques, Hugo Chavez et Nicolas Maduro, l’armée ou du moins certains de ses généraux dévoyés, jusqu’aux mafieux colombiens dans un engrenage fatal au pays, à l’économie et aux libertés. Un drame national que la disparition de Chavez n’a pas endiguée, provoquant un exil massif symbolisé dans cet ouvrage par la fuite d’Adelaïda Falcon, alias Aurora Peralta.

Une phrase

“J’ai ouvert mon armoire. Il ne restait pas un seul tee-shirt. J’ai cherché le petit classeur caché sous le casier à chaussures et j’en ai tiré les titres de propriété de l’appartement et des documents officiels : mon passeport et le certificat de décès de ma mère. Le bureau était couvert de bougies à moitié fondues et quelques saints décapités occupaient la place de manuscrits disparus. De nouveau j’ai senti une odeur poisseuse de latrines…” 

“Tu ressemblais Maman au pays auquel j’ai toujours cru. Celui des musées et des théâtres où tu m’emmenais. Celui des gens qui soignaient leur tenue et leurs manières. Tu n’aimais pas ceux qui mangeaient ou buvaient trop. Pas plus ceux qui poussaient de hauts cris et pleuraient bruyamment. Tu détestais les excès. Mais les choses ont changé. Maintenant, tout nous submerge : la crasse, la peur, la poussière, la mort et la faim.”

L'auteur

Karina Sainz Borgo est vénézuélienne et journaliste. Elle a quitté son pays pour l’Espagne à l’instar de son héroïne et laissé derrière elle la révolution et ses « héros » pour poursuivre son œuvre militante, en écrivant des nouvelles (Notte a Caracas) et aujourd’hui un roman dénonçant ces crimes qui ont, selon elle, anéanti l’un des plus beaux et plus  prospères pays de l’Amérique du Sud. Un premier ouvrage bien accueilli par la critique. 

 

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