L'Amie de la famille

A la mort, à la vie: exceptionnel
De
Jean-Marie LACLAVETINE
Ed.Gallimard, 18 €
Recommandation

Voici un roman qui évoque avec autant de profondeur que de délicatesse les liens pouvant exister entre un frère et une soeur, au-delà de la mort de l'un des deux, Mort qui, en l'occurrence, a constitué un tournant décisif dans la vie de l'autre.

Notre recommandation
5/5

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Thème

Le 1er novembre 1968, à Biarritz, Jean-Marie voit sa sœur aînée, Annie, emportée par une vague. Elle a 20 ans, lui 15. Pendant cinquante ans, il va refuser d'en parler, même à sa fille. Aux amis qui demandent qui est cette jeune fille sur la photo, on répond : « Une amie de la famille ». Mais l'écrivain est lucide : cette tragédie les ont « fait naître », lui et ses romans, il « tourne autour », dit-il.

Un rêve récurrent va déclencher le besoin de briser « le tombeau de silence » : une jeune femme en robe blanche, qui lui offre des fleurs. S'agit-il de sa mère, jeune, ou bien d'une autre ? Commence l'enquête sur le 1er novembre 1968, et la quête des émotions obstinément enfouies, la collecte des témoignages bouleversants. Une tentative éprouvante de brosser à partir de fragments le portrait vivant d'un être cher mais connu peu de temps; une réflexion sur l'écriture et la mission de la littérature : réunir ce qui se disperse.

Points forts

  • Histoire d'un autre, L'Amie de la famille devient la nôtre. Nous plongeons sans résistance avec le narrateur dans ce qu'il appelle « le puits noir » de la tragédie. Il emporte notre empathie, à mesure qu'il ouvre sans voyeurisme des tiroirs et des cartons, laisse s'exprimer des voix, et accède à des lettres qui lui révèlent une sœur aînée ardente et complexe.
  • Le thème du deuil impossible abonde dans la littérature. Jean-Marie, lui, parle de la mort et de sa propre résilience sous l'angle de l'enquête. Enquête à l'intérieur de la mémoire et de l'inconscient ; enquête auprès de ceux qu'il n'a jamais écoutés jusque-là. Ainsi, il réussit à approcher par cercles concentriques ce qui, selon son cœur, incarne Annie peut-être mieux que son visage : sa voix.
  • L'Amie de la famille aurait pu être un livre impeccable mais froid et désespéré. Si les mots ne soignent pas, pourquoi retracer le parcours d'Annie ? Certes poussé par une nécessité intérieure (le rêve), vers où va Jean-Marie, et où nous mènent-ils ? La surprise vient à la toute fin, il serait dommage de l'éventer ici. Disons seulement qu'elle porte un humble message d'humanité et d'amour.

Quelques réserves

  • Le livre va séduire ceux qui sont touchés par les récits de résilience, et les secrets de famille. Les lecteurs imperméables au genre et les cœurs trop sensibles leur laisseront cette lecture-là...

Encore un mot...

J'ai adoré. A une époque où la mort est tardive et annoncée, Jean-Marie Laclavetine se confronte à la fin brutale, prématurée et révoltante. J'ai adoré la force de l'écriture, sobre, pudique mais brisée en pointillé par la colère. La délivrance progressive d'Annie, cette sœur adorée dont Jean-Marie avait fait une recluse. L'éclosion d'un homme à sa maturité, devenu enfin capable, cinquante ans après, de renouer avec ses quinze ans.

Une phrase

Ou plutôt trois:

  • « C'était une vague à peine plus haute que les précédentes, on voyait rouler ses muscles comme sous le cuir d'un dos de taureau, nous ne l'avions pas vu avancer régulièrement depuis le fin fond de l'horizon (...). Elle avait cette force tranquille de la main qui d'un revers balaie toutes les cartes et ramasse le jeu. »
  • « Je peux bien admettre qu'il s'agit d'une deuxième naissance puisque les preuves abondent de mon existence avant ce jour (...), avant la vague, avant les cris de la mère devant une foule impuissante. J'existais, mais tout vient de là, pour moi, de cette vague inépuisable. »
  •  « (...) Comment nager contre le courant pour la retrouver telle que je l'ai connue ? Dans ses lettres, les parents appelaient souvent Annie 'la Biquette ', et elle avait en effet le caractère obstiné de (...) la petite chèvre solitaire et aventureuse qui finit par rencontrer son destin à l'aube sans que personne puisse la sauver. »

L'auteur

Né en 1954 à Bordeaux, Jean-Marie Laclavetine est éditeur, romancier, nouvelliste et traducteur de l'italien. Il est l'auteur de très nombreux ouvrages, récompensés par de non moins nombreux prix dont le Goncourt des lycéens pour Première Ligne (Gallimard, 1999).

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