L'amitié est un cadeau à se faire

Spécial rentrée littéraire. Un polar burlesque qui célèbre l’amitié de 4 femmes formidables
De
William Boyle
Traduit par Simon Baril,
chez Gallmeister,
384 pages,
23,80 €
Notre recommandation
3/5

Infos & réservation

Thème

Rena Ruggiero, simple et modeste, habitant Brooklyn où elle est née n’avait d’autre ambition dans la vie que de la traverser sans histoire, de continuer à chérir Vic, son mari, et de bien marier sa fille.

C’était là sans compter sur le job de Vic qui pouvait passer le dimanche pour un comptable mais, sitôt franchi un jour de semaine le seuil de sa maison de Bensonhurst, relevait les compteurs des bars, des clubs, des maisons closes et autres salles de jeux des Brancaccio,

une grande famille maffieuse du Bronx dont il était l’employé zélé. Un type bien ce « Vic »,  un truand moral, consciencieux et bosseur qui aimait sa femme, sa maison de briques et la vie de famille.

Mais Vic est mort, abattu par une petite frappe sans envergure dont il ne songeait même pas à se méfier. Et Adrienne, sa fille encore mineure, en a profité pour suivre Richie, un braqueur sans cervelle et s’engager avec lui dans une cavale suicidaire.

 Le décor ainsi planté, du moins celui de Rena, la veuve fidèle à la mémoire de son truand de mari et la mère meurtrie par sa fille fugueuse, les évènements vont s’enchainer sur le rythme délirant d’un polar burlesque mettant en scène un aréopage de femmes déjantées et généreuses, au premier rang desquelles Wolfstein, une arnaqueuse de Silver Beach et son amie Mo, deux anciennes stars du porno passant pour des retraitées, aussi fardées qu’ordinaires ; encore Lucia, la fille d’Adrienne, une adolescente insupportable poursuivant furieusement la recherche de son père inconnu. Enfin Rena bien sur qui, voulant échapper aux assauts de son voisin octogénaire et libidineux, va l’assommer à coup de cendrier au point de penser l’avoir tué, fuir au volant de son Impala noire qui faisait sa fierté, poursuivre cette course avec l’aide de Wolfstein au volant de l’Eldorado blanche de Richie contenant une mallette remplie de dollars, le butin subtilisé à Sonny Brancaccio, un butin qui mettra Créa à leurs trousses, une armoire à glace qui règle ses comptes à coup de marteau.

Points forts

- Un bon style, riche de détails, celui de Boyle qui d’un roman sur l’autre, colle à l'histoire et aux quartiers, celui de Bensonhurst au sud de Brooklyn déjà largement décrit dans ses deux précédents ouvrages et celui du Bronx pour en restituer dans un langage assez cru la saleté, la déshérence et l’odeur et avec elles, cette image de l’Amérique populaire et désenchantée des années 80.

- L’évocation poétique et jubilatoire de l’amitié spontanée et solidaire qui naît chez ces femmes partageant la même expérience, celle de la bêtise et de l’arrogance des hommes.

- Une célébration efficace du courage de la femme, ainsi celui de Rena qui va affronter tous les périls pour sauver l’essentiel, sa petite fille, et le rétablissement avec elle de la relation filiale brisée par la fugue d’Adrienne.

Quelques réserves

Les limites de la caricature ou de l’excès qui éloignent toujours la réalité de la fiction, l’histoire pouvant passer pour absurde.

Encore un mot...

Boyle évoque ici comme dans ses deux premiers ouvrages de la même veine, mi-romans, mi-polars (Gravesend et Tout est brisé) son quartier populaire de Brooklyn et sa population issue de l’immigration italienne, y associant le Bronx , et avec eux la désillusion de ceux qui les ont quittés pour échapper au sort qu’ils impliquent et, finalement, les retrouver toujours dans une espèce de fatalité de l’échec et du retour au bercail ; encore traite-t-il de manière subliminale les thèmes qui lui sont chers, ainsi la pusillanimité des hommes, l’intelligence et le courage des femmes. Il sert finalement au lecteur une farce un peu moins crédible que les précédentes mais choisit l’humour pour transcender cette médiocrité incontournable qu’impliquent ces quartiers et ces rapports sociaux.

Une phrase

« La maison de Mo est située au fond d’un lotissement baptisé Little Lakes, au-delà d’un Burger King au parking crevassé, d’une agence de la Chase Manhattan Bank et d’un glacier sans nom - pas d’enseigne mais sur des panneaux adossés à la vitrine, trois ours peints dans des couleurs patriotiques.

C’est une maison à deux niveaux. Sur la pelouse, les décorations de Noëll n’ont pas été retirées, un renne tombé à la renverse, un Père Noel crasseux, un lutin suspendu à un enchevêtrement de rallonges. Les maisons voisines la serrent de près et celle de l’autre côté de la rue sont toutes sombres et lugubres. Les deux routes à proximité se terminent en culs-de-sac obscurs. Mais la maison de Mo brille de tous ses feux quand l’Eldorado s’engage dans l’allée. Les rideaux à motif floral sont ouverts. De la musique résonne fort. Une femme qui doit être Mo passe derrière la fenêtre en saillie, vêtue seulement d’un soutien-gorge violet, d’un collier de perles qui s’entrechoquent et d’un short de gym pailleté. Ses cheveux teints en rouge sont entassés très haut sur sa tête ».

L'auteur

William Boyle, disquaire, vit à Gravesend, quartier sud de Brooklyn. Son premier roman publié chez Rivages/Noir s'intitule précisément Gravesend et l'intrigue s'y déroule de bout en bout, signe manifeste de l'attachement de l'auteur pour ce lieu dans les faubourgs duquel il guide à nouveau son lecteur aujourd’hui. Il y était question de la vengeance de Conway dirigée contre le responsable de la mort de son frère, un certain Duncan, une petite frappe cynique et insensible.

 Un deuxième roman a suivi, Tout est brisé, déjà publié chez Gallmeister sur le thème de la chanson de Dylan Everything is broken, un roman qui décrit bien ce fatalisme propre à ces quartiers dont les enfants issus de l’immigration restent les héros pathétiques.

 L’amitié est un cadeau à se faire suggère pour la première fois dans ce même contexte ambiant une lueur d’espoir, incarnée par l’humour et la générosité des femmes et en particulier celui de Wolfstein qui, ayant rompu toutes les digues de la moralité sociale, n’est pas en reste pour sauver la morale tout court.

 Boyle, le disquaire de Brooklyn devenu romancier à succès n’oublie pas ses "vinyles", confie écrire en écoutant la musique, le rock instrumental version "Dirty Three", et livre ici son intérêt pour celle des Stones en citant ses références au détour du propos, comme l’incontournable « You can’t always get what you want »..

 La lancinance de la musique qu’aime l’auteur colle bien à l’ambiance de ses romans.

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