A l’aube

Philippe Djian en pleine forme
De
Philippe Djian
Editions Gallimard - 194 pages
Notre recommandation
4/5

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Lu
par Culture-Tops

Thème

Pour décor, la côte Est, en «grande banlieue, au milieu des arbres». On précise : à équidistance de Boston et les côtes américaines, c’est Nantucket, une île intégrée à l’Etat du Massachussetts. Un frère- Marlon, et une sœur- Joan, des « continentaux », viennent habiter dans la maison de leurs parents disparus depuis peu, morts dans un accident de voiture. Dans ce lieu inconnu d’eux, le frère et la sœur vont vivre un moment et apprendre à se connaître. 

Vite, on sait que Joan est une femme active, que Marlon est du genre silencieux, quasi autiste, ce qui rassure sa sœur. Et puis débarque Howard, étrange personnage, il attire, il inquiète, il annonce au frère et à la sœur qu’une cagnotte est planquée dans les fondations de la maison familiale. Et puis, il y a aussi John, le sherif adjoint. Et encore deux, trois couples, des voisins qui assurent avoir bien connu les parents. 

Encore et toujours des personnages un peu à la limite sur le plan moral. Par exemple, Joan partie de chez elle à dix-huit ans, prise en charge par Dora, une amie de ses parents, qui lui propose de travailler comme call-girl… Pour la jeune femme, dit Djian, « ce n’est pas pire qu’autre chose, que c’est moins dur que caissière dans un hypermarché pour un salaire dérisoire, elle accepte ». Elle avoue : « C’est pas le plus mauvais moyen pour faire connaissance. Et ça paie mon loyer ». Elle devient l’amante d’un homme qui fut l’amant de sa mère…

Points forts

- Comme souvent dans le monde de Philippe Djian, les personnages ne sont pas bien méchants; parfois ils sont un peu pervers, paumés, déglingués. Aveu du romancier : « J’aime mettre en scène ce type de personnes limites car ce sont les gens que je fréquente. Je suis toujours attiré par les gens un peu bizarres, mais il ne faut pas qu'ils soient complètement fous, parce qu'après je ne peux pas communiquer avec eux… Dans mes romans, ce sont des gens bizarres, mais que j'aime quand même. Ils ne sont pas mainstream… »

- Philippe Djian prouve, une fois encore, qu’il est un des grands maîtres du suspense dans le monde des lettres françaises du moment.

- Docteur ès style acéré et professionnel de l’ellipse, le romancier poursuit son travail sur la forme littéraire. Avec lui, on est toujours dans la forme romanesque et, à chaque parution, il bouscule les règles du jeu. Ainsi, cette fois, il a réduit la ponctuation au minimum syndical, au strict nécessaire. Le point d’exclamation, d'interrogation ou de suspension, Djian s’en est dispensé…

- A travers une histoire de famille, avec vice, sexe ou encore perversité, le romancier signe le parfait mix entre Les Enfants terribles et le roman pavillonnaire.

Quelques réserves

Les mesquins, cette fois encore, verront chez Philippe Djian ce qu’ils pointeront comme une posture. Ils ont tort : depuis toujours, Djian travaille la langue.

C’est si rare dans la littérature du moment…

Encore un mot...

Cette histoire de famille, c’est un festival délicieux de perversité.

Mais c’est aussi et surtout avec son (formidable) travail sur la langue et le style que Djian séduit le lecteur. Une fois encore, avec lui, la forme est plus importante que le fond et l’histoire !

Une phrase

Ou plutôt deux:

- « Joan rentra presque à la nuit tombée. A cause d’une fille qui avait la grippe et qu’il fallait remplacer au pied levé. Pour tomber en plein dans les embouteillages. Elle imaginait Marlon qui tournait en rond, de plus en plus nerveux à l’idée de se retrouver seul dès que le crépuscule s’annonçait. Il avait tout le temps été comme ça, elle s’en souvenait très bien. ET encore aujourd’hui il dormait avec la lumière allumée. L’angoisse du soir qui descendait, du jour qui s’éteignait. Il la guettait derrière la fenêtre lorsqu’elle se gara  »

- « Elle se demanda si c'était ça, être heureuse, ne rien sentir, n'avoir aucun désir, se sentir flotter, rouler la nuit sur une route déserte. Ça n'arrivait pas tout le temps, c'était comme le rayon vert, il fallait saisir l'instant ».

L'auteur

Né le 3 juin 1949 à Paris, Philippe Djian est écrivain, parolier et scénariste. Grandi dans le 10èmearrondissement parisien, il découvre au collège,  par un camarade, la littérature. A 18 ans, il part aux Etats-Unis sur les traces du héros de « L’Attrape-cœur » de J.D. Salinger puis part en Colombie d’où il ramènera un reportage pour « Paris-Match ». Il lit beaucoup : Céline, Cendrars et surtout la littérature américaine, Salinger, Faulkner, Kerouac, Raymond Carver… Il enchaîne les jobs- docker au Havre, relecteur au magazine « Détective », magasinier chez Gallimard… et caissier à La Ferté-Bernard dans une guérite d’autoroute. Il y travaille la nuit et c’est là qu’il écrit ses premières nouvelles qui paraitront en 1981 sous le titre « 50 contre 1 ».

Suivront « Bleu comme l'enfer » (1982), « Zone érogène » (1984) et surtout « 37°2 le matin » (1985, adapté l’année suivante au cinéma par Jean-Jacques Beineix, avec Béatrice Dalle). 

Dès lors, Philippe Djian a une place dans le monde des livres français- avec ses fans et ses détracteurs. Il enchaîne les livres, mais s'est aussi aventuré sur d’autres terrains de création: la chanson avec Stefan Eicher, le théâtre (« Lui », 2008), la série avec « Doggy Bag » en six saisons et autant de volumes (en suivant les règles des séries télé) ou encore le scénario (« Elle » de Paul Verhoeven en 2016, adapté de son roman « Oh… » paru en 2012). 

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