Les heures suspendues selon Hopper

Edward Hopper, son histoire d’amour (et de haine) illustrée par l’un de ses chefs d’oeuvre
De
Catherine Guennec
Editions HD Ateliers Henry Dougier - 116 pages - 12,90 €
Notre recommandation
4/5

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Thème

Un retournement de situation qui démarre par un coup de foudre entre le peintre Edward Hopper (1882-1967) et celle qu’il choisira comme femme, Jo, alias Joséphine. Le bonheur total s’installe entre le peintre protestant, mystérieux géant introverti et dépressif et sa femme qui écrit dans son journal intime « j’ai cru en lui dès le premier jour et je me suis donnée corps et âme à sa peinture et à ce grand escogriffe, taiseux et irritable, si exaspérant parfois. Je suis devenue sa femme, son assistante, sa diariste, sa manageuse, sa servante, son antidépresseur et son poison, sa sparring-partner et sa mégère domestique, son chien de garde. »

Contrairement à ce qu’elle et lui avaient espéré, l’un et l’autre deviendront les seuls passagers d’un radeau de la méduse chahuté par les tempêtes : le navire conjugal.

Points forts

Pour celle qui ne sera que la femme de … ce journal solitaire peint l’amour manqué, fait de colères muettes et d’affronts en cascade. Peinte cent fois par Hopper, la femme immobile de tous ses tableaux, c’est elle : cette inutile et constante présence, tristement assise sur un lit d’hôtel ou face à une fenêtre close. Une Bovary contemporaine qui, dans un décor de cinéma, se serait trompée de chambre, de siècle et de partenaire. La descente aux enfers du couple traverse cet essai aussi bouleversant qu’un ouragan dont l’immobilité maintiendrait une tension qui ne se dément pas un instant. Jusqu’où iront-ils ? Presque arrivée à leur fin de vie, Jo Hopper écrit : « Les souvenirs heureux sont les plus cruels, je ne l’aurais jamais imaginé. Avec eux me reviennent des heures oubliées. Des miettes de lumière, avant la déchirure, le grand vide. Elles brillent dans ma mémoire, comme des étoiles naines. »

Un mot sur ce livre, l’un des titres de cette nouvelle et jolie collection intitulée “Le roman d’un chef d’oeuvre”. Il  s'ouvre avec une page de couverture qui se déplie esthétiquement avec un envers montrant la toile d'Hopper Cape Cod Evening peinte en 1939 (National Gallery of Art - Washington).

Au-delà du texte lui-même qui est présenté dans une calligraphie de bonne taille, le livre se poursuit, après l'épilogue par un chapitre de sept pages intitulé Regards croisés qui donne un recul complémentaire à l'oeuvre de Catherine Guennec. Ce chapitre est complété par des Repères biographiques, une bibliographie succincte, un Index des oeuvres citées et le pourquoi de la naissance de cette collection voulue par le fondateur en 1975 des Éditions Autrement et, en 2014, des Ateliers Henry Dougier. Plusieurs titres sont parus dans la même collection (Manet, Klimt, Gauguin, Géricault), d’autres vont suivre… 

Quelques réserves

Pas un.

Encore un mot...

Devenu le confident d’un secret partagé, le lecteur se laisse conquérir par le cadeau que lui fait à chaque page le journal intime d’une inconnue. Jo, l’épouse qui aurait tant aimé réussir sa carrière de peintre, la manquera aussi. Pas de place pour elle et, à un interlocuteur qui s’était hasardé à demander à Edward Hopper ce que ça lui faisait d’avoir une femme peintre, le peintre adulé répond : une femme peintre, ça pue !

Une phrase

« J’ai essayé de repeindre en rose le gris de nos deux vies. J’ai essayé. Toi, le géant, moi, la petite détestable, étions-nous mal assortis ? Notre façon si violente d’être ensemble n’était ni l’envers du paradis, ni l’endroit de l’enfer. Seulement un désert, un gouffre de solitude. Et on s’y est habitués. On s’habitue à tout. Peindre et se disputer, voilà toute notre vie. Infernal huis clos.»

« C’est à l’angoisse pour l’autre, à la crainte de ce qui peut lui arriver, que l’on mesure je crois la force d’un amour. Moi, j’étais morte d’inquiétude pour Ed. Même lui redoutait le pire pour sa vieille Jo, toute démantibulée et presque aveugle. Et je me disais, encore un an, encore un mois, encore même une petite semaine ensemble, s’il vous plaît là-haut. Nous devions nous dépêcher d’être un peu heureux. »

« Nous avions enterré la hache de guerre dans les derniers temps. Deux vieilles bêtes inséparables, habituées l’une à l’autre et enfin raisonnables. Après quarante ans de guerre sans pitié. »

L'auteur

Catherine Guennec a publié une vingtaine d’ouvrages dont La modiste de la reine, le roman de Rose Bertin (Lattès, 2004). Parmi ses nombreux romans et dictionnaires érudits et amusants sur la langue française, citons L’argot pour les nuls (Editions First, 2014).

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