Les Indes Fourbes

Picaresque !
De
Scénario : Ayroles, Dessins : Guarnido
Editions Delcourt
p. 160
23,99 €
Notre recommandation
5/5

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Lu / Vu par

Thème

Roman Picaresque (Espagne, XVIème et XVIIème siècle) : se dit d'œuvres littéraires dont le héros traverse toute une série d'aventures qui sont pour lui l'occasion de contester l'ordre social établi.

Ayroles respecte cette définition et nous propose donc une Bande Dessinée Picaresque. On y suit les aventures extraordinaires de Pablos de Ségovie dans les colonies espagnoles de l’Amérique du Sud du XVIIème siècle. Impossible de raconter cette histoire ici, tant elle est foisonnante et basée sur d’incessants allers et retours temporels qui sont autant d’occasions de dévoiler des coups de théâtre. Et des coups de théâtre, cette histoire n’en manque pas. Il faut lire et relire les 145 planches qui la composent, pour découvrir à chaque fois un détail qui vous aura (obligatoirement) échappé. Le héros, Pablos, est un personnage fascinant : gueux et moins que rien par sa naissance, il va s’ingénier à transformer sa vie (et le mot n’est pas trop fort), mais pas en mode « héros magnifique ». Non, Ayroles respecte le code picaresque et Pablos justifie le titre de la BD : il est fourbe, vil, lâche, opportuniste, transformiste aussi, mais, miracle de l’écriture, finalement attachant.

Points forts

Ayroles a construit un scénario incroyable, un des plus aboutis qu’il m’ait été donné de lire, en s’appuyant sur un ouvrage du XVIIème siècle, de l’auteur Francisco de Quevedo, dont il a imaginé la suite. La structure narrative du récit, ainsi que sa longueur, vous obligeront à le lire, le relire et le relire encore, pour votre plus grand plaisir, j’espère. En effet, Ayroles a construit sa BD sur le principe des récits successifs : la même histoire est racontée plusieurs fois, chaque récit délivrant une part de vérité, vers une chute finale, qui est une apothéose imaginative.

Et il fallait bien le talent de Guarnido pour relever le défi d’illustrer cette narration. Dès les premières pages, il nous plonge dans l’Espagne du XVIIème siècle, en mettant en scène Velasquez travaillant à la réalisation de son chef d’œuvre, Les Ménines. Puis très vite, les Indes (l’Amérique du sud, en fait) deviennent son terrain de jeu graphique. Et il fait éclater son talent, que ce soit en petites cases qui privilégient le rythme, ou en planches grand format qui explosent de couleur et de grâce.

J’ai aussi beaucoup aimé la recherche des petits détails qui peuvent passer à la trappe si on ne prend pas le temps de déguster l’ouvrage. Ici, une allusion à Don Quichotte, là un petit esclave à la réaction étonnante, ou encore le triste destin d’un petit singe, et, pourquoi pas, un puma très blacksadien !

Quelques réserves

Si rien n’est venu refroidir mon enthousiasme de lecteur, il faut quand même reconnaître que la complexité et la longueur du récit pourront rebuter des lecteurs peu habitués à ce foisonnement. Comme je l’écris ci-dessus, la relecture est un mode obligatoire pour déguster réellement cet ouvrage, et cela peut constituer un frein.

Encore un mot...

En cette rentrée 2019, les Editions Delcourt nous offrent une Bande Dessinée exceptionnelle à tout point de vue.

Exceptionnelle par son duo de créateurs : La rencontre du scénariste de De Cape et de Crocs (avec Masbou aux dessins, 12 volumes parus chez Delcourt) et du dessinateur de la série culte Blacksad (avec Diaz Canales, 5 volumes parus chez Dargaud). Parfois, les associations d’auteurs talentueux accouchent de résultats décevants. Ici, c’est tout le contraire, le talent produit un chef-d’œuvre !

Exceptionnelle par la richesse du récit. Rarement, dans l’histoire de la Bande Dessinée, un scénario aussi intelligent aura été servi par un graphisme aussi abouti. J’ai épuisé quelques superlatifs en écrivant cette chronique, mais sans en regretter un seul.

Exceptionnelle, enfin, par le travail des Editions Delcourt, qui se sont mis à la hauteur de ce chef-d’œuvre, en proposant aux Bédéphiles un très bel objet à la couverture somptueuse.

Une illustration

L'auteur

(d’après BD GEST)

Ayroles et Guarnido ont ceci en commun d’avoir marqué l’univers de la BD en créant chacun une série de référence, « De Cape et de Crocs » pour Ayroles et « Blacksad » pour Guarnido. Et d’ailleurs, pour pousser la comparaison un peu plus loin, et bien qu’ayant produit d’autres ouvrages, leurs noms sont attachés à ces séries, et uniquement à ces séries, le succès étant parfois un peu envahissant. « Les Indes Fourbes » est une magnifique façon de briser ce carcan.

Juanjo Guarnido est né à Grenade, en Espagne, en 1967. Durant ses premières années, il publie de nombreuses illustrations chez Comics Forum - Planeta de Agostini pour l'édition espagnole de Marvel, ce qui lui permet de toucher un public espagnol assez large. Il prend ensuite contact avec le milieu du dessin animé et s'installe à Madrid où, pendant trois ans, il travaillera pour plusieurs séries télé. Le premier jour dans le studio, il rencontre Juan Diaz Canales, qui deviendra son scénariste sur Blacksad. En 1993, il déménage à Paris pour intégrer les studios Walt Disney de Montreuil, où il travaille comme lay-out-man et actuellement comme animateur. Adepte depuis toujours de la BD européenne, il entreprend patiemment ce qui sera la longue fabrication de son premier album. "Quelque part entre les ombres" est son premier album et il est édité chez Dargaud (novembre 2000). En 2004, Blacksad obtient le prix du meilleur dessin au festival d'Angoulême.

Alain Ayroles est né en 1968 dans le Lot. Passionné par le dessin et le récit, il intègre en 1986 la section bande dessinée des Beaux-Arts d'Angoulême. Mais c'est surtout autour des tables de jeux de rôles – que les étudiants fréquentent plus assidûment que les cours – qu'il va parfaire ses talents de conteur. C'est d'ailleurs d'un univers de jeu qu'il a créé à cette époque que naîtront les bandes dessinées Garulfo et De cape et de crocs. De cape et de crocs est une relecture animalière des classiques de la littérature et du théâtre du XVIIe siècle. Dans ces deux séries à succès, le style d'Alain Ayroles se caractérise par une grande érudition, un sens aigu du dialogue, et une volonté de retourner aux sources des grands récits qui ont façonné la culture européenne.

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