L'Humiliante Défaite; 1870, La France à l'épreuve de la guerre

Un livre accessible, pour faire aimer l'histoire, même si on connaît la fin !
De
Thierry Nélias
La Librairie Vuibert,
Juin 2020,
330 p., 21,90 €
Notre recommandation
4/5

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Thème

La guerre de 1870, dont on commémore en 2020 le 150ème "anniversaire", n'a laissé de bons souvenirs ni dans les livres d'histoire ni dans la mémoire des Français. Cette guerre, voulue par la France pour des raisons diplomatiques - empêcher l'accession au trône d'Espagne d'un prince allemand, et utilisée par le chancelier Otto Von Bismarck pour contribuer à l'unité allemande autour de la Prusse, est pour la France une succession d'erreurs de jugements, d'impréparation militaire, de symboliques défaites (Sedan, et l'Empereur Napoléon III prisonnier des Prussiens), de trahisons peut-être (la reddition de la ville de Metz). Elle conduit à la capitulation en 1871, à la perte de l'Alsace-Lorraine, à la Commune de Paris, et au cycle infernal des vengeances entre France et Allemagne, dont on connaît le tribut de millions de morts.

Thierry Nélias, sans entrer excessivement dans les volets militaire, diplomatique et politique, décrit de l'intérieur cette drôle de guerre, en donnant largement la parole aux grands et moins grands personnages qui l'ont vécue, du front, des salons parisiens, tourangeaux ou bordelais, de Nohant pour George Sand, de Croisset ou Rouen pour Gustave Flaubert, aux exilés Victor Hugo et Edgar Quinet (que la proclamation de la République remplit de joie et permet le retour en France) ou encore (parmi d'autres), Edmond de Goncourt ou Hector Malot.

Points forts

1. Incontestablement, le foisonnement des témoignages, aussi bien choisis que concis et habilement associés, est un point fort de cet essai ! Ils sont très nombreux coté français - extraits de lettres, de gazettes, de publications officielles, mais aussi du côté américain - avec le témoignage inattendu du Général Sheridan, venu des Etats Unis observer la guerre entre les "deux plus grands états européens", et du côté prussien, qui sera le côté des vainqueurs.                                             

2. Une présentation sobre des événements, et de la vie quotidienne dans cette France qui se défait petit à petit, qui passe de l'illusion à la déception, de l'automne à un hiver glacial où même des aurores boréales sont aperçues en France ! Le texte est de ce fait très vivant ; il évoque aussi le point de vue germanique, bien qu'il ne constitue pas la trame du livre.

3. Cet essai est enfin bien écrit, accompagné de nombreuses notes et références. Il vous apprendra ou rappellera une foule d'informations et d'anecdotes (dont l'origine de l'expression "ça tombe comme à Gravelotte" ), sur une trame de courts chapitres vraiment faciles à lire.

Quelques réserves

Un regret sur la relative brièveté des évocations du siège de Paris. "L'Humiliante défaite" n'aborde pas la Commune de Paris, même si elle en évoque les prémices et premières secousses.

Encore un mot...

Voici un livre qu'on ne peut classer dans la catégorie des livres d'histoire classiques tant il se lit comme un roman. Rigoureux, il n'en boude pas moins les allers et retours dans le temps. Fidèle à la "vérité des faits", il ne donne pas moins largement la parole à celles et ceux qui n'ont pas écrit cette page d'histoire, grands écrivains, familles de province, ingénieurs ou poètes - dont Paul Déroulède, engagé, prisonnier, évadé, réengagé auprès des "Turcos", et refusant de se rendre "aux Suisses", aux Ferrières de Joux, à l'ultime fin de la retraite de l'armée du Général Bourbaki, en février 1871. Si le sujet est grave, la fin connue, cet essai est très éclairant sur la façon dont cette "humiliation" a été vécue, comme un avant goût des illusions perdues sur les routes de France un certain été 1940. A 150 ans de là, Thierry Nélias nous propose un regard simple, objectif et documenté sur cette fracture douloureuse - et peut-être pas totalement réduite-  entre France et Allemagne, entre province et Paris, entre peuple et "élites".

Une phrase

"En seulement quatre petites semaines la France venait de subir l'une des plus grandes défaites de son histoire, hypothéquant les relations franco-allemandes pour les soixante-dix années à suivre ! Car le bilan est catastrophique. Les 13.000 morts ou blessés français de Sedan (les Prussiens en comptent 9.000, dont la moitié à Bazeilles) viennent s'ajouter aux dizaines de milliers d'autres, de Reichshoffen ou de Wissembourg. Autour de 80.000 combattants sont faits prisonniers rien qu'à Sedan, 180.000 soldats sont piégés dans Metz, 17.000 enfermés dans Strasbourg […]" P 73

"A Paris, la population attend avec gravité le dénouement de l'affaire, tel que l'observe Edmond de Goncourt : "Dans les voitures publiques, personne ne parle, tout le monde s'enferme en lui-même, et les femmes du peuple ont comme un regard d'aveugle, pour ce qui se passe autour d'elles. La Seine est couverte de mouches qui chauffent, pavoisées du drapeau des ambulances, et toutes prêtes à aller chercher les blessés". P 223

L'auteur

Thierry Nélias s'attache à étudier des aspects méconnus ou peu traités de l'histoire de France, comme les premiers jours d'exil de Napoléon Ier (L'adieu à l'Empire 2016), l'histoire de la Nationale 7 (2014), ou le vécu des premiers jours de la guerre de 1940 (Des français face à l'invasion 2008).

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