L'invention du colonialisme vert. Pour en finir avec le mythe de l'Eden africain

Idée percutante, démonstration longue !
De
Guillaume Blanc
Flammarion, parution le 9 septembre 2020,
Préface de François Xavier Fauvelle, Professeur au Collège de France,
352 p.,
21.90€
Notre recommandation
3/5

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Thème

Depuis les années 1930, l'Afrique est souvent présentée comme un Eden à préserver, et après la décolonisation à la fin des années 1960, singulièrement un continent à protéger de ses habitants, "qui ne cessent de le dégrader". Ce point de vue s'incarne particulièrement dans le mouvement de préservation de la nature, engagé entre les deux guerres mondiales, et qui trouve un terrain d'application en Afrique. La création des parcs nationaux y est entreprise d'abord "pour protéger la faune", puis après la décolonisation, pour préserver les écosystèmes déclarés autoritairement comme "originels". Guillaume Blanc, dans cet essai, analyse les processus de dépossession de ces territoires par les Etats et leurs habitants, au nom d'un paradis écologique autoproclamé par le monde occidental, réserves de chasses et destinations touristiques, à conserver au bénéfice principal des occidentaux qui en "consomment" les espaces. Très documenté, la thèse de l'historien s'attache à démonter le rôle des organisations internationales dans ce processus -Unesco, WWF, entreprises internationales et autres fondations en tous genres - surtout européennes et nord américaines.

Les "experts", d'abord coloniaux, recyclés après la décolonisation - imposeront l'image d'une Afrique idyllique, à protéger de l'incurie de ses habitant. Imposé à coups d'accord internationaux contre financements aux Etats concernés, ce processus est, selon l'auteur, bien la marque de l'invention d'un nouveau colonialisme vert, dont l'Afrique a été et demeure particulièrement victime.

Points forts

1. Cet essai propose une thèse intéressante, sans langue de bois et plutôt convaincante, 35 pages de notes plus tard.

2. Le lien entre la préservation des zones de chasse au gros, dont les occidentaux sont, depuis près de 100 ans, gros consommateurs, et la création de l'idée de préservation, puis de conservation des espèces et des espaces naturels est pour le moins dérangeant, mais solidement étayé.

3. L'idée de conservation des espaces naturels est présentée comme imposée par les occidentaux, servie par des Directeurs de parc ou autres conservateurs experts employés par les états coloniaux, puis rémunérés après la décolonisation, par les grandes ONG environnementales (qui en prennent pour leur grade sur le plan éthique…), et les états africains eux-mêmes, pour gérer les réserves, leurs aménagement, la lutte contre le braconnage. Au passage, le magazine National Geographic est aussi largement critiqué pour avoir imposé dans le monde l'image d'une Afrique dans laquelle la préservation des espaces naturels et de la faune passaient bien avant la préservation des espaces de vie de ceux qui les habitent.

4. La préface de François Xavier Fauvelle (Professeur au Collège de France, historien, archéologue spécialiste de l'Afrique) et la conclusion de Guillaume Blanc, résument parfaitement la problématique et en délivrent les observations essentielles.

Quelques réserves

1. Le principal inconvénient de ce livre est le caractère répétitif de la thèse. En quelques mots : la création des parcs nationaux en Afrique s'est faite selon une vision coloniale d'une nature idéalisée et à préserver, dans laquelle l'homme "noir" ne peut avoir sa place ; la répétition littérale du thème au fil des chapitres devient rapidement un peu "lourde".

2. Cette "violence" qui dépossède les hommes de leurs territoires est le leitmotiv du livre. Il s'achève par la restitution d'interviews d'habitants et de touristes, peu  convaincants au regard du reste de l'exposé, il me semble.

3. Bien qu'annoncé dès le début de l'ouvrage, on peut se demander si l'exemple largement développé du parc éthiopien du Simien, qui démontre que les habitants du parc ont été pour la plupart chassés et donc dépossédés de leurs terres, est transposable à l'identique partout ailleurs en Afrique.

Encore un mot...

Guillaume Blanc bouscule singulièrement les idées reçues, et pourrait modérer bien des enthousiasmes sur les fondements de la préservation des espaces naturels, matériels ou immatériels, selon la nomenclature de l'Unesco. Les motivations exposées ne donnent pas une très bonne image de ces organisations dont on a souvent l'habitude de chanter les louanges. Certes Guillaume Blanc explore l'histoire et les racines de ces décisions considérées aujourd'hui comme nécessaires et indispensables. Il révèle que cette histoire, en Ethiopie et dans d'autres états africains, s'est faite sur des données non démontrées, des idées reçues et des contradictions appartement flagrantes, au détriment des populations locales et au nom d'un "conservationnisme" dont on peut reconnaître alors les inspirations coloniales ou condescendantes -"Il faut sauver l'Afrique des Africains !"

On vante la préservation de l'agro-pastoralisme à Pont-de-Montvert aux portes du parc des Cévennes, quand on le condamne et le combat aux portes du parc de Simien en Ethiopie : deux poids deux mesures qui font du "colonialisme vert" une "invention" qui mérite réflexion et reste à (re)considérer, en particulier le jour de vos prochaines visites dans les parcs naturels africains.

Une phrase

"… le Simien est loin d'être un cas isolé. Il y a environ 350 parc nationaux en Afrique, et dans la plupart d'entre eux, les populations ont été expulsées pour faire place à l'animal, la forêt ou la savane." P 26

[L'Occident, les grandes ONG environnementales] … "en défendant les enclaves de nature que sont les parcs africains, [] cherchent eux aussi à s'exonérer des dégâts que leur vie cause partout ailleurs. Croire que la nature est préservée là où il n'y a pas d'hommes (dans les parcs), c'est aussi s'autoriser à causer des dommages là où vivent les hommes (dans le reste du monde). Tant que la véritable nature est protégée là-bas, en Afrique, nous pouvons continuer à endommager, ailleurs, un monde qui est de toute façon déjà dénaturé.

Seulement, il n'existe aujourd'hui aucun espace qui soit parfaitement vierge et totalement intact. L'histoire nous l'apprend pour l'Afrique, cette idée est un mythe. " P 293

L'auteur

Guillaume Blanc est historien de l'environnement, et plus particulièrement de son histoire en Afrique. Maître de conférences à l’université Rennes 2, ses recherches traitent plus particulièrement de la circulation globale des hommes et des savoirs qui président à la patrimonialisation de la nature dans la Corne de l'Afrique. Membre du comité de rédaction de la revue Vingtième siècle et directeur de la collection « histoire environnementale » aux Éditions de la Sorbonne, il y a notamment publié Une histoire environnementale de la nation (2015) et codirigé Humanités environnementales. Enquêtes et contre-enquêtes (2017). Il dirige actuellement l'ANR PANSER, PAtrimoines Naturels aux Suds : une histoire globale à Échelle Réduite (2019-2022)  (Synthèse d'après le site de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales).

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