Thérapie de groupe, tome 1. L’étoile qui danse

L’angoisse de la page blanche ? Une porte ouverte à tous les délires créatifs ?
De
Manu Larcenet
Editions Dargaud
52p
15 €
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Thème

Un nouveau Manu Larcenet constitue toujours un petit évènement dans le monde de la BD. L’auteur a un talent certain pour nous prendre par surprise, et nous amener là où on ne l’attend pas. Tantôt dramatique, avec des œuvres comme Blast (4 tomes chez Dargaud) ou Le rapport de Brodeck (2 tomes également chez Dargaud) ; tantôt potache (Le retour à la terre, 6 tomes en collaboration avec Ferri au scénario, également chez Dargaud).

Ce nouvel album, Thérapie de Groupe se situe plutôt dans le deuxième registre, avec tout de même quelques nuances. En effet, si Larcenet reprend le principe du retour à la terre, avec un récit autobiographique imaginaire, la thématique prend ici la forme d’un délire sombre. Larcenet met en scène ses pannes d’inspiration, et, paradoxe, se déchaîne en termes de trouvailles visuelles pour montrer sa sécheresse créative. C’est à peu près impossible à raconter tant cela part dans tous les sens et tant cela mêle avec subtilité humour et angoisse. Vous découvrirez tout au long des pages un Larcenet nihiliste, suicidaire, dépressif, qui finira interné dans une clinique psychiatrique, mais en gardant toujours son sens de l’humour très efficace et rempli d’auto-dérision.

Points forts

Thérapie de Groupe est un album graphiquement impressionnant. Profitant de ce fil narratif décousu, Larcenet en profite pour s’affranchir de tous les codes habituels du récit. Les cases explosent, les styles se côtoient. Il visite l’histoire de la Peinture, de l’art rupestre à la Renaissance. Il convoque Raphael et Léonard et bénéficie d’un cours de Peinture de Cézanne qui pourrait rester dans les annales de la BD. Entre temps, il imagine un héros dépressif, le fait évoluer dans un univers psychédélique hallucinant, et, il faut bien le dire, halluciné, se prend le chou avec ses muses, se brouille avec sa famille, pourtant compréhensive, et profite de toutes ces occasions pour s’éclater graphiquement.

Car il ne faut pas s’y tromper : l’absurdité du récit cache une incroyable œuvre dessinée. Elle ne se découvre pas à la première lecture. Celle-ci vous sert juste à passer le cap de votre propre déstabilisation. Mais, ce cap franchi, vous pourrez repartir à la page une et commencer à apprécier…

Quelques réserves

… Ou pas.

Accepterez-vous la règle du jeu fixé par Larcenet ? Il est fort possible que vous trouviez insupportables ces micro-délires répétitifs. L’absence de cohérence narrative peut vous énerver. Bref, si vous avez besoin d’un minimum de classicisme dans une BD, celle-ci ne devrait pas intégrer votre bibliothèque.

Encore un mot...

LEUCOSELOPHOBIE

Saviez-vous qu’il existe un mot pour décrire l’angoisse de la page blanche et que cette angoisse peut conduire à des états dépressifs ? Larcenet va-t-il rejoindre le clan des dessinateurs de BD célèbres et dépressifs, comme Hergé ou Franquin ? Il a intitulé ce premier tome, « l’étoile qui danse », en référence à une citation de Nietzsche : il faut avoir du chaos en soi, pour accoucher d’une étoile qui danse ». Nietzsche voulait s’opposer à une humanité stérile et appauvrie, incapable de produire de nouvelles idées. Ici, le lecteur sera confronté à la question de son degré de lecture de cet album : découvrirez-vous un Larcenet Nietzschéen en quête de son étoile qui danse, pour chasser sa leucosélophobie ou vous arrêterez-vous à une lecture potache et très agréable ? Je vous laisse juge, mais l’idée même d’un possible tome 2 est un peu étrange, comme un constat de Larcenet de ne pas être arrivé au bout de cet inquiétant délire.

Une illustration

L'auteur

(repris et augmenté de ma précédente chronique « le retour à la terre, tome 6)

Manu Larcenet est, de mon point de vue, un des auteurs les plus importants de la Bande Dessinée moderne. Il a aligné des œuvres essentielles, très différentes les unes des autres, montrant un talent éclectique hors du commun. Son Combat Ordinaire (4 tomes chez Dargaud), chronique douce-amère d’un photographe en plein doute, reste pour moi une des plus belles émotions de lecture. Blast (4 tomes chez Dargaud) est un OVNI total, et Le rapport de Brodeck a montré qu’il avait aussi un incroyable talent d’adaptateur, car l’ouvrage de Philippe Claudel était tout sauf simple à mettre en image. Enfin, avec Le Retour à la Terre, il montre que l’humour et l’auto-dérision sont aussi sa tasse de thé.

Avec cette Thérapie de groupe, il donne une nouvelle dimension à cette auto-dérision, en maniant un humour sombre et inventif. Il confirme ainsi son statut d’auteur à part, refusant de se faire enfermer dans un genre précis.

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