L’Ensemble Gli Angeli Genève interprète Membra Jesu Nostri de Buxtehude

Gli Angeli Genève mené par Stephan MacLeod nous invite au recueillement autour d’un chef d’œuvre de la musique baroque
De
Stephan MacLeod
Vinyle et CD
Parution le 11 octobre 2024
19,99 €
Notre recommandation
4/5

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Gli Angeli Genève a été fondé dans la capitale helvète il y a désormais près de vingt ans, par le chanteur baryton-basse et chef d’orchestre Stephan MacLeod.  Les effectifs et la composition de l’orchestre s’adaptent en fonction de son répertoire, extrêmement vaste, puisqu’il va de Monteverdi jusqu’à certaines pièces vocales de musique contemporaine, en passant par les grands baroques comme Schütz, Bach, Haendel et bien d’autres. On se gardera d’oublier, au-delà du Baroque, Mozart et Haydn.

Il était tout naturel qu’il inscrivît à son répertoire Membra Jesu Nostri, chef d’œuvre impérissable de l’histoire de la musique occidentale. Son auteur, Dieterich Buxtehude (1637-1707), est lui-même considéré par d’aucuns comme le plus grand musicien allemand de la deuxième moitié du dix-septième siècle avec Pachelbel et Reinken. Il a régné en maître à Lubeck l’hanséatique pendant plusieurs décennies et certains apologues prétendent même que le jeune Bach aurait parcouru un long chemin à pied pour venir le rencontrer.

Gli Angeli a donné Membra Jesu Nostri, le cycle des sept cantates, le dimanche 20 octobre au Palais des congrès de Perros-Guirec, petite station balnéaire du Nord de la Bretagne. Cela tombait bien puisque cette présentation coïncidait avec la sortie de l’album paru une semaine plus tôt. Elle sera à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire du Festival, Les rencontres internationales de Musique Ancienne en Trégor qui a fêté, il y a peu, ses vingt-cinq ans d’existence.

Points forts

Lorsque la petite troupe des quinze chanteurs et musiciens fit son apparition pour leur concert spirituel, ils n’étaient pas rassurés. Les répétitions avaient été trop courtes, comme souvent, alors qu’ils n’avaient pas joué Membra depuis l’enregistrement, il y a trois ans.  Surtout l’analyse hygrométrique indiquait une saturation de l’humidité, après les pluies et la tempête qui s’étaient abattues sur la Bretagne. 

Le public ne se doutait de rien et pouvait contempler, au-delà de la scène, l’horizon embrumé et étrangement silencieux, où la mer et le ciel se confondaient presque. La vague inquiétude des musiciens n’était pourtant pas totalement injustifiée, puisque cinq cordes cassèrent pendant le concert dont trois dans la section des violes de gambe et les accords furent longs et nombreux. Mais la musique jouée dépassa toutes ces contingences.

Le cycle de Membra Jesu Nostri se présente comme une déploration sur les plaies du Christ dont le nombre est porté, selon la tradition musicale du temps, de cinq à sept : pieds, genoux, mains, flanc, poitrine, cœur, visage (ad faciem). Le livret a été écrit à partir d’un recueil médiéval de poésie d’un moine cistercien et de citations bibliques. L’œuvre est souvent jouée avec un chœur nombreux, comme la maîtrise de Notre Dame de Paris, aux antipodes de l’effectif réduit choisi par Stephan MacLeod : cinq voix dont la sienne, un alto, un contre-ténor et deux sopranos soutenues par dix instrumentistes. 

L’interprétation de Gli Angeli fut d’une lisibilité extrême, dans les unissons et surtout les contrepoints et parfaitement accordée au dépouillement de l’écriture du maître baroque. Dans une œuvre où le mètre détermine en grande partie les figures rythmiques, l’accentuation syllabique des chanteurs fut d’une netteté remarquable. Dès le tutti du Ad pedes qui inaugure l’œuvre, le ton était donné, si on me permet cette redondance, avec une ferme cohésion de l’ensemble vocal dans les passages choraux et une fluidité véloce des contrepoints et jusqu’à ce que la messe soit dite, avec le somptueux Amen final.

Les voix frappèrent par leur complémentarité qu’il s’agisse des deux sopranos, Hana Blazikova et Aleksandra Lewandowska, dont les timbres nettement différenciés apportent des couleurs sonores tour à tour nuancées et contrastées, ou qu’il s’agisse des duos formés par l’alto et le contre-ténor, Thomas Hobbs pouvant s’appuyer sur la sûreté d’Alex Potter, pour développer une expressivité hors du commun. Quant à la splendide basse de Stephen McLeod, elle se passerait presque de tout commentaire, si elle n’était marquée du sceau d’une sobriété insigne et d’une élégance souveraine.

Le programme du concert était complété par trois cantates du maître, parmi la centaine parvenue jusqu’à nous, dont Klag-Lied, élégie composée par Buxtehude au moment de la disparition de son père Joannes, lui aussi organiste et administrateur d’église. Le compositeur est également l’auteur des versets, dont trois nous ont été donnés à Perros. Stephan MacLeod semble particulièrement attaché à cette cantate, dont il apprécie la poésie du texte et l’abstraction de la partition, pour reprendre ses mots. Elle se présente comme un quadruple contrepoint, avec permutation et renversements des lignes mélodiques. Cette épure sonore qui rend paradoxalement sensible, par son dépouillement, l’affliction de Buxtehude face à « l’impossible possibilité » de la mort, nous renvoie, par un télescopage historique inattendu, aux débuts de la musique sérielle : thème initial, inversion, renversement, renversement inversé du thème… 

Quelques réserves

Lorsque l’art de l’interprétation musicale atteint un tel niveau d’exigence, il ne saurait y avoir de réserves.

Encore un mot...

Pour ceux, très nombreux y compris parmi nos lecteurs de Ouest France, qui ne faisaient pas partie des quelques privilégiés qui ont assisté au concert historique de Gli Angeli en Trégor, ils peuvent se reporter à son enregistrement, enfin disponible, qui est une réussite totale. Il existe un nombre considérable de versions du chef d’œuvre de Buxtehude par les plus grands maîtres de la musique baroque, qu’il s’agisse de René Jacobs ou de John Eliot Gardiner, par exemple. Nous recommandons celle, toute en retenue, de Gli Angeli pour la précision de l’exécution, l’équilibre sonore entre la masse instrumentale et les voix qui met en valeur la profondeur dramatique de l’œuvre et l’intelligibilité du texte.  

L’album est complété par une œuvre contemporaine de Xavier Dayer Afin que le lion féroce ne l’attaque pas. Ce titre fait référence à la théorie des sphères du philosophe Sloterdijk selon laquelle la politique, la religion et finalement l’art lui-même, immuniseraient les hommes en créant des devenirs communs et au sein de ces sphères multiples.

L’œuvre du compositeur suisse ne comporte aucun lien formel avec Membra, mais une profonde communion spirituelle autour de la mort l’unit à celle de son glorieux prédécesseur. C’est sans doute la raison pour laquelle elle a été placée au cœur de l’album, presque au milieu du cycle des cantates.

Xavier Dreyer rêvait de faire jouer ensemble des instruments anciens et modernes, mais il a tenu compte du fait que les membres de Gli Angeli n’étaient pas accoutumés, et pour cause, à jouer les partitions de musique contemporaine. L’œuvre elle-même prend la forme d’un vaste continuum en perpétuelle transformation, à l’instar des sphères du philosophe allemand. L’ensemble vocal y conserve son autonomie tout en étant soutenu ou en dialoguant avec les sections instrumentales à la faveur d’associations multiples et diversifiées.

Une phrase

Gli Angeli Genève a été créé à l’initiative de Stephan MacLeod en 2005 dans la capitale suisse. Dès l’origine, Gli Angeli a su accueillir les plus renommés parmi les chanteurs et instrumentistes de la sphère baroque, tout en donnant l’occasion aux musiciens frais émoulus des écoles, tant suisses que françaises, de fourbir leurs premières armes au contact de leurs collègues plus chevronnés. Gli angeli donne plusieurs dizaines de concerts chaque année, à Genève où la saison est scandée par trois évènements récurrents : L’intégrale des cantates de Bach, le Festival Haydn-Mozart et La chambre des Anges consacrée, comme son nom l’indique, à la musique de chambre.

Stephan MacLeod chante partout dans le monde sous la direction des plus grands chefs qui se sont notamment illustrés dans la musique ancienne ou baroque : Gustav Leonhardt, Michel Corboz, Philippe Herreweghe ou Jordi Savall. Depuis qu’il a fondé Gli Angeli, il se consacre à la direction d’orchestre et poursuit, également à ce titre, une carrière internationale en emmenant en tournée Gli Angeli ou en étant régulièrement invité à diriger de prestigieux orchestres de par le monde. Il est aussi professeur de chant depuis de nombreuses années et vient tout juste d’être nommé à la Haute Ecole de Musique de Genève.

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