
Solotone MI
Parution le 16 mai 2025
Album CD 15 €
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Thème
Nous sommes avant le début du concert, le rideau de scène n’est pas levé et le chef d’orchestre n’a pas encore fait son apparition, mais vous entendez les musiciens dans la fosse d’orchestre qui semblent produire un brouhaha sans queue ni tête, c’est paradoxalement le bref moment de l’accordage qui va permettre aux musiciens de jouer ensemble en se mettant d’accord sur une fréquence : en France où le la (donner le la) est à 440 Hz.
Le musicien seul lui aussi s’accorde, particulièrement celui qui joue d’un instrument à cordes, tel que la guitare.
Un guitariste comme Gilles Coronado accomplit cet accordage quotidiennement à partir de son diapason électronique qui lui fournit, sur un cadran virtuel, chaque note de la série chromatique, un son continu. Ce rituel lui a donné l’idée de sa nouvelle œuvre. Il a choisi 12 notes de la gamme chromatique à partir desquelles il a construit autant de singularités musicales.
Vous entendez, dans chaque morceau, le son continu à partir duquel une architecture, à chaque fois différente, s’organise. La série des morceaux apparaît ordonnée en fonction d’une dramaturgie où alternent moments de paix et de frénésie.
On peut imaginer tout aussi bien que ce son continu est comme la faible lumière spectrale qui a parcouru un certain nombre d’années-lumière avant de parvenir jusqu’à nous et provient peut-être d’une étoile appartenant à une autre galaxie qui est morte depuis longtemps. C’est ce que disait J-L Godard à propos d’Alain Delon, de leur vivant à tous les deux. On peut aussi imaginer une lumière rouge qui s’allume dans un studio le temps de l’enregistrement. Après tout, son et lumière relèvent de la même approche ondulatoire.
Mais j’aime bien cette idée d’étoile défunte qui “s’accorde” bien avec les paysages désolés, post-catastrophiques, que nous offre ici Gilles Coronado.
Points forts
L’esthétique de Gilles Coronado est à la fois conceptuelle et minimaliste, ce qui n’est pas la même chose.
On a coutume d’appliquer l’expression d’art conceptuel aux arts plastiques, bien que souvent les œuvres qui en sont issues ne fournissent aucune forme ni aucune représentation visible au spectateur. Gilles Coronado revendique cette appellation, à cette différence près que, lui, produit de la musique.
On a compris qu’ici le concept, c’est cette note continue qui joue comme une contrainte oulipienne, encore qu’elle ne détermine aucune tonalité pour l’improvisateur. On peut entendre la note ou mieux le son, lisse (le Mi) ou grenu ou ondulé (le MI bémol), ou comme distordu, dès le début ou en cours de morceau, il se prolonge parfois alors que la guitare s’est tue. Le voyage chromatique commence par le Mi et se termine par le Si bémol.
L’enregistrement a eu lieu dans la campagne de l’un des vieux amis de Gilles, dans des conditions artisanales, qui laissent souvent le plus de liberté. Une guitare Gibson SG, deux micros et deux amplis pour l’effet stéréo. On enregistre le faux silence de l’air circulant dans un immense atelier d’artiste. Aucun recours au re-recording, sauf dans un morceau (le Ré bémol).
Nous annoncions que cette œuvre, pour être conceptuelle, était également minimaliste. C’est une préoccupation majeure de Gilles Coronado de ne céder en rien à l’étalage de la technique instrumentale où à l’esthétique du trop-plein. Au contraire, il fait la chasse au superflu, au décoratif, il n’a de cesse de simplifier, d’émonder son propos ; pour se confronter à l’écho, à la réverbération, à la distorsion ou au grésillement (le SI) et, pour finir, au silence.
Il a pour obsession d’approcher, autant qu’il se puisse, l’essence du geste musical et ses principes qui, selon lui, sont au nombre de trois : d’abord le son (parfois le bruit dans le FA dièse et le SI bémol ), sa matérialité, sa plasticité, sa vocalisation ; ensuite le temps qui, en accord avec la relativité générale, s’écoule selon des vitesses différentes et qui peut être scandé (le MI) ou non ; il est discret ou ondulatoire (le RÉ) avec ou sans métrique sous-jacente ; enfin vient la fréquence, c’est à dire la hauteur relative des sons.
De fait, la note continue, qui est reprise dans le titre de chaque morceau, est conforme au Clavier bien tempéré que nous a légué Bach ; mais elle ne donne pas le ton, c’est-à-dire la gamme. La guitare peut parfois, surtout dans le grave, produire des sons désaccordés (accords et désaccords). Le fait musical se joue parfois par contiguïté des notes aux hauteurs proches ; des frottements, des battements peuvent en résulter. Aucune structure harmonique ne préexiste au morceau. Une grande place est laissée à la liberté de l’improvisation, même si elle est surveillée par l’improvisateur (liberté surveillée).
On a coutume de dire que le discours musical est composé de phrases, comme dans un chorus classique. Ici nulle phrase à proprement parler, mais des motifs en accords répétés ou des progressions, également en accords et parfois en dialogue avec une note (le La bémol), par tâtonnements ou approximations successives (essais et erreurs).
Quelques réserves
Cette musique doit être abordée sans se soucier de savoir à quel genre elle appartient. Après tout, comme le disait Paul Valery, « on ne s’enivre ni ne se désaltère d’étiquettes de bouteille ». Certes elle ne vient pas de nulle part et on peut y entendre des traces de jazz, de Rock, et de musique contemporaine. Mais elle ne ressemble qu’à elle-même et, pour son auteur, il n’existe pas de meilleur signe de ralliement que l’approche créative qui la constitue. Elle doit être écoutée avec précaution, c’est notre seule réserve, si on peut l’appeler ainsi.
Encore un mot...
Très belle pochette d’un rose fluo et maculé, comme l’épreuve du graveur.
L'auteur
Gilles Coronado, qui signifie en Espagnol Celui qui est couronné, est originaire de Châteauneuf-de-Gadagne, un petit village situé non loin de l’Isle-sur-la-Sorgue, la patrie de René Char.
Il a fait ses classes dans les bals de la périphérie d’Avignon. Il a vingt ans.
Il joue du Rock et commence à s’intéresser aux musiques improvisées.
Il suit la classe de jazz du Conservatoire d’Avignon. L’année où il y était inscrit, il est le seul élève en tête à tête avec son professeur, par conséquent, le saxophoniste André Jaume.
En 1991, il monte à Paris et fait la connaissance de Guillaume Orti et Benoît Delbecq avec lesquels il joue toujours. Il fait son véritable apprentissage musical en fréquentant Les instants chavirés à Montreuil où s’inventent des musiques créatives qui effacent les frontières et mêlent les genres.
Il partage sa carrière entre les groupes de jazz qu’il dirige ou en tant que sideman (Guillaume Orti, Sarah Murcia, Stéphane Payen) ; et certains chanteurs qu’il accompagne comme Fred Poulet ou Philippe Katerine.
Il a enregistré une quarantaine d’albums en tant que sideman et une dizaine comme leader. Après un silence de quinze ans, ces dernières publications, particulièrement abouties, comme Coronado-Au pire un bien ou La Main, ont été remarquées.
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