BADROULBOUDOUR

Un conte hilarant, lunaire et poétique
De
Jean-Baptiste de Froment,
Aux Forges de Vulcain
Parution le 20 août 2021
212 pages
18 euros.
Notre recommandation
5/5

Infos & réservation

Thème

Antoine Galland est un père de famille un peu dépassé par le monde qui l’entoure, pas encore vieux mais n’appartenant plus vraiment à la catégorie des jeunes, fraîchement séparé de sa femme, égaré dans sa vie intellectuelle comme dans sa vie sentimentale, sorte de version instruite, présentable et inhibée du Jean-Claude Dusse des Bronzés. Il part justement dans un club de vacances (dont le nom rappelle l’affreux gâteau du Père Noël est une ordure) avec ses deux filles, Garance et Aubépine, dont les prénoms sages cachent un caractère impérieux. Le voici dans un village oriental de pacotille où règnent la fête et la bonne humeur surjouées. Au cœur même de cette mascarade, la trame d’un jeu se noue pourtant, dans la recherche d’une princesse mystérieuse prenant peu à peu la forme d’une quête essentielle puis d’une révélation.

Points forts

- Ce livre, étrange objet littéraire écrit au passé, parvient à créer un univers d’une originalité certaine, grâce à son charme anachronique, entre autres. Les références qu’il convoque y sont inépuisables. On pense, parmi mille autres choses, aux Fleurs bleues de Raymond Queneau, pour le parallélisme humoristique entre deux personnages, l’un du passé, l’autre du présent. On pense aussi parfois au Fabuleux destin d’Amélie Poulain de Jean-Pierre Jeunet, en raison du ton décalé, faussement tragique de l’histoire, ou à On connaît la chanson, d’Alain Resnais, lorsque l’un des personnages parle du sujet de sa thèse qui semble dérisoire et n’intéresse personne. On pense encore, à cause des rêves maladroits d’enfants dans la boutique de lingerie pour matrones, à Cendrillon, d'Eric Reinhardt, car l’un des protagonistes connaît ses premiers émois au contact des catalogues Phildar de sa grand-mère. On pense encore à Kafka, en raison des inexplicables accusations auxquelles le personnage principal est confronté, à Vian ou à Aragon, à cause de la prédominance de situations absurdes et guignolesques, jamais dénuées de poésie. Ces multiples clins d'œil parviennent eux-même à créer un roman inédit et surprenant. 

-  S’il est toujours un peu artificiel de séparer le fond de la forme d’un texte, il va de soi que l’ampleur de l’écriture de ce livre, ses phrases longues, fournies, complexes, contredisent heureusement la mode des textes sobres, dépouillés, pour ne pas dire indigents, qui pullulent dans les librairies. Les descriptions y sont précises et ne s’économisent jamais. Les analyses du malaise du personnage principal, par exemple, sont extrêmement bien exprimées, à travers les sentiments provoqués de part et d’autre comme dans les artifices utilisés pour les dissimuler. Les yeux des personnages, leur taille, leurs seins, leurs cheveux, tout y est consigné avec une étonnante méticulosité. Ce précieux souci du détail parvient à rendre le texte étonnamment juste, donnant même envie d’en relire des passages. 

- L’humour est omniprésent dans ce livre, et son espièglerie joue notamment sur les mots, les références culturelles, l’histoire ou la littérature. Les enfants malicieux, parfois méchants, sont croqués avec une ironie mordante. Le jeu de téléréalité littéraire, présenté par Frédéric Bulot en partenariat avec les éditions Grassouille, constitue probablement l’un des moments les plus drôles du roman. Antoine Galland, ayant perpétuellement conscience de sa propre gaucherie et de sa propre ringardise, est un anti-héros si gentiment ridicule qu’il ne peut qu’attirer la sympathie. 

- Malgré son ironie féroce et ses allures de farce, le livre ne sombre jamais dans une peinture grotesque ou désespérante de toute chose. Force est de constater que des problématiques assez profondes s’y posent. La réflexion sur le rapport d’Antoine Galland au personnage créé à partir de son homonyme disparu depuis plusieurs siècles, traducteur ambigu et oublié des Mille et Une Nuits, pose la question du travail et du talent non révélés, et de ce qu’ils signifient en termes de souffrance muette, de renoncement à la reconnaissance ou à l’amour. On en apprend aussi, dans ce roman, sur la culture orientale, notamment à travers la princesse Badroulboudour, “pleine lune des pleines lunes” et sur les prismes occidentaux qui la troublent. En ce sens, ce livre comique n’est pas qu’un divertissement : il parvient à s’extraire de ses propres sarcasmes pour parler d’amour sans mièvrerie, ou de connaissance et d’histoire d’une manière intelligente et fine.

Quelques réserves

Sans tomber dans la facilité en affirmant que ce livre au titre imprononçable a les défauts de ses qualités, on peut penser que la complexité du texte pourra effrayer plus d’un lecteur indolent. Son style copieux, ses phrases longues, son passé simple et ses adverbes pourront autant séduire qu’exaspérer. Il ne faut pas s’attendre à se reposer dans cette lecture. Mais l’on peut se risquer à parier que tout lecteur faisant l’effort de se plonger dans son style dense ne sera pas déçu.

Encore un mot...

Un roman hilarant, déconcertant et poétique.

Une phrase

«Antoine avait cherché méthodiquement à échapper à la destination interdite mais, tétanisé par la peur de ne pas réussir, il avait multiplié les tentatives hasardeuses, se fourvoyant dans des projets trop originaux pour être praticables, se rabattant ensuite sur des idées trop plates pour être dignes des vacances, péchant par défaut ou par excès d’audace, jusqu’à se sentir totalement perdu et conclure, la mort dans l’âme, que la seule solution viable, quoique ruineuse, pour lui et ses deux filles, était de partir au Kloub comme Madeleine l’avait fait l’année précédente. Elle était à peu près certaine, cependant, que rien de très grave n’avait pu arriver, grâce à la tendance d’Antoine à se reposer sur les autres, à suivre le mouvement, à se fondre dans le groupe. Cet instinct grégaire, même s’il avait davantage encore contribué à l’atrophie de ses facultés psychomotrices, s’était révélé tout à fait salutaire ; il était en effet plus rationnel pour des personnes au comportement aussi hasardeux de compter sur autrui que sur elles-mêmes ». (p. 85)

L'auteur

Jean-Baptiste de Froment, né en 1977, a étudié en classes préparatoires littéraires au Lycée Henri IV puis à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm. Il est agrégé de philosophie et a enseigné cette discipline à l’Université de Nanterre. ll a été conseiller à l’Elysée et élu au Conseil de Paris. Haut fonctionnaire, il est actuellement conseiller en charge du patrimoine au Ministère de la Culture. Il est l’auteur d’un précédent roman, État de Nature, paru en 2019 (Editions Aux Forges de Vulcain).

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