Casablanca Circus

Portrait subtil d’une ville, d’un pays ou l’improbable dialogue entre idéal et réalité
De
Yasmine Chami
Actes Sud
Parution le 23 août 2023
196 pages
20 Euros
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Thème

Jeune couple marocain, May et Chérif vivent à Paris ; lui est architecte, elle historienne, ils ont le même idéal sur la société. Déjà parents d’un petit garçon, ils ont pris la décision qu’à l’arrivée d’un second enfant, ils repartiraient s’installer à Casablanca.

L’histoire commence alors que ce moment est arrivé. May appartient à la société bourgeoise, riche, vivant dans les quartiers huppés et luxueux de Casablanca. Chérif est d’un milieu modeste; mais Amem, son père décédé, est réputé à l’Université de Fès. Démarrant son cabinet d’architecture, Chérif se voit rapidement confier un projet important d’urbanisme : reloger les habitants de l’un des plus anciens bidonvilles de Casablanca à l’extérieur de la ville. May se retrouve confrontée à un monde reléguant la femme à la maison. Elle entreprend de s’adresser à la fille qu’elle attend dans des cahiers relatant ses sentiments sur la société dans laquelle elle devrait grandir.

Si Chérif s’enthousiasme pour le projet en conservant son idéal, May remet en question ce projet qu’elle vit comme une injustice. Elle part alors à la rencontre de ces habitants du bidonville El Bahriyine.

Points forts

  • Le couple Chérif et May autour de leurs familles respectives ; des portraits des parents de May, de la mère, du frère de Chérif.
  • Les valeurs humanistes du jeune couple qui se voit confronté à la réalité : un décalage entre leurs rêves et cette réalité.
  • La ville de Casablanca au cœur du roman : ses quartiers riches aux demeures luxueuses…. Ses quartiers plus modestes… et ses bidonvilles.

Quelques réserves

  • Le roman n’est peut-être pas toujours facile à lire ; nous ne connaissons pas la géographie de cette ville et un plan permettrait de situer les bidonvilles. Il faut se mettre dans le contexte culturel et historique du pays.

Encore un mot...

Le jeune couple May et Chérif,  après des années à Paris, revient à Casablanca alors qu’ils attendent leur second enfant. Animés par les mêmes valeurs, ils se trouvent vite confrontés aux injonctions sociétales, familiales, aux inégalités, à la corruption et à l’hypocrisie des élus (y compris dans la famille de May).

Nous suivons alors un Chérif obsédé par une obligation de réussite professionnelle afin de « rentrer » dans le schéma de la famille de May : « l’homme doit subvenir aux besoins des siens » ! Il accepte alors un important projet d’urbanisation : reloger (recaser !) les habitants du plus ancien bidonville El Bahriyine, situé face à l’Océan. Il imagine de beaux logements, des réseaux de bus reliant au centre de la ville…. Mais doit faire face peu à peu à des compromissions politiques, revoir autrement son idéal en refusant d’écouter les mises en garde de May qui a l’intuition d’actions moins humanistes.

En effet, May réalise que ce projet est un déclassement, cet habitat dit « social » entraînant l’exclusion de ces habitants loin de leur passé, de leur histoire. Ces hommes et ces femmes, dans une pauvreté souvent extrême, ont un seul bien : leur vue sur l’Océan, cet espace de liberté.

En partant à la rencontre de toutes ces « personnes invisibles mais solidaires » du bidonville, May livre des portraits formidables et se trouve accueillie par les uns et les autres, invitée parfois à leurs tables. Des femmes courageuses, des hommes pêcheurs, ferrailleurs, tous dans leurs maisons de carton ou de tôles mais jamais lassés de leur vue sur la mer… Il y a Rachid, venu tout jeune garçon de son Rif, qui aura appris à lire les grands noms de la littérature et dont le livre de chevet est Ainsi parlait Zarathoustra, Zohra jeune femme abandonnée avec un bébé, rejetée par les siens, et dont la petite fille ne peut être déclarée car née hors mariage, donc sans identité !  Il y a aussi ces jeunes marocains abandonnés par les familles et la société, embrigadés par des imams obscurantistes.

C’est donc une lecture éclairante sur la société marocaine, avec le poids des traditions et de l’éducation. De nombreux sujets sont abordés : le patriarcat, la place des femmes, l’éducation, l’argent mais aussi la transmission religieuse et la sexualité dans cette capitale financière du Maroc, ville dans laquelle existe toujours un fossé entre les « ghettos » des riches et les bidonvilles. 

Les enjeux de cette relocalisation malmènent le jeune couple. Les cahiers de May à sa fille qu’elle porte sont très touchants.

Yasmine Chami possède une belle langue ; en mettant Casablanca au cœur de cette histoire, elle nous entraîne dans les ruelles de la corniche, les dédales nombreux et nous fait ressentir la vie de toute une population.

Le romanesque est peut-être laissé un peu de côté (malgré l’histoire intéressante  de Chérif et May) pour aborder l’aspect important qu’est l’aspect politique et social.

Un livre passionnant.

Une phrase

  • « Ils avaient décidé ensemble – c’est ainsi que Chérif le rappela à May quand il évoqua la perspective du retour  comme ils le disaient en riant auparavant -que l’arrivée d’un second enfant dicterait la date de leur réinstallation à Casablanca, comme si cet enfant-là les arrimait à l’âge des responsabilités » p. 13
  • «… Les autres l’avaient aussitôt hué, et Chérif, regardant May soulevée par l’indignation, avait rétorqué : “ Et pourquoi n’envisages-tu pas que le rôle sacré de père détermine la vie sociale des hommes et que pour le remplir pleinement ils renoncent à leurs activités en partie, un travail à mi-temps pour les pères et les mères, qui ainsi partageraient le bonheur d’éduquer leurs enfants et le devoir de pourvoir aux besoins de leurs famille ? Ce serait un bouleversement  intéressant de l’idée que nous nous faisons de l’accomplissement masculin et mettrait un terme définitif aux inégalités”. » p. 61
  • « Mais les habitants du karyane souhaitent-ils être recasés comme tu dis ? Pourquoi ne pas réhabiliter ce bidonville, leur permettre de vivre là où ils ont toujours vécu…. Les imaginez-vous enfermés dans les terres, loin de l’Océan ? » p. 73
  • « J’avais passé mon baptême du feu, mon amour, et ces femmes, leur force, leur patience, la fête qu’elles créaient avec rien, nous avons ri et dansé jusqu’à la fin de l’après-midi, elles sont devenues mes sœurs de cœur, des guides aussi, je ne pourrai plus jamais penser le recasement en termes de chiffres, j’ai devant moi leurs vies, les peines, les joies qu’elles partagent ». p. 109

L'auteur

Yasmine Chami est née à Casablanca. Après avoir intégré l’Ecole Normale supérieure d’Ulm en philosophie, elle est agrégée en sciences sociales, et a un diplôme d’anthropologie. Elle vit et travaille à Casablanca. Ce livre est son cinquième roman. Ses précédents romans, tous édités chez Actes Sud, sont : Cérémonie (2002); Mourir est un enchantement (Prix de l’Institut du monde arabe 2017); Médée chérie (2018); Dans sa chair (2022).

Ajouter un commentaire

Plain text

  • Aucune balise HTML autorisée.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.

Ils viennent de sortir