L' Accident

Douce France, je t'aime dans la joie et la douleur.. Une réflexion subtile et profonde, un bonheur de lecture
De
Jean-Paul Kauffmann
Éditions des Equateurs
Février 2025
323 p.
22 €
Notre recommandation
4/5

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Thème

Jean-Paul Kauffmann a la réputation d' être un homme sensible, pudique, réservé. Question de tempérament et d'éducation. Et dieu sait combien dans cette Bretagne rurale et catholique des années cinquante, l'éducation était stricte, voire rigide. Taloches distribuées par l'institutrice, actes de mortification imposés par le curé, pensionnat quasi obligatoire pour l'entrée au collège. Pourtant, comme l' écrivait le grand romancier de cette époque, Gilbert Cesbron, " Notre Prison est un Royaume ".  Pour la première fois donc, Jean-Paul Kauffmann nous ouvre les portes de ce royaume et nous livre quelques confidences sur sa longue captivité au Liban. 

Le lieu : un village du Finistère au nom étrange Corps- Nuds. Pour ponctuer une enfance banale, avec son alternance de moments d'ennui et de joies: la bonne odeur du pain chaud dans la boulangerie paternelle, les effluves d'encens distribuées à tire-larigot par un petit chenapan déguisé en enfant de choeur, Jean-Paul Kauffmann observe tout déjà, sans être dupe, la magnificence de la pompe catholique, la vanité de Paul Brionne le curé venu du Grand Séminaire de Rennes, la passivité tranquille de ses fidèles. Avec son clocher en forme de bulbe, l'église fréquentée dès potron- minet par le jeune servant de messe, impressionne beaucoup le petit Kauffmann. 

Sept décennies plus tard, ce sont des odeurs qui réveillent la mémoire. Parmi les cinq sens, Kauffmann privilégie l'odorat, un bon journaliste, écrit-il, doit d' abord sentir son sujet. Et revenir sans cesse sur les lieux de son enquête, traquer des indices, flairer les lieux et les êtres. Que s' est il passé le dimanche 2 janvier 1949 du côté de l'étang de la Forge, à une trentaine de kilomètres de Corps- Nuds? Un accident de la route a provoqué la mort de 18 jeunes footballeurs du village. Pour quelles raisons le jeune conducteur du camion, un dodge américain importé en France avec le plan Marshall , a-t-il perdu le contrôle de son véhicule ? Vitesse excessive sûrement. Alcool au volant, imprudence, volonté d'épater les copains, la tragédie a sidéré la France et le village s'est muré dans un long silence. 

Ce silence, cet effroi, le journaliste Kauffmann le traversera dans les tunnels noirs des geôles du Hezbollah. Et c'est bien la part de cette enfance heureuse et douce, ce fragment d' innocence, qui lui permettront de tenir le coup, de  résister et de vivre dans ces conditions  des nuits presque sereines, sans cauchemar. 

Points forts

Le portrait des parents, en particulier de sa mère, une femme sévère en apparence, qui pratiquait l'auto derision, une forte personnalité capable de clouer le bec un jour à un Président de la République. 

Des moments épiphaniques, de pure littérature, lorsque l' auteur se remémore un après-midi dominical au bord de l'eau: le paternel qui pêche à la ligne, la maman qui  tricote, l'air est transparent et soudain le temps surgit, puis se fige à jamais dans le coeur de Jean-Paul Kauffmann.

 Douce France...

Une réflexion subtile et profonde sur la vie qui va, ce qu'elle fait de nous, entre rêves d' enfance et compromissions de l'âge adulte. Ce livre fait écho à celui d'un autre écrivain breton, Paul Guimard et son roman Les choses de la vie où l'auteur  décrit un accident de la route au ralenti. Même distorsion du temps, coup de cymbale du destin.

Quelques réserves

Aucune. Des chapitres courts aux couleurs impressionnistes, un bonheur de lecture. 

Encore un mot...

Kauffmann reste un formidable journaliste. Son livre paru il y a 12 ans Remonter la Marne, nous contait son odyssée dans une région  inconnue. Une France " déménagée " écrivait l' auteur et qui préfigurait déjà la révolte des gilets jaunes. 

Une phrase

Je crois n'avoir jamais ressenti de manière aussi totale l'instant immédiat, un moment où les cinq sens se trouvent alignés dans une parfaite concordance. Il n' y avait que nous trois, seuls au monde, transportés hors du temps. Les berges renvoyaient par bouffées le parfum de la menthe aquatique. Rien d'autre ne comptait. (p. 146) 

L'auteur

Jean-Paul Kauffmann est un journaliste et écrivain français né le 8 août 1944 en Mayenne. Il a travaillé pour le Matin de Paris et comme grand reporter pour l'Événement du jeudi. En 1985 il a été enlevé à Beyrouth et libéré 3 ans plus tard. 

Son premier livre L' arche des Kerguelen ( 1993)  a reçu le prix Jean Freustié. De nombreux prix couronnent ensuite La Chambre noire de Longwood . Une œuvre marquée par le thème de l'enfermement mais qui évoque en creux son expérience d'otage. 

Jean-Paul Kauffmann a reçu en 2002 le Grand prix de littérature Paul-Morand décerné par l' Académie française.

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Commentaires

Elisabeth Autet
mar 20/05/2025 - 12:27

Je partage entièrement cette superbe chronique sur un livre épatant.
Seule remarque : le village de Corps-Nuds n’est pas dans le Finistère mais en Ille et Vilaine, au sud de Rennes !

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