L’ENFER COMMENCE AVEC ELLE

Réédition d’un roman publié en 1935. Désir, plaisir, amour-passion... mais, ici, passion ne veut pas dire passionnant !
De
John O’Hara
Traduction de l'anglais
Yves Malartic & Mathilde Deprez,
Editions de L’Olivier,
255 pages,
22€
Notre recommandation
2/5

Infos & réservation

Thème

Manhattan, années 1930. Gloria, 22 ans, belle et au fait de toutes les fantaisies sexuelles, se réveille d’une nuit d’ivresse au domicile conjugal bourgeois de Liggett, qu’elle a rencontré la veille dans un club. Triste et dépitée, elle découvre qu’il a déchiré sa robe au cours de leurs ébats et lui a laissé de l’argent. Afin de se couvrir, elle emprunte au vestiaire de Mrs Liggett un somptueux manteau de vison – qu’elle compte bien rendre – et saute dans un taxi en pensant ne plus revoir cet amant d’un soir. Evidemment, “l'emprunt” ne passe pas inaperçu. Pour éviter que sa femme ne porte plainte, Liggett se met en quête de Gloria. Il découvre du même coup que, cette fois, il ne s’agit pas pour lui d’une simple infidélité mais d’une véritable obsession, une passion comme il n’en a jamais connue. De son côté, Gloria s’aperçoit qu’elle est tombée très amoureuse, elle qui pensait pouvoir se passer de l’amour d’un homme. Voilà bandé le ressort de la tragédie à venir...

Points forts

– Après avoir réédité en 2019 Rendez-vous à Samarra, considéré comme une œuvre importante de John O’Hara, les éditions de L’Olivier rééditent maintenant L’Enfer commence avec elle dans une traduction révisée – texte publié aux Etats-Unis en 1935, sous le titre original Butterfield 8. L’ouvrage fut librement adapté pour le cinéma sous ce même titre original (et en français, La Vénus au vison). Elizabeth Taylor reçut l’Oscar de la Meilleure actrice pour son interprétation dans le rôle de Gloria. 

La réédition de L’Enfer… est l’occasion de découvrir ou redécouvrir John O’Hara, auteur américain prolifique et contemporain de Hemingway et Fitzgerald. 

– Une New York mythique apparaît en filigrane dans le roman à travers les dialogues et les pensées des personnages. On est dans les années 30, celles de la Dépression. Les riches s’inquiètent du devenir de leur position et de leur famille, comme Liggett. C’est aussi l’époque des bars clandestins (les speakeasies), de l’alcool à gogo, des nuits blanches, des clubs pour cliques de jeunes gens délurés, comme Gloria, et des cercles réservés à la grande bourgeoisie où se côtoient les anciens de l’Ivy League et leurs épouses oisives et bien nées. Du fait de sa liberté sexuelle et de ses errances auprès d’hommes mariés, Gloria navigue entre ces deux mondes ; jamais elle n’en deviendra le trait d’union.

– Le fil rouge du livre pourrait être la réflexion subtilement menée sur le lien conjugal. Il y a les Farley, qui se fuient sans se le dire en bon vieux couple bourgeois. Il y a la jeune Ann qui hésite à épouser son tout aussi jeune médecin, et que Gloria imagine déjà dans quelques années en épouse comblée par ses enfants, mais trompée… Surtout, chacun leur tour, Liggett et Gloria se penchent sur leur expérience du mariage. Pour Gloria, s’oppose à toutes les unions qu’elle connaît pour avoir été la maîtresse d’hommes infidèles, l’engagement profond et véritable de sa mère. Femme d’un seul homme au-delà de la mort, par amour et non par devoir, elle est à la fois un mystère pour Gloria, qui ne s’imagine pas privée de sexe, et la preuve d’un amour pur, d’un engagement du coeur auxquels Gloria aspire tout en étant persuadée de ne pas les mériter. Quant à Liggett, il est comme dessillé par la Dépression : à l’instar de nombreux hommes de sa génération, il découvre que sa femme, pas plus que tout ce qu’il a acquis, ne lui appartient pas, qu’elle s’est éloignée, se préoccupe peu de savoir ce qu’il fait, où il va, et qu’au fond il ne la connaît pas… 

– En dépit des idées “modernes” qui le traversent, notamment dans le domaine des expériences sexuelles, L’Enfer... n’est pas le parcours d’une jeune fille cynique et délurée mais d’une petite fille mélancolique. Chaque matin, Gloria se réveille au désespoir en pensant aux excès auxquels elle s’est abandonnée la veille ; et chaque matin, elle sait déjà qu’elle recommencera le soir-même, parce qu’elle ne sait plus faire autrement et s’est convaincue qu’elle ne vaut pas davantage. A l’origine de cette répétition, le roman place un traumatisme survenu alors que Gloria n’est qu’une enfant. Un traumatisme qui modifie complètement notre perspective de lecteur sur le comportement et les paradoxes de Gloria. Il donne aussi au roman son actualité puisqu’il y est question de consentement, de sidération et de complicité familiale. 

Quelques réserves

- Le premier chapitre lance le lecteur dans un roman psychologique où Gloria tiendrait la place de personnage principal. Mais le récit n’est pas linéaire et fait interférer nombre de personnages et de sujets, si bien qu’on la perd sans cesse de vue. Elle semble parfois à la périphérie de ce récit plutôt qu’en son centre. Difficile à suivre… Difficile aussi de lui trouver de l’épaisseur et de s’attacher à elle avant qu’elle ne bascule explicitement dans les affres de sa passion pour Liggett.

– Les longueurs sont nombreuses et fatigantes. Qu’il s’agisse de digressions qui sacrifient à “l’effet de réel”, ou déroulent la généalogie d’un personnage, ou détaillent à quoi vaquent en même temps et sur des lieux différents un tel ou une telle, ces longueurs nuisent à l’intensité que laissait attendre le début du livre.

– L’écriture supporte mal la traduction. Plus scénaristique que romanesque, elle confie l’évolution de l’action aux dialogues sans qu’on réussisse toujours à imaginer ce que les personnages éprouvent en se parlant. Dans les passages narratifs, le style est descriptif, froid. Par ailleurs, la construction laissant une place significative à des personnages secondaires, l’ensemble peut donner au lecteur d’aujourd’hui, et qui lit en français, une impression de discontinuité et de confusion gênantes.

Encore un mot...

Comme trop souvent, la 4e de couverture engage le lecteur sur de fausses pistes. Non, Gloria n’ “assume” pas sa “ sexualité très libre” : elle se l’inflige – ce qui n’exclut d’ailleurs ni le désir ni le plaisir. Elle n’est pas à l’image de ces héroïnes qui revendiquent un mode de vie émancipé et refusent le mariage par militantisme. Elle n’a pas cherché à conquérir et bousculer un mondain en la personne de Liggett : elle est tombée sur lui dans un club clandestin et, ivres, ils se sont retrouvés au lit chez lui, et sont pris de court par une passion qui va les mener à une fin tragique. Pour cela, il aura suffi de deux contingences apparemment sans importance : une nuit d’ivresse et un manteau emprunté… 

Malheureusement, passion ne veut pas dire passionnant (ni attachant). Probablement pas une pépite de John O’Hara. Et encore moins un texte qu’on puisse rapprocher de ceux, brillants, de Scott Fitzgerald.

Une phrase

« Elle se rendait compte, quoique vaguement et seulement une fois qu’elle fut habituée à se montrer malhonnête avec elle-même, qu’elle avait pris le pli du désespoir. Elle s’était beaucoup éloignée du sentiment originel parce qu’elle s’était endurcie au point d’ignorer la cause première, fondamentale, de toutes les afflictions qu’elle avait connues dans la vie. Or, cette cause existait bel et bien. Mais pendant des années, elle s’était refusée à y penser, espérant ainsi l’oublier, s’en éloigner. Si bien que chaque matin au réveil, parfois l’après-midi, elle se demandait avec angoisse ce qu’elle avait bien pu faire la veille pour être aussi terrifiée. »

L'auteur

Né en 1905 en Pennsylvanie et mort en 1970 au New Jersey, John O’Hara est une figure turbulente de la littérature américaine qu’il a enrichie de nombreux romans (dont un National Book Award avec 10, rue Frederick), une œuvre majeure (Rendez-vous à Samarra), des centaines de nouvelles et des pièces de théâtre. Il fut aussi scénariste. 

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