Mon dîner avec Winston

Un souper, quelques tons en dessous
De
Hervé Le Tellier
Mise en scène
Gilles Cohen
Avec
Gilles CohenGilles Cohen
Notre recommandation
3/5

Infos & réservation

Théâtre de l’Atelier
Place Charles Dulin
75018
Paris
Réservation : théâtre-at
Du 6 au 30 avril à 21 h (les dim. 15h)

Thème

  • Ce soir, ce n’est pas vraiment le « souper » où se rencontrèrent, dit-on, Talleyrand et Fouché, « le vice appuyé au bras du crime » (Chateaubriand), même si Charles met les petits plats dans les grands pour recevoir rien moins que...  Winston Churchill !
  • En effet, la balance est trop inégale entre les convives : d’un côté de la table, l’immense Anglais, qui parlait sans détour à Roosevelt, Staline ou de Gaulle, le père de la victoire aux yeux de ses compatriotes ; de l’autre, le modeste Charles qui, en dépit d’un prénom assez coté outre-Manche, mène « une vie qui se raconte en trois minutes ». Ce raté n’a guère à son actif qu’un divorce lamentable, la perte de son chat (Spitfire), et une certaine capacité d’écoute H 24 au service d’une assurance de Tourisme en ligne, dont les appels perturbent régulièrement son monologue.
  • Du coup, ce contraste est peut-être la raison pour laquelle Sir Winston, mort il est vrai depuis 1965, n’honorera pas l’invitation de son hôte, ce qui laisse libre cours aux divagations de ce dernier.

Points forts

  • La mise en regard de deux extrêmes structure la pièce et lui donne son intérêt : Gilles Cohen campe une sorte de “Jean-Claude Tergal“ (célèbre BD de Tronchet), en échec chronique à tous points de vue, qui s’entiche du personnage de Winston Churchill qui, lui, est entré pour toujours dans l’histoire.

  • Mais ce qui est intéressant, c’est précisément la manière dont l’un de ceux «  qui ne sont rien » (pour reprendre une formule présidentielle malencontreuse) va investir un personnage historique d’envergure mondiale, afin de compenser ses propres insuffisances. On retrouve là ce mécanisme de procuration qui relie les idoles à leurs idolâtres, qu’il s’agisse de politique, de sport, de musique, de cinéma, voire... de théâtre.

  • Le décor, fonctionnel, intègre des éléments d’archives (images, extraits de discours radiodiffusés) qui, à défaut d’être totalement originaux, sont pertinents dans l’économie générale de la pièce.

Quelques réserves

  • Elles tiennent pour l’essentiel à un texte un peu prévisible qui retrace la trajectoire du « bulldog » anglais, au moyen des plus connues de ses citations, appuyées sur le non moins célèbre poème de Rudyard Kipling (« Tu seras un homme, mon fils »)
  • Par ailleurs, était-ce propre à la représentation de ce soir-là, mais on a senti le comédien sensiblement en-deçà de ce qu’il est capable de donner au public : quand il est clair que Charles perd tout contact avec la réalité, l’emportement, le délire et la folie qui s’installent dans le monologue sont interprétés avec beaucoup de retenue.

Encore un mot...

  • Si les destinées des deux personnages sont aux antipodes l’une de l’autre, on ne saurait cependant bien déterminer lequel des deux est le plus mal parti dans la vie. En effet, Le Tellier rappelle à quel point le jeune Winston eut à souffrir de l’indifférence affective maternelle et du mépris affiché par son père, mort trop tôt pour mesurer le potentiel de sa progéniture. Ce passé extrêmement douloureux n’est pas pour rien dans les crises de dépression (appelées par lui « black dog ») ou la succion forcenée des cigares par Churchill devenu adulte.
  • On perçoit mieux la fonction conférée à l’admiration sans borne de Charles dans la phrase que ce dernier lui adresse : « Si vous, alcoolique et dépressif, avez sauvé le monde, alors tous les espoirs sont permis. "

Une phrase

Charles, évoquant son père lui disant : « Mon fils, fais ce que tu peux avec le peu que tu peux. »

Charles à Winston : «  Vous avez fumé 27 kilomètres de cigares ! Presque la distance entre la France et l’Angleterre... »

L'auteur

  • Mathématicien de formation, puis versé dans la linguistique, Le Tellier est devenu l’un des piliers de l’Oulipo depuis 1992, et lui a donné son Esthétique ainsi que divers “romans à contraintes“ depuis 2010.
  • C’est aussi un talent littéraire multicartes : chroniqueur (« des Papous dans la tête » sur France Culture, « Papiers de verre » au Monde), écrivain distingué par le prix Goncourt 2020 pour L’Anomalie (voir chronique infra), il adapte également certains textes au théâtre depuis 2011 (Les amnésiques n’ont rien vécu d’inoubliable) jusqu’à ce Dîner avec Winston (2019).

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