Vania

Un Tchekhov plus commun qu'universel
De
Anton Tchekhov
d'après Oncle Vania
Mise en scène
Julie Deliquet
Avec
Florence Viala, Laurent Stocker, Hervé Pierre, Stéphane Varupenne, Noam Morgenszten, Anna Cervinka, Dominique Blanc
Notre recommandation
3/5

Infos & réservation

Théâtre du Vieux-Colombier
21 rue du Vieux-Colombier
75006
Paris
01 44 39 87 00
Jusqu'au 6 novembre

Thème

Pour aller à l'essentiel: déchirements, soifs de bonheur, et inadaptations à la vie, dans une famille russe élargie, qui se retrouve à la campagne, augmentée d'un ami médecin.

Points forts

Au moment de rédiger cette chronique, nous sommes très partagés car nos impressions sont très contrastées. Commençons  par les points positifs:

1- C'est tout à fait louable de la part de Julie Deliquet d'avoir voulu nous montrer qu'au-delà de l'âme russe ce que Tchekov décrivait était universel, dans le temps et dans l'espace.

De ce point de vue, le fait de regrouper tous les personnages autour de ce qui pourrait être une immense table de réfectoire, de les habiller comme des individus lambda d'aujourd'hui et de les faire parler sur le ton et avec la vitesse d'aujourd'hui, le premier moment de surprise passé, remplit bien son oeuvre: oui, ce que dit Tchekhov exprime, avec la plus grande simplicité, ce que les uns et les autres nous portons en nous de plus profond.

La force d'expression de deux des principaux personnages, laminés par la vie, Oncle Vania et le médecin, n'en est que plus bouleversante.

Comme est superbement mise en valeur la lucidité des personnages vis à vis d'eux-mêmes. Telle la belle Elena, qui en arrive à dire: "je n'ai toujours été qu'une figurante".

2- La distribution et la direction d'acteurs sont admirables.

Mention toute spéciale à Laurent Stocker, dans le rôle de Vania, presque gênant de vérité, tant il nous met par moments en osmose avec son personnage. Il joue avec son corps tout entier de manière étonnante et profondément empathique. Dans la scène de colère, lorsqu'il apprend que son beau-frère veut vendre la propriété, pour la pérennité de laquelle il a sacrifié sa vie, il est époustouflant, bouleversant, au sens propre du terme. On en reste bouche bée.

3- La disposition scénique en bi-frontal, le public étant placé devant mais aussi derrière la scène, s'avère payante. On partage vraiment la vie des personnages avec les acteurs, d'autant que les comédiens sont donc remarquables.

4- Un moment très fort: les derniers mots de la pièce, quand la jeune Sophia, restée seule avec son oncle Vania, envisage son avenir: "Il faut vivre, dit-elle", avec pour seule perspective l'attente de l'au-delà où, répète-t-elle une dizaine de fois, 'nous nous reposerons, nous nous reposerons, nous nous reposerons..." On est pris à la gorge.

Quelques réserves

1- A force de vouloir universaliser le propos de Tchekhov, le dé-russifier, le dé-bourgeoisiser, Julie Deliquet en arrive à donner, parfois, à l'ensemble un côté petit-bourgeois, "popu", très commun. Or universel et commun, ce n'est pas la même chose... La pièce y gagne peut-être en force mais elle y perd en grâce.

                         Exemples:

                         - la première scène-choc où nombre de personnage sont avachis sur la table.

                         - la très belle Elena, en peignoir en mousse, élimé; et portant une sorte de bibi pour turfistes du PMU.

                         etc...

2- Nous n'avons pas encore compris ce que venait faire là la diffusion, amplement commentée, d'un long extrait d'un film de Dreyer qui casse complètement le rythme de l'action.

3- L'alcool prend ici une importance démesurée, y compris dans la gestuelle, ce qui contribue, entre autres, à rendre interminable la scène de la fin de nuit.

4- Enfin, nous aurions aimé que la si intense Dominique Blanc prenne bien plus de place dans le rôle de la mère de Vania.

Encore un mot...

1- Reste dans cette version, une grande partie de la magie de Tchekov, cette capacité à traduire par la musique des mots la complexité de nos vies. A exprimer l'essentiel des êtres et des vies à travers des petits riens et des silences. Avec, toujours, ce thème majeur: sommes-nous en mesure d'apprivoiser nos vies et de les conduire vraiment? Thekov n'a pas attendu Unamuno pour avoir un sens tragique de la vie...Avec Tchekov, même si leurs univers sociaux n'ont rien à voir, on est du côté de Racine et de Shakespeare: le triangle d'or.

2- On l'aura compris: malgré les réserves émises, nous considérons que cette version audacieuse mérite le respect. Mais on est quand même loin de la version d'"Oncle Vania", proposée début 2012 aux Théâtre des Amandiers à Nanterre par Alain Françon, la plus belle, sans doute, qu'il nous ait été donné de voir. Avec Françon il y avait, à la fois, la force et la grâce.Un très, très grand moment de théâtre que l'on porte en soi pour toujours.

Une phrase

"Avoir peur de la mort, je n'en ai plus la force".

L'auteur

"Oncle Vania" est l'une des quatre grandes pièces de Tchekhov montées par Stanislavski, au Théâtre d'Art de Moscou, durant les six dernières de la vie de l'écrivain: "La Mouette" (1898), "Oncle Vania" (1899), "Les Trois Soeurs (1901) et "La Cerisaie" (1904, année de la mort de Tchekhov, à 44 ans, des suites d'une tuberculose).

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