Edelweiss [France Fascisme]

Une pesante leçon d’histoire
De
Sylvain Creuzevault
Durée : 2h20 sans entracte
Mise en scène
Sylvain Creuzevault
Avec
Juliette Bialek, Valérie Dréville, Vladislav Galard, Pierre-Félix Gravière, Arthur Igual, Charlotte Issaly, Frédéric Noaille, Lucie Rouxel
Notre recommandation
2/5

Infos & réservation

Atelier Berthier-Odéon
1, rue André Suarès
75017
Paris
01 44 85 40 40
Jusqu’au 22 octobre. Du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h

Thème

  • La pièce, création aux Ateliers Berthier, évoque les aspects les plus marquants de la politique de collaboration de l’État français, mise en place au profit du IIIe Reich sous le régime de Vichy, sous l’autorité du maréchal Pétain et de Pierre Laval. Elle aborde également le “collaborationnisme“ parisien sous l’occupation allemande, à travers ses figures les plus emblématiques : écrivains, journalistes, propagandistes, chefs de partis politiques pronazis et miliciens.
  • Edelweiss traite aussi de l’engagement des résistants communistes, notamment le groupe Manouchian (FTP-MOI), jugé puis exécuté après jugement et désigné par la célèbre affiche rouge comme des « terroristes » à la solde de l’étranger. Le récit de l’attentat meurtrier du 28 septembre 1943 devant son domicile contre Julius Ritter, général SS en charge des prélèvements de main d’œuvre au profit du service du travail obligatoire (STO), rapporte le mode opératoire des résistants qui réussissent à “loger“ puis à assassiner leur cible sans l’avoir vraiment identifiée.
  • Ce récit à rebours débute par le procès d’épuration de Robert Brasillach, ce collaborationniste français jugé et condamné pour « intelligence avec l’ennemi » et exécuté à la Libération, et remonte aux débuts de l’Occupation, entrecoupé de références au Front Populaire, à la Révolution française ou, en sens inverse, aux déclarations politiques actuelles, notamment celles de Laurent Wauquier.

Points forts

  • Une troupe dans la tradition du théâtre, où les rôles masculins sont interprétés par des comédiennes, les unes et les autres jouant tour à tour plusieurs personnages. L’effet est déroutant dans un premier temps, puis jubilatoire.
  • Une mise en scène dépouillée, avec une économie louable d’effets spéciaux et un formidable jeu, dynamique et humoristique, des comédiens aux accents colorés.
  • Quelques trouvailles dans la mise en scène, comme le voyage en voiture de Laval et d’Abetz vers l’Allemagne, ou la formation au téléphone du “gouvernement de Miliciens“ début 1944.

Quelques réserves

  • Des personnages historiques, collaborationnistes et résistants FTP-MOI du groupe Manouchian, qui récitent leurs propres textes et du coup, parlent comme des livres... 
  • La tentation du documentaire didactique, appuyé par des développements explicatifs, donnent de véritables fiches de lecture débitées à toute vitesse : le spectateur non “affranchi“ n’y comprendra goutte. 
  • Les extraits d’archives historiques destinés à appuyer la véracité du propos produisent un effet inverse : ça sonne faux. Ce qui est vrai devient invraisemblable.
  • Le propos n’évite pas les clichés sur l’association entre homosexualité et engagement pro-hitlérien, mais ne donne aucune compréhension globale, tout en évacuant la complexité.
  • On n’échappe pas non plus aux scènes désormais incontournables, où les comédiens doivent déambuler et danser entièrement nus, sans aucune nécessité par rapport au propos. 

Encore un mot...

  • La tentation de tirer des leçons du passé pour y trouver des enseignements politiques pour le présent est rendue palpable par des effets de rupture dans une mise en scène se déroulant à plusieurs niveaux : devant et derrière le rideau. 
  • L’intention, louable, de nous prémunir du danger fasciste en prédisant son imminent retour ne saurait justifier une paresse d’écriture qui se contente de coudre ensemble – et avec coutures apparentes ! - des extraits d’écrits et discours de personnages (Robert Brasillach, Marcel Déat, Jacques Doriot, Pierre Drieu La Rochelle, Louis-Ferdinand Céline et la rédaction de Je suis Partout) ayant follement admiré Hitler et le nazisme, et porté aux nues le fascisme au point de succomber au mirage de « l’Europe nouvelle » promue par le IIIe Reich. 
  • Les scènes les mieux réussies sont celles qui se détachent du verbe historico-politique pour nous présenter Pierre Laval, Philippe Henriot, ou Joseph Darnand comme des pantins animés par des slogans de propagande et les hauts fonctionnaires nazis, Otto Abetz et autres Rudolf Schleier, Fritz Sauckel, Albert Speer, à l’accent absurde, caricaturés en robots aux ordres d’Hitler.

Une phrase

  • «  Oui, je suis un traître. Oui, j’ai été d’intelligence avec l’ennemi. J’ai apporté l’intelligence française à l’ennemi. Ce n’est pas ma faute si cet ennemi n’a pas été intelligent. […] Oui, je ne suis pas un patriote ordinaire, un nationaliste fermé : je suis un internationaliste. Je ne suis pas qu’un Français, je suis un Européen. […] Vous aussi vous l’êtes, sans le savoir ou le sachant. Mais nous avons joué, j’ai perdu. Je réclame la mort. »
    Pierre Drieu la Rochelle, Récit secret,  suivi de Journal (1944-1945) et d’Exorde (Gallimard, 1961)
  • « Pourquoi nous affirmions-nous fascistes ? Parce que nous avions pris en horreur la démocratie parlementaire, son hypocrisie, son impéritie, ses lâchetés. Parce que nous étions jeunes, que le fascisme représentait le mouvement, la révolution, l’avenir qu’il régnait, dès avant la guerre sur les deux tiers de l’Europe. »
    Lucien Rebatet, Les Mémoires d’un fasciste II (Pauvert, 1976)

L'auteur

  • Sylvain Creuzevault commence la mise en scène en 2003 avec le groupe dont il est cofondateur. Il crée Baal de Brecht dans le cadre du Festival d’Automne à Paris en 2006 (aux Ateliers Berthier de l'Odéon), puis monte en 2007 Le Père tralalère au Théâtre Studio d’Alfortville, et en 2009 Notre terreur à La Colline, deux spectacles où l’improvisation a une large part. 
  • Après avoir travaillé en Allemagne, Sylvain Creuzevault met notamment en scène en 2014 Le Capital et son Singe, autour de Marx, qu’il retrouve en 2018 avec Banquet Capital, et en 2016 Angelus Novus AntiFaust. La même année, il installe sa compagnie Le Singe à Eymoutiers dans le Limousin.
  • Artiste associé à l’Odéon-Théâtre de l’Europe depuis 2016, il consacre un cycle à Dostoïevski avec Les Démons en 2018,  Le Grand Inquisiteur en 2020 et Les Frères Karamazov en 2021. Cette même année, il fonde les “Conseils Arlequins, École du Parti” dont le travail de formation de l’acteur se développe autour du roman L’Esthétique de la résistance de Peter Weiss.
  • S. Creuzevault a déclaré, à propos d’Edelweiss : «  J’ai la sensation de travailler sur ce spectacle avec le procédé utilisé pour Notre Terreur [mis en scène en 2009], mais avec l’expérience de la fiction acquise auprès de Dostoïevski [mis en scène en 2018 et 2021] et Peter Weiss […] Nous n’avons gardé des personnes en question que le prénom : cela nous permet de les “fictionner“ […] En farçant ce qui peut être dramatique ou tragique, nous disons notre confiance dans le spectateur […] Parler du fascisme est aussi parler de l’anti-fascisme. » (La Terrasse, sept. 2023, p.6)

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