Extinction

De
Thomas Bernhard
Réalisation de Blandine Masson et Alain Françon
Avec
Lu par Serge Merlin
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Théâtre de l'Oeuvre
55, rue de Clichy
75009
Paris
01 44 53 88 88
Jusqu'au 24 juin

Thème

Le narrateur, Franz-Josef Murau, est le mal-aimé de sa famille autrichienne à laquelle il voue une haine enragée. Il vit à Rome où il reçoit un jour un télégramme de ses sœurs, lui annonçant la mort accidentelle de ses parents et son frère, héritier légitime de la propriété familiale de Wolfsegg. Il doit se rendre à Wolfsegg pour l’enterrement alors qu’il s’était juré de ne plus jamais retourner chez « les siens ». Commence alors ce monologue bernhardien, cette « extinction » du passé, du présent et même du futur, puisque, à la consternation de son entourage, il lèguera l’immense domaine « et toutes ses dépendances » à son ami de jeunesse et « frère spirituel », Eisenberg, rabbin de la communauté israélite de Vienne. Si on connaît un peu la vie de Thomas Bernhard, on voit bien qu’Extinction (son dernier roman, publié en 1986) est une œuvre autobiographique dans laquelle surgissent frustrations d’enfance (on reconnaîtra le parallèle entre son grand-père tant aimé et l’oncle Georg du roman) et dégoût de la bonne société aisée et du national-socialisme. Même si, comme il le dit lui-même, il affectionne l’exagération…

Points forts

- Cette mise en scène de Blandine Masson et Alain Françon avait déjà fait ses preuves puisque Extinction a été lu par le même Serge Merlin en 2010 au Théâtre de la Madeleine et en 2012 au Théâtre de la Ville. Il s’agit donc d’une reprise, mais elle conserve toute sa force. - Serge Merlin incarne littéralement Thomas Bernhard et nous emmène au plus profond des états d’âme du narrateur, passant de la résignation à la révolte colérique sur un ton absolument convaincant. Il a même par moments le « souffle court », celui du Thomas Bernhard, aux poumons fragiles… - La lecture n’est jamais ennuyeuse, malgré le style « litanique » de l’auteur, et les réalisateurs ont eu la bonne idée de l’entrecouper d’enregistrements où l’on reconnaît la voix de Serge Merlin, mais où celui-ci devient soudain auditeur de son propre récit.

Quelques réserves

Si on a lu et aimé le roman Extinction mais qu’on n’en n’a jamais vu la transposition au théâtre, on ne peut s’empêcher de faire des comparaisons… Le Franz Josef Murau d’Extinction avait peut-être une quarantaine d’années… Or, Serge Merlin est, à un an près, contemporain de l’auteur. On doit donc oublier le personnage de Murau, car c’est Thomas Bernhard qui parle… - Pour des raisons de longueur, évidemment, les réalisateurs ont dû procéder à des coupes dans le texte. Ainsi, certaines descriptions de la famille de Murau, de son milieu, du fameux l’archevêque dont sa mère était la maîtresse, de la vie à Wolfsegg, notamment au cours des funérailles, sont malheureusement absentes du récit. L’adaptation a préféré mettre l’accent sur la rage de Murau à l’égard des positions politiques de l’Autriche et de la complaisance de sa propre famille envers le régime nazi.

Encore un mot...

C’est une pièce où les vrais amateurs de littérature ne peuvent que se régaler. On a souvent comparé Bernhard à Proust et pas seulement pour le style. Et vive Serge Merlin qui nous le fait vivre pendant 80 minutes !

Une phrase

« Si nous n’avions pas notre art de l’exagération, nous serions condamnés à une vie atrocement ennuyeuse, à une existence qui ne vaudrait même pas la peine qu’on existe. (…) L’art d’exagérer est à mon sens l’art de surmonter l’existence », dit Thomas Bernhard par la bouche de son personnage.

L'auteur

Poète dans sa jeunesse, puis dramaturge et romancier, Thomas Bernhard (1931-1989) est sans doute l’écrivain autrichien le plus important de sa génération et l’un des plus grands écrivains de langue allemande, traduit en plus de 40 langues. Il connaît son premier succès littéraire avec la publication de son roman Gel, en 1963. Misanthrope et provocateur, il exprimera tout au long de son œuvre sa rage anticonformiste en prenant systématiquement le contre-pied de ce qu’on attend de lui, quitte à se dédire... Il vit une enfance malheureuse, marquée par une maladie pulmonaire dont il ne se remettra jamais. Fils naturel de Herta Bernhard, ses seuls souvenirs heureux seront liés à son grand-père maternel, l’écrivain Johannes Freumbichler, qui lui témoignera de l’intérêt et de l’affection, notamment en le sensibilisant à la musique. Refusant toute sa vie les honneurs de l’establishment autrichien pour lequel il nourrit une véritable exécration, il provoquera moult scandales en mettant en cause l’Etat autrichien et la culture autrichienne marqués par le national-socialisme et le catholicisme.. On pourrait dire que l’œuvre littéraire et dramaturgique de Thomas Bernhard est un règlement de comptes avec sa jeunesse et avec son pays. C'est un univers sombre et cynique que celui de Thomas Bernhard, mais servi par une écriture remarquable, quasi musicale, où l’auteur manie les phrases répétitives, obsessionnelles et envoûtantes, chargées de douleur et de colère. Mais d’humour sur lui-même aussi. Incontournable Thomas Bernhard...

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Un grand texte servi par un remarquable comédien.

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