La Messe Là-bas

La Messe est dite
De
Paul Claudel
Conception : Didier Sandre
Avec
Didier Sandre
Notre recommandation
5/5

Infos & réservation

Studio Théâtre (Comédie Française)
Galerie du Carrousel du Louvre. Place de la Pyramide inversée. 99 rue de Rivoli
75001
Paris
01 44 58 15 15
Jusqu’au 25 juin, du mercredi au dimanche à 18 h30

Thème

  • Un homme seul - disons qu’il s’agit de Claudel lui-même - contemple la baie de Rio et médite à voix haute. En une douzaine de tableaux qui sont à peu près ceux de la messe de Pie V, il évoque sa cinquantaine vaguement amère, un mariage et des enfants lointains, des amours évanouies, une vie de fuite et la déréliction de l’exil, la perte et le deuil, sa conversion, Rimbaud assez longuement, la guerre affreuse qui ravage l’Europe et, enveloppant tout ceci, son rapport à Dieu qu’il apostrophe, supplie, mais à qui il redit inlassablement son inconditionnelle et orgueilleuse foi, parce que « la fonction de tout être (…) est de croire ».
  • Un Dieu dont il joue le rôle parfois aussi, à qui il prête ses mots pour dire à la fois sa toute puissance et sa toute présence : « Pour ne pas me préférer il aurait fallu ne pas me connaître ». 
  • Le spectacle se présente comme une longue prière partagée, une liturgie, une eucharistie séculière.

Points forts

  • La performance de Didier Sandre, qui a choisi de vivre et de partager sur la scène intime du Studio Théâtre ce journal ou cette messe en exil, est plus qu’habitée. Tout de noir vêtu et pieds nus, il porte les mots de Claudel en réussissant à mêler l’intériorité et la distance et en donnant à ce poème rimé la fluidité de la prose sans en entamer la texture poétique. Il a reçu pour ce spectacle le prix du meilleur comédien du Syndicat de la critique en 2021.
  • L’adéquation du décor et du texte est parfaite qui, sans figurer platement une église, l’évoque cependant ou propose une sorte de chapelle ardente, avec ses trois panneaux derrière lesquels brille parfois une lumière de vitrail, son pupitre qui rappelle à quel point cette religion a partie liée avec le livre, des éclairages subtils et ces tabourets qui, empilés les uns sur les autres, se transforment par instant en chaire. 
  • Le texte est d’une indéniable beauté : on découvre, pour qui connaissait surtout l’œuvre dramatique, un Claudel introspectif, resserré, plein d’amertume et de joie, plein d’espoir parce que, tout de même, « le Verbe s’est fait chair »…Les mots de la foi mis en scènes par ces protestants que sont les trois principaux artisans de ce spectacle sont lumineux et touchent.

Quelques réserves

  • On peut ne pas aimer Claudel : ce mélange de poésie raffinée et terrienne, de lyrisme sans retenue, de commentaire méditatif de l’Ecriture et d’interrogation sur ce que croire veut dire. On peut ne voir en lui qu’un nostalgique du XIXe siècle égaré au XXe. 
  • On peut encore préférer le dramaturge au poète et ne pas le suivre sur le terrain de l’introspection.

Encore un mot...

  • Que la messe catholique, et particulièrement depuis la Contre-réforme, soit un spectacle on le savait. Didier Sandre prend littéralement au mot ce rapprochement pour faire du poème rimé de Claudel un moment de théâtre d’une éblouissante densité, une heure précieuse et inoubliable de recueillement ponctué de sourires et d’éclats d’émotion.
  • C’est pourquoi réduire ce spectacle à un moment de poésie religieuse serait passer à côté de l’essentiel d’un texte qui précipite tant de questions existentielles pouvant traverser un être humain, qu’il soit croyant ou non, et qui témoigne de tant d’expériences partagées : l’inéluctable changement du monde, la finitude des choses et de l’existence humaine, l’amour tout simplement car « il n’y a pas deux amours ».

Une phrase

« Quand l’être que nous aimons disparaît, ce n’est pas lui qui meurt seulement, c’est ce monde habituel qui fane, et qui perd pour nous sens et saveur ; lui, pour nous rendre ce que sa perte révèle et ce que sa présence nous cachait, ce ne serait pas assez pour nous qu’il revînt tel qu’il était. »

L'auteur

  • Ce texte a été écrit en 1917 par Claudel, alors qu’il était ambassadeur à Rio de Janeiro. A cette date il a déjà écrit  une bonne partie de son œuvre théâtrale : Tête d’Or, l’Echange, Partage de midi. 
  • Converti au catholicisme depuis la nuit de Noel 1886, Claudel aura passé son existence à s’évangéliser lui-même, témoignant par une œuvre énorme et radicalement originale, de dramaturge, de poète et d’essayiste d’une foi tumultueuse et tourmentée par le conflit qui l’habite entre l’impérieux désir de la chair et l’esprit qui appelle à la transfiguration. 
  • Ce spectacle a été créé le 30 septembre 202O au Studio-Théâtre, et repris depuis le 7 juin 2023.

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