LA NOCE

Tout est bien qui finit mal ...
De
Bertold Brecht
Traduction : Magali Rigaill
Mise en scène
Olivier Mellor
Avec
Emmanuel Bordier, Fanny Balesdent, Francois Decayeux, Remi Pous, Francoise Gazio, Marie Laure Boggio, Marie Beatrice Dardenne, Stephen Szekely, Denis Verbecelte Musiciens : Romain Dubuis, Séverin Jeanniard, Olivier Mellor
Notre recommandation
3/5

Infos & réservation

Théâtre de l’Epée de Bois (Cartoucherie de Vincennes)
Route du Champ de Manoeuvre
75012
Paris
01 48 08 39 74
du 7 au 31 octobre 2021

Thème

• Munich1919. Nous sommes à la noce, et c’est la fête chez ce groupe de petits bourgeois (de l’époque) allemands au lendemain de la déroute de 1918, quasiment à la naissance de la République de Weimar. Nous assistons au banquet offert par les jeunes mariés à la famille et à quelques intimes. 

• Dehors, le sentiment d’une défaite cruelle et injuste domine, l’inflation et le chômage de masse sapent les fondements de la société. Mais ce soir, on est là pour s’amuser ! D’entrée de jeu, une table (imposante) est dressée, présidée par « le père » de la mariée, blessé de guerre dans son uniforme rutilant, racontant des souvenirs incohérents que personne n’écoute… et on boit, on boit beaucoup en attendant la mère du marié,  acariâtre et un brin jalouse, qui apporte le plat de fête, le ca-bi-llaud ! Dès lors, tout tourne alors autour du poisson : « Et il est comment mon cabillaud ? » éructe la mère. 

• On se régale en effet… et dans tous les sens du terme : les convives sont pittoresques, il y a de la musique (un orchestre de jazz, s’il vous plait !) ; on dansera aussi, plus tard. On rit beaucoup, on boit encore plus. Ici, un jeune couple chahute, là, une jeune femme minaude, le copain du marié, extraordinaire danseur fait le clown. L’ambiance est au top. On complimente les nouveaux époux sur le mobilier, la déco, entièrement fabriqués de la main du marié : ça a l’air solide, c’est de bonne facture ; on applaudit, on chante et on danse. 

• Puis, inexorablement le ton monte, les reproches fusent, les esprits s’échauffent, la jalousie et de mauvais sentiments s’immiscent insensiblement et bientôt, patatras ! Une première chaise explose, puis une autre, le canapé s’effondre, la table (qui n’avait que trois pieds) s’écroule , et tout à l’avenant jusqu’à l’armoire, orgueil du mari, apprenti artisan, qui s’étale lamentablement en cinq panneaux. La belle harmonie s’est envolée, les bons sentiments avec. La mariée est désespérée, le mari humilié... adieu les invités, la farce est jouée. Mais peut être la nuit de noces les sauvera-t-elle du naufrage ?

Points forts

• Au premier coup d’œil : un premier tableau saisissant, un banquet animé, des personnages tranchés et bien campés, une ambiance populaire et bon enfant. La noce démarre très fort.

• L’interprétation remarquable du rôle de l’ami du marié par François Decayeux, épatant en grande gueule grandiloquente, danseur clownesque, dragueur grotesque, chanteur genre Philippe Clay dans la goualante du pauvre Jean.

• Une mise en scène spectaculaire : un ensemble vivant, un rebondissement inattendu avec des effets sonores très spéciaux et toujours surprenants, des séquences digne des meilleurs gags et grinçantes, et pourtant génératrices d’émotion. Même les meubles se révèlent excellents comédiens !

Quelques réserves

• Peu nombreuses mais sérieuses : un mot sur trois échappe à un entendement moyen : mauvaise acoustique ou problème de diction chez certains interprètes ? 

• La scène est vaste et les personnages sont nombreux il est vrai mais surtout trop souvent dominés par un orchestre (de jazz, d’où un décalage anachronique, à notre avis inadapté) beaucoup trop envahissant.

• Quelques longueurs. Les meilleures plaisanteries sont les plus courtes.

Encore un mot...

• Il faut avoir en tête les débuts calamiteux de la République de Weimar (1919-1933) pour comprendre le climat de déliquescence et l’ambiance délétère qui agitent l’Allemagne et nourrissent la sensibilité de l’auteur. 

• Entre l’écriture de la pièce et sa représentation, l’Allemagne aura connu le Putsch de la Brasserie à Munich justement, et vu la rédaction de Mein Kampf par Hitler en captivité. Cet ouvrage servira de bréviaire pour les futurs hauts dignitaires du régime en gestation, qui sont déjà à la manœuvre, d’autant que le peuple, assommé mais revanchard, est à prendre, et bientôt le pouvoir avec lui. 

• Brecht pressent tout cela, et dénonce à l’aube de la République de Weimar la vanité de l’homme et la décadence des mœurs, avec cette ironie mordante qui culminera dans son Opéra de quatre sous (1928). Deux ans après, il opte pour le communisme et fuit l’Allemagne et les persécutions nazies en 1933.

Une phrase

La mère : « C’est le cabillaud ! »                                                  
Le père : « Ça me rappelle quelque chose... »                                 
La mariée : « Mange donc, Père, tu es toujours à la traîne ! »           
Le père : « L’histoire, quand même, feu ton oncle qui, à ma confirmation, mais c’est une autre histoire, bref nous mangions du poisson quand, d’un seul coup, il s’est étranglé, les mauvaises arêtes, faites bien attention, il s’est étranglé donc et il a commencé à ramer des mains et des pieds. »                             
La mère : « Jacob, prends le bout de la queue. »

L'auteur

• Bertolt Brecht a 21 ans quand il écrit les premières lignes de cette pièce en un acte. Il est attablé au bistrot en écoutant discrètement un monsieur racontant une histoire de noce (véridique). Il réalise qu’il manque quelque chose à cette histoire vraie : le sens du ridicule, la dérision, le décalage et l’immense critique des conventions sociales après la défaite. Le titre initial était la Noce chez les petits bourgeois. Cette première œuvre marque l’entrée en scène prémonitoire et spectaculaire du grand dramaturge. Écrite en 1919-1920, elle ne sera jouée en Allemagne qu’en 1926 et fera scandale. En effet, 

• Brecht, qui écrit depuis l’âge de 16 ans, rencontre le vrai succès avec son Opéra de Quatre Sous - l’opéra des ombres (et des pauvres) - qui lui permettra l’expérimentation de son concept théâtral de « distanciation » : aucune identification, juste le divertissement, le théâtre devant permettre une prise de conscience, un état d’esprit critique, voire moqueur. 

• Fuyant l’Allemagne, nazie, Brecht finit par se réfugier aux États Unis pendant la Seconde Guerre mondiale et écrira en Californie une grande partie de son œuvre (Mère courage et ses enfants, La Vie de Galilée, La Résistible Ascension d’Arturo Ui, le Cercle de Craie Caucasien)… Il travaillera avec Fritz Lang sur le scénario de Les Bourreaux meurent aussi, qui retrace l’exécution de Heydrich par un commando de résistants.

•  Ses opinions communistes, dénoncées durant le maccarthysme le contraindront à quitter les États Unis pour la RDA, où il fondera avec sa femme le Berliner Ensemble et se montre très critique vis-à-vis d’un régime qui réprime durement la révolte ouvrière de juin 1953. Naturalisé autrichien, il décède en1956, à 54 ans.

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