La Visite de la vieille dame

De
Friedrich Dürrenmatt
Mise en scène
Christophe Lidon
Avec
Danièle Lebrun, Samuel Labarthe, Yves Gasc, Simon Eine, Gérard Giroudon, Michel Favory, Christian Blanc, Céline Samie, Christian Gonon.
Notre recommandation
5/5

Infos & réservation

Comédie-Française, Salle du Vieux-Colombier
21 rue du Vieux-Colombier
75006
Paris
01.44.39.87.00
Jusqu'au 30 mars 2014

Thème

C'est l'histoire d'une vengeance méthodiquement préparée. Une vieille dame richissime revient dans le village de son enfance, tombé dans la misère, et qu'elle n'accepte de couvrir princièrement de son argent que s'il lui sacrifie la vie de l'homme qui, dans sa jeunesse, l'a séduite et abandonnée, et qui est désormais l'épicier de ce village, notable respecté. 
Après un bref réflexe d'honneur, tout va petit à petit se dérégler, dans un impressionnant festival de médiocrité et de turpitudes.

Points forts

A Le texte:
   1 Le portrait de l'acharnement de la vieille dame dans la destruction est d'autant plus marquant qu'elle a donc été elle-même, jeune femme, victime pitoyable de l'hypocrisie générale et du culte des apparences. Elle se sent ainsi le droit de se venger, au nom de l'amour vécu et trahi, qui lui a pourri le coeur. Comme elle le dit: "mon amour est devenu comme quelque chose de mauvais".

      Et même si, dans les deux occasions où elle se retrouve seule avec ce grand amour de sa vie l'émotion est intense, trop tard, elle aussi est emportée par le destin qu'elle a forgé. Comme Dürrenmatt le  lui fait dire, avant même le dénouement: "Maintenant, l'avenir a eu lieu".
   2 Quant à son séducteur, devenu notable, il y a quelque chose de pathétique dans sa prise de conscience progressive de sa mise à mort inéluctable et surtout dans la manière dont se développe progressivement en lui un sentiment de culpabilité qui va le faire accepter avec infiniment de dignité -c'est bien la seule véritable expression de grandeur dans cet univers de médiocrité et de bassesse- sa mort programmée.
   3 C'est impressionnant de voir ce village présenté comme une sorte d'être en soi, avec sa logique de rouleau compresseur. Pas un notable pour rattraper l'autre, même si le proviseur, le pasteur et le médecin sont moins rapides que le maire et le commissaire de police à se laisser dominer par la tentation de l'argent. Sous les oripeaux de la bien-pensance la morale est partout en perdition.
      On reste interloqué devant cette description du pourrissement d'une communauté, qui tient absolument à s'enfoncer pavillon haut, si j'ose dire, dans le fumier.
   4 Et puis il y a , de manière extraordinaire, ces moments de grâce, je dirai presque d'innocence, quand les amants de jeunesse se rencontrent, presqu'à la fin, dans le bois de leurs souvenirs, parenthèse désespérante dans la réalisation de tous ces destins.

B La mise en scène
Je ne suis pas d'accord en cela avec tout le monde mais, personnellement, je suis reconnaissant à Christophe Lidon d'être resté sobre dans sa mise en perspective scénique, de ne pas être allé vers un côté tréteaux de foire qui aurait dilué le message, très fort, sur la médiocrité mais aussi sur la misère humaine parfois, dans un aspect farces et attrapes.

C L'interprétation
Les comédiens sont remarquables. On retrouve ici quelques uns des grands noms de la Comédie-Française d'aujourd'hui: Yves Gasc, Simon Eine, Gérard Giroudon, Michel Favory; et le nouveau venu dans la troupe, Didier Sandre, exceptionnel dans son interprétation, très au second degré, du rôle du pasteur, assez rapidement dépassé par les événements.
Et puis, il y a, époustouflants, j'ose le dire, dans les deux rôles principaux, deux des recrues de L'Administratrice Générale, Muriel Mayette-Holz:
  -Danièle Lebrun, revenue au bercail en avril 2011, est formidable de drôlerie assassine, de truculence, de vitalité, d'intelligence des êtres et des situations dans le rôle de cette jeune femme aimante et délaissée, devenue putain avant d'épouser un homme richissime et de programmer alors un retour fracassant au village. A chaque instant, elle joue juste.
  - Samuel Labarthe, entré dans la Grande Maison en septembre 2012, est extraordinaire d'intensité, de maîtrise dans le rôle de cet épicier notable appelé à devenir maire du village et qui se voit tout à coup conduit à la mort, à travers une mécanique infernale dont il perçoit assez bien les rouages. Il faut l'entendre dire: "J'ai peur!".
  - Et les deux tête-à-tête entre ces deux personnages qui se sont profondément aimés sont animés par une émotion aussi intense que digne. Bravo les artistes! On se prend à rêver à ce qu'aurait pu être leur vie...

Quelques réserves

1 C'est à de rares moments, un peu long. Ou un peu lent?
2 Si vous êtes allergique à un côté démesure délibérée, proche du conte, ce n'est pas une pièce pour vous. Ceci étant, vous pouvez être embarqué... 

Encore un mot...

1 Hasard de la programmation théâtrale: à très peu de distance se seront donc trouvés à l'affiche cette "Vieille Dame..." et, présenté au Théâtre de la Colline, "Le Canard Sauvage", d'Ibsen. Deux grands textes sur les aléas et les  hypocrisies, éventuelles et destructrices, de la bonne conscience.

2 La pièce de Dürrenmatt se termine par un message terrible, celui de la femme de l'épicier, qui a voté sa mort: pour échapper à la misère, tout est bon. Autrement dit, du moins c'est ainsi que je l'ai perçu, aucun principe ne peut prévaloir par rapport à cet objectif vital. A partir de là, homo homini lupus...
 

L'auteur

Créée en 1956, "La Visite de la Vieille dame" est la pièce la plus célèbre de Friedrich Dürrenmatt. A la fois peintre, romancier, essayiste, auteur dramatique suisse d'expression allemande, Dürrenmatt  porte un regard très sombre sur la société des lendemains de la seconde guerre mondiale et, plus généralement, sur la nature humaine.
Illustration de ce regard, ce mot de "l'héroïne" de la pièce: "Le monde a fait de moi une putain, et maintenant j'en fais un bordel".
Le théâtre de Dürrenmatt est un théâtre très créatif qui mêle les genres de façon délibérée. Avec lui, on rit beaucoup des choses les plus graves.

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