L’Antichambre

Une révolution de salon
De
Jean-Claude Brisville
Mise en scène
Tristan Le Doze
Avec
Rémy Jouvin, Marguerite Mousset, Céline Yvon.
Notre recommandation
3/5

Infos & réservation

Théâtre du Ranelag
5, rue des Vignes
75016
Paris
01 42 88 64 44
Jusqu'au 14 janvier, du jeudi au samedi à 19h, dimanche à 15h

Thème

  • Toute la pièce se déroule dans l’antichambre du salon de la marquise du Deffand, où “l’esprit des Lumières“ brille de tous ses feux. La marquise, qui commence à  perdre la vue, prend pour lectrice et sous sa protection Julie de Lespinasse, jeune fille « née de la main gauche » que son frère n’a pas jugé bon de reconnaître. 
  • En ce milieu du XVIIIe siècle, le salon de Mme du Deffand est l’un des plus réputés de la capitale, et son animatrice jouit d’un respect et d’une influence conséquents, comme ne cesse de le lui rappeler son plus proche ami, le vieux président Hénault. 
  • De son côté, Julie prend ses aises au milieu d’une société relevée, où l’on croise rien moins que Jean le Rond d’Alembert, Turgot, et même Diderot. La marquise n’entend cependant pas laisser les coudées trop franches à la jeune Lespinasse, et bientôt la défiance succède à la bienveillance, une évolution dont les enjeux vont bien au-delà d’une simple rivalité entre femmes d’esprit et de caractère ...

Points forts

  • Une pièce très bien écrite, avec finesse, dans le respect de la langue du temps, et qui brasse des thématiques non négligeables, comme par exemple :
    • le statut de ces enfants « nés de la main gauche », bâtards souvent non reconnus, qui pullulent dans diverses strates de la noblesse : celles (Julie de Lespinasse) ou ceux (d’Alembert) qui portent cette “tache“ peuvent s’en servir comme d’un aiguillon, car la bâtardise nécessite des talents supérieurs pour être, sinon effacée, du moins compensée ;
    • la formation « de l’opinion » au sein des élites dans le cadre des salons, ces cercles de sociabilité intellectuels, où le courant des Lumières a pu s’épanouir au cours du XVIIIe siècle en France ;
    • la remise en cause d’une élite pour laquelle la naissance tient lieu de dignité, puisque c’est largement dans les salons (mais aussi dans les académies et les cercles savants) qu’est fomentée la révolte intellectuelle contre l’absolutisme de droit divin par la critique systématique et impitoyable de tous ses fondements.
  • Les amateurs du « beau XVIIIe siècle » se plairont à retrouver des causes qui mobilisèrent l’opinion éclairée à l’époque : 
    • l’affaire Calas bien sûr, qui servit de matrice pour l’engagement des intellectuels ultérieurement (Zola prenant la place de Voltaire, et Dreyfus celle de Calas) ;
    • le bouleversement que représenta la publication de L’Encyclopédie de Diderot, et la querelle autour de sa censure par le pouvoir royal.
  • Deux comédiens chevronnés et complices, qui s’y entendent pour camper avec brio chacun leur rôle : 
    • un Rémy Jouvin qui cabotine un peu, mais dont la diction et la voix “à la Claude Piéplu“ sont irrésistibles, et lui assurent une vraie présence ; 
    • Céline Yvon, quant à elle, se montre souveraine dans le rôle de cette maîtresse-femme qui tient salon et lutte pour continuer de le faire selon les principes dépassés d’une époque révolue.
  • Le public sera ravi d’assister à cette passe d’armes à fleurets mouchetés dans ce théâtre du Ranelagh, magnifique salle toute en boiseries qui fut d’abord un cinéma de quartier (chic) ayant cependant accueilli quelques enregistrements de la mythique Dernière séance présentée par Eddy « Schmoll » Mitchell…

Quelques réserves

  • Un décor archi-minimaliste (madame de Deffand verserait-elle dans le jansénisme ?) et une mise en scène extrêmement statique, même si les rôles d’une marquise devenant aveugle et d’un président Hénault arthritique induisent des contraintes qu’on ne saurait ignorer…

Encore un mot...

  • Cette pièce nous fait passer d’un salon l’autre, et nous en apprend sur ce monde, qui ne fut pas simplement le lieu des clabauderies en tout genre. Au fil du temps, ces cénacles, où se mêlent (et parfois se conjuguent) la naissance (haute noblesse) et les « talents » (scientifiques, littéraires, artistiques), semblent avoir pris le pas sur la Cour de Versailles comme lieu d’influence et de formation de l’opinion. 
  • De la même manière, L’Antichambre montre bien l’évolution desdits salons, dont les codes vont et doivent changer : de lieux où devaient prévaloir l’aimable discussion dans le respect des convenances - sans nulle dispute ni « entretien particulier » hors la discussion générale - ils deviennent au fil du siècle les cadres de la confrontation des idées, où les intelligences rivalisent parfois en dehors des règles de la bienséance, ce qui en fait presque des tribunes où la pensée prévaut désormais sur ce « bel esprit » (déjà brocardé par Patrice Leconte dans Ridicule, l’un de ses meilleurs films).
  • Enfin, il n’est pas interdit de faire le rapprochement avec notre époque, notamment en ce qui concerne l’incapacité de ce qui se donne comme une élite (politique, sociale, administrative et intellectuelle) à saisir les nouveaux paradigmes, sans pour autant renoncer à son rôle dirigeant …

Une phrase

  • La marquise [au Président Hénault, somnolent] : « Si le Pape me sanctifie un jour, je le devrai à notre conversation, mon ami… »
  • La même [défendant l’absolutisme devant Julie de Lespinasse] : « Les hommes craignent en secret de décider eux-mêmes. »

L'auteur

  • Dramaturge, scénariste, romancier, essayiste, auteur de contes, Jean-Claude Brisville (1922- 2014) a d’abord été journaliste, puis critique littéraire et secrétaire d’Albert Camus à qui il consacra une étude. Il travaille aux éditions Hachette et chez Julliard, puis devient directeur du Livre de Poche en 1976. De cette expérience éditoriale, il tire en 1982 une pièce de théâtre, Le Fauteuil à bascule.

  • Brisville devient vite un spécialiste de pièces “historiques“ sous forme de rencontres au sommet : en 1985, il écrit L’Entretien de M. Descartes et de M. Pascal le jeune, et surtout en 1989, Le Souper, porté à l’écran par Edouard Molinaro et triomphant sur scène avec le duo des “deux Claude“ (Brasseur et Rich), avant que Mesguich père et fils ne prennent la relève. 
  • Il reçoit le Grand Prix de l’Académie Française pour l’ensemble de son œuvre.
 Egalement scénariste, il est à l’origine de l’adaptation télévisuelle du Beau ténébreux de son ami Julien Gracq, et participe à l’écriture de Beaumarchais, l’insolent, un film d’Edouard Molinaro, avec Fabrice Lucchini. 
  • L’Antichambre est créée pour la première fois en 1991 au Théâtre de l’Atelier, avec Suzanne FLON et Henri Virlogeux, dans une mise en scène de Jean-Pierre Miquel, le même qui avait créé Le Fauteuil à bascule pour le théâtre.

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