
Odile lave le linge des autres
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Thème
Odile qui approche des 80 ans raconte 50 années de sa vie, entre 1938 (date à laquelle elle fête ses 18 ans) et 1998. Cinquante années de mutations rapides et profondes de la société française et de choix personnels qui la mènent d’un lavoir de campagne à la possession d’un Lavomatic à Paris, en passant par un emploi chez une femme riche et cultivée, « très active dans un groupe féministe. »
C’est donc 50 ans d’histoire qui nous sont contés au fil d’un récit émaillé de chansons célèbres. Sont abordées tour à tour la prégnance de l’esprit religieux dans les campagnes de l’entre-deux-guerres, la nécessité de travailler dès après le certificat d’étude, les abus sexuels dont sont victimes les ouvrières, les filles entretenues, le sang, celui des règles et celui de la guerre, la Résistance, les femmes tondues de la Libération, le droit de vote, la lecture du Deuxième sexe, les caves de St Germain des prés, les premières machines à laver, la persistance des impératifs sociaux concernant la pureté des jeunes filles, le « grand silence de l’inceste », Gisèle Halimi et le Manifeste des 343 salopes, la loi Veil, la dépénalisation de l’adultère féminin et le divorce par consentement mutuel, les célibataires qui continuent de donner leur linge à laver à leur maman, les contes de fée qui bercent les petites filles d’illusions, le consentement… Tout est dit ou presque en somme de cette longue histoire des femmes et du féminisme.
Points forts
L’intention est louable, et les rappels historiques de ce que furent la situation sociale des femmes et leurs combats ne sont pas vains.
Quelques jolies formules - « moi je travaille cul bas, mais tête haute » - et l’évocation (rare) d’une tentation : revenir en arrière pour croire encore aux contes de fée et à la possibilité d’un amour qui dure. Cette sincérité-là est rare et donc précieuse. Et elle rend compte du caractère éminemment sympathique de ce spectacle au cours duquel le public entonne avec l’interprète quelques couplets de chansons et acquiesce avec ferveur à ses remarques malicieuses.
Quelques réserves
Malgré l’abondance d’informations dont il est tissé, le texte manque de relief et mêle trop de choses pour ne pas créer une certaine confusion. Du lavoir de campagne à l’appel à combattre « l’ombre portée de l’oppression » que subissent les femmes, la continuité n’a rien d’évident. Les « combats de femmes » ne suffisent pas à conférer une vraie cohérence à un récit qui n’échappe d’ailleurs pas toujours aux stéréotypes de genre (“l’instinct maternel“ des femmes-infirmières !).
La pièce n’offre pas de véritable densité dans la construction dramaturgique du spectacle, car quelque chose ne fonctionne pas dans l’articulation de l’histoire singulière et intime avec l’histoire collective et publique.
La diction de l’interprète, rapide et souvent précipitée, est parfois embarrassée : les mots, sont comme avalés, y compris dans les chansons un peu poussives, et dont la présence ne semble pas vraiment justifiée.
Le ton est celui de la comédie, mais l’enjouement de la comédienne ne dissimule pas le manque d’allant et finalement d’émotion qui caractérise cette “leçon“ de féminisme élémentaire.
Encore un mot...
Le féminisme qui se déploie ici est historique c’est-à-dire “daté“. Martine Ladoire-Tornil rappelle avec raison que tant que les hommes ne seront pas capables de s’occuper de leur linge sale, les choses n’avanceront guère.
Mais en affirmant également qu’il faut être « main dans la main avec les hommes », en appelant à la réconciliation avec « les frangins », son propos sonne aussi comme un appel à la modération un peu gênant, surtout à l’heure où tant de questions ne sont pas réglées, qu’il s’agisse de la persistance des inégalités salariales, des violences conjugales ou de la montée en puissance d’un masculinisme qui flirte souvent avec le pire conservatisme chez bien des “influenceurs“.
Une phrase
« Nous, les femmes travaillant dans les lavoirs, on savait garder la tête haute, contrairement aux filles des usines sur lesquelles les patrons avaient le droit de cuissage, et qui devaient coucher avec les contremaîtres pour se faire embaucher. »
« Nos politiques pourront épingler des croix de guerre sur des uniformes parfaitement propres sans se salir les mains. »
« Ensemble, lançons dans le vent nos jupes, nos foulards comme des étendards. Que, main dans la main, ensemble, nous les femmes, vous les hommes, nous jetions tous les préjugés qui nous empêchent d'aimer, qui nous privent d'amitié. Voilà le combat. »
L'auteur
Directrice artistique de la compagnie des Arceaux et du théâtre de l'Éperon à Angoulême, Martine Ladoire-Tornil est dramaturge, comédienne, metteuse en scène et chorégraphe.
Elle est notamment l’autrice de Jours de lessive, une pièce qu’elle a jouée à Angoulême avec Marthe Felten-Dubois, ce qui montre à quel point l’histoire des lessives constitue un pivot dans le travail et la réflexion de cette dramaturge quand elle s’intéresse aux femmes.
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